10 décembre 2018

Le gouvernement n’a toujours pas compris le message


Après plus d’un mois d’agitations dans le pays, après plus d’un mois de milliers de papiers dans la presse, de chroniques, d’analyses et de tribunes de tout ce que le pays contient d’intellectuels plus ou moins proclamés, on peut raisonnablement imaginer que le problème est cerné, les motivations des uns et des autres exprimées et comprises et que le gouvernement, maintenant au courant de tous les tenants et de tous les aboutissants, entend résoudre la crise qui s’est ouverte devant lui.

Il n’en est rien...

Si l’on s’en tient à ce que la presse relate, le gouvernement est actuellement en position fœtale, sanglotant sous ses couvertures avec ses petits poings fermés. Et s’il serait de bon ton de garder de saines distances avec ce que cette presse nous explique compte-tenu du taux invraisemblable de calembredaines qu’elle colporte régulièrement avec gourmandise (et ce d’autant plus que, subventionnée à mort, elle n’est plus en prise avec son lectorat depuis un moment), on peut cependant accorder quelques crédits aux déclarations officielles des membres de l’exécutif qui expliquent à peu près tous en chœur : « c’est pas ma faute ».

Ainsi, pour Emmanuel Macron, la situation est à ce point tendue bien sûr parce qu’il y a trop d’impôts et trop de taxes, mais aussi (et surtout ?) parce qu’il n’est vraiment pas aidé. Dans ce que des élus l’ayant rencontré décrivent comme un moment « d’intense honnêteté » (l’honnêteté moyenne ou basse intensité étant semble-t-il plus souvent la norme, quoi que cela puisse vouloir dire), le président de la République a courageusement rejeté une partie de ses problèmes sur ses collaborateurs cette bande de clowns incompétents :

le locataire de l’Élysée a également critiqué, sans fard, certains de ses collaborateurs: « Vous n’imaginez pas comme je ne suis pas aidé… » a-t-il admis.

En somme, tout ce qui arrive maintenant est un fâcheux concours de circonstances : s’il n’y avait pas eu ces satanés collaborateurs qui n’aident en rien, Macron n’aurait finalement pas accepté les mesures imbéciles de son Premier ministre d’imposer le 80 km/h sur les routes, tout comme il n’aurait pas tenté de supprimer les APL. La hausse de la CSG, des impôts divers et variés, l’avalanche d’autres taxes, les déclarations débiles et les petites phrases à l’emporte-pièce, tout ça, c’est la faute aux collaborateurs, na, d’abord.

Au moins, on n’aura pas trop de mal à voir qui prendra la dégelée lorsque le prélèvement à la source (et son lot de problèmes puis la grogne inévitable qui s’en suivra) entrera en force l’année prochaine : Darmanin constitue une parfaite tête-à-claques, idéale pour ce genre d’exercices.


Il n’en reste pas moins vrai qu’au final, c’est tout de même le Président de la République qui donne son accord et détermine effectivement les impulsions politiques prises par le gouvernement et la majorité parlementaire avec lui. Malheureusement, cette défausse assez lamentable n’a rien de fortuite : elle est parfaitement courante au sein de nos institutions.

En pratique, il semble bien qu’en République Française, il n’existe pas un problème, une catastrophe ou une crise qui ne puisse être savamment rejetée vers un factotum, un sous-fifre ou un tiers sans rapport. Élément ô combien significatif de la politique actuelle dans ce pays en voie de décomposition : la responsabilité individuelle, qu’on a déjà largement retirée au citoyen, s’est aussi totalement évaporé de nos institutions et de ceux qui les dirigent.

Et cette évaporation est d’autant plus pratique qu’elle permet alors de désigner des boucs-émissaires qu’on choisira pour leur incapacité naturelle à se défendre.

J’en veux pour preuve les récentes déclarations de Muriel Pénicaud qui serait apparemment Ministre du Travail (cette information restant à vérifier tant elle paraît peu crédible) : pour notre multimillionnaire, la crise actuellement traversée par le gouvernement ne peut se résoudre que si tout le monde fait correctement son travail. Pour elle, pas de doute :

« Nous sommes en urgence sociale absolue et donc urgence économique. Il faut que les entreprises fassent leur part. Tout le monde peut faire quelque chose donc tout le monde doit faire quelque chose. »

Voilà, c’est dit : tout le monde doit faire sa part, scrogneugneu. Mais… Sa part de quoi ?

Muriel, elle ne lance pas des trucs comme ça, sans savoir. Muriel, elle a longuement réfléchi au problème et elle a donc la réponse, qui se traduit en deux points essentiels qui montrent à la fois l’ampleur de sa réflexion et sa compréhension profonde du sujet.

D’une part – et c’est évident – les entreprises doivent hausser les salaires. Facile. Au lieu de payer les gens 1500€, il faut les payer 1600, ou 1700 ou pourquoi pas 2000 tant qu’on y est. Voilà. C’est dit. Pas de quoi faire un bazar dans tout le pays, hein ! Les entreprises, munies de Licorne 2018, un logiciel fourni par l’État, trouveront de l’argent sans aucun problème. Pouf. Problème résolu.

D’autre part – et c’est si évident que c’en est trivial, mes petits amis – elle recommande aussi dans la foulée aux Français de soutenir les petits commerces, nom d’une pipe ! Avec ces mouvements sociaux, les centres-ville sont désertés et en cette période consumériste où les gens pensent aux achats de Noël, voilà une fort mauvaise idée que d’aller bêtement bloquer un rond-point alors qu’on serait mieux à prendre un petit thé chaud en choisissant chez Fauchon quel caviar on mangera au réveillon, enfin voyons.

C’est tout de même un peu un scandale, quand on y pense comme Muriel y a pensé très très fort ces derniers jours, de se rendre compte que les Français ont peur de se rendre dans les petits commerces, de se faire racketter en ville par les racailles ou tabasser par les flics, et qu’ils restent chez eux pour commander sur internet ! C’est impensable d’imaginer que ces Français préfèrent la sécurité de leur domicile et les prix pratiqués par les géants comme Amazon plutôt qu’opter d’aller jusqu’en ville !

Pourtant, quel plaisir de rouler dans la campagne française à 1.5€ le litre de gasoil ! Quel bonheur sucré que parcourir ses routes secondaires et de s’y faire flasher à 83km/h en rejoignant la bourgade la plus proche ! Quelle joie de s’y prendre une prune pour s’être mal garé (ou devoir payer un stationnement hors de prix) ! Quelle aisance que déambuler dans des rues parsemées de faunes interlopes aux objectifs pas toujours commerçants et dont la police se fiche car elle a trop à faire avec la circulation et les parkings ! Quelle réjouissance que faire des achats dans des boutiques de moins en moins bien achalandées, aux prix de plus en plus étudiés pour contrer une avalanche de taxes, au personnel de moins en moins présent et affable alors qu’employer devient chaque jour plus risqué ! Et je ne parle même pas de la période actuelle qui, à ces joies habituelles, ajoute celles des opérations inopinées de citoyens enjaunés, d’autres encagoulés, et d’autres embrigadés au point de rendre l’ensemble extrêmement festif…

Devant cette distribution de bisous, on ne comprend vraiment pas pourquoi les Français préfèrent cliquer sur les intertubes ! Et on ne peut qu’abonder dans le sens de la brave Muriel : allons, les Français, soyez sympatoches et arrêtez de pétocher ! Ne boudez plus, allez claquer vos thunes dans les magasins en ville, voyons !

Oui, Muriel rime vraiment avec opérationnel. Devant la crise, sa réponse semble parfaitement adaptée : les gens ont des problèmes de pouvoir d’achat ? Qu’on diminue les prix et qu’on augmente les salaires, pardi !

Et notez bien : tout le monde doit faire sa part. Tout le monde, depuis les citoyens jusqu’aux entreprises.

Quant à diminuer le train de vie de l’État, Muriel n’en pipe pas un mot. Diminuer les taxes en diminuant la dépense publique ? Allons. Muriel ne rime pas du tout avec rationnel, voyons ! Tout comme le pauvre Emmanuel qui est « bien mal aidé », la brave Muriel n’est en rien responsable de la mauvaise volonté des entreprises à augmenter leurs salaires et des Français à dépenser leur argent !

Une chose est vraiment certaine : ce n’est pas la faute à l’État, forcément.
 

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