Même si parfois j’aime faire le naïf, l’âge venant, je le suis tout de même de moins en moins. Lorsque j’entends quelques éditorialistes de talents et médiatisés expliquer que la faiblesse du mouvement c’est son absence d’organisation et des revendications disparates, je me dis que vraiment, « ils » n’ont rien compris.
Bon, en fait, « ils » ont très bien compris que les vents de la grande histoire commençaient peut-être à souffler.
L’absence d’organisation et les revendications disparates sont la faiblesse d’un mouvement, mais la force d’une révolution.
En réalité, l’absence d’organisation et de revendication ce sont exactement les symptômes non pas des révoltes, mais des révolutions.
Alors comme il semble qu’il y ait beaucoup de lacunes en termes de comprenettes chez nos « zautorités », je leur pose la question et leur donne immédiatement la réponse afin de faire œuvre de pédagogie.
C’est un cours que j’enseigne à l’ENAm en dernière année… mais les étudiants sont distraits. Oui, je suis prof à l’ENAm, l’École nationale des ânes de mamamouchis.
Comment faire la différence entre une révolution et un mouvement social ?
Premier critère : la base
Quelle est la base ? Base large ou base étroite ? La notion de base n’a rien à voir avec la quantité de têtes de pipe dans la rue. Le mouvement des gilets jaunes est une base large. La grève de la SNCF est une base étroite. D’un côté, des centaines de milliers de personnes qui sortent spontanément dans les rues. De l’autre côté, des cheminots uniquement pris dans des revendications catégorielles spécifiques avec un syndicat, et des revendications très claires.
Une révolution a toujours une base large.
Deuxième critère : les leaders et l’organisation
Dans un mouvement social, les gouvernements font face à des mouvements structurés par des organisations souvent professionnelles (syndicats) avec des leaders identifiés.
Dans une révolution, il n’y a aucun leader national, mais une multitude de « leaders » locaux. Le type qui tient le rond-point de la poupée qui tousse, ou la fille debout sur les barricades du parking du Leclerc.
Une révolution n’a jamais de leader au départ. Ils émergeront plus tard, quand la grande anarchie aura eu lieu.
À ce stade, il est évident qu’un mouvement structuré avec organisation et leader peut être « cassé », « brisé » ou « corrompu » même. D’ailleurs, récemment, les dotations aux syndicats ont été augmentées. On voit leur silence.
Les syndicats ont été brisés par le gouvernement. Macron a cassé les corps intermédiaires qui ne sont plus représentatifs. Résultat ? Il est seul face à la « populace » qui pue les « clopes et le gasoil ».
Des sans-culottes aux sans-dents !
Les mouvements des gilets jaunes sont en tous points un mouvement révolutionnaire au sens historiquement français.
Les sans-dents, méprisés depuis des années pour ne pas dire des décennies, sont les dignes descendants des sans-culottes de 1789.
C’est le peuple.
Et les similitudes avec 1789 ne s’arrêtent pas là.
1789, un problème de gamelle et de gabelle !
La gamelle, aujourd’hui, c’est le salaire ! Et d’ailleurs déjà, à l’époque, chez les Canuts, on forçait les gamines à bosser jusqu’à 16 heures par jour (l’été) pour un salaire de subsistance. Quelques années avant 1789, les canuts brayaient. On en pendit quelques-uns. Puis la révolution, la vraie, arriva.
C’est un peu comme les bonnets rouges précurseurs, et les gilets jaunes d’aujourd’hui !
Déjà, à l’époque, il n’y avait aucune revendication.
Enfin si, deux.
La première, on veut bouffer.
La seconde ? On ne veut plus payer les taxes et les impôts décidés à Paris.
En fait, il n’y jamais d’autres revendications que fiscales et alimentaires à la base des révolutions. C’est une constante historique.
Quand les gamelles sont trop légères et les gabelles trop lourdes, la révolution est inéluctable.
La similitude ?
La révolution française n’est pas un phénomène parisien… C’est de la province vers la capitale, et pas l’inverse.
Nous vivons exactement la même chose.
Une vraie révolution est armée ?
Eh bien globalement non. Presque jamais. En 1917, quelques coups de fusil furent tirés, mais les vrais massacres arrivent après la chute du pouvoir en place. Avant, c’est de la « gnognotte ».
Prenez l’exemple tunisien.
Affrontements, émeutes, oui. Mais jamais les Tunisiens n’ont vraiment sorti les fusils pour tirer sur les forces de l’ordre.
C’est plutôt qu’à un moment, les leviers de commande ne répondent plus et que les moyens ne sont plus suffisants pour enrayer la révolte plus ou moins pacifique.
Si l’on ne tire pas sur la foule, il arrive un moment où les grenades lacrymogènes ne sont plus suffisantes.
Ce jour-là, l’armée tire ou se retire. La police tire ou se retire.
Si elle tire, le pouvoir sombre du côté du crime contre l’humanité. S’il ne tire pas, il tombe tout court comme un fruit mûr et prend la fuite. Macron ira à Berlin. Je pensais qu’il irait aux États-Unis, mais Trump le laissera certainement se démerder avec ses sans-dents au mordant acéré. Un remake de la fuite de Varennes.
En Tunisie, il y eut peu d’échanges de coups de feu. La période d’anarchie, d’attentat et de violence arrive toujours après.
Ho… les zilets zaunes y sont pas sympas ! Zont secoué ma voiture !!!
Et cela sera de pire en pire, car une révolution n’est jamais douce et romantique, elle est toujours violente et sanglante. On tue du bourgeois et tond sa dame quand on ne fait pas pire, on pend le voisin que l’on déteste tant, on assassine le concurrent que l’on haïssait…
Notre pays a hérité d’un pacte social construit par le Conseil National de la Résistance pendant l’occupation. Il a été mis en application à la Libération après l’épuration. Nos villes étaient détruites, la moitié de notre pays ravagé, nous venions d’avoir des centaines de milliers de morts.
C’était en quelque sorte notre dernière révolution véritable. Mai 68 n’a fondamentalement pas déstabilisé la France. Cela a changé la société et les mœurs, mais les institutions sont restées identiques.
À la sortie de la guerre, c’était d’ailleurs toujours les institutions de la IVe République. Il faudra attendre le retour du Général de Gaulle pour voir le changement d’institutions matérialisé par la Ve République. C’est à ce moment-là que la révolution de la libération prit fin.
Une révolution, mes amis, dure 20 ans.
20 ans pour quitter l’ancien monde et se trouver le nouveau.
C’est aussi ce qui est arrivé en ex-URSS quand elle s’est effondrée. Il faudra attendre 20 ans pour que la Russie reparte de l’avant. 20 ans et Poutine pour remettre la Russie en ordre de marche et cesser l’anarchie des mafias.
Est-ce une révolution Sire ?
C’est encore un petit tôt pour le dire. On sera fixé samedi.
Si samedi prochain, le 24 novembre, les sans-dents montent à Paris et profitent de leur week-end pour bloquer le pays alors oui, on pourra dire à Macron, « Sire, c’est une révolution ».
Macron a voulu se comporter comme un monarque et risque de finir comme notre dernier roi.
Les journalistes sont étonnés. Les Parisiens sont étonnés. Cela relève un manque de culture historique crasse.
Quand de Gaulle lance l’appel du 18 juin, il appelle les officiers, les ingénieurs et les classes éduquées.
Il est rejoint par de « pauvres » bougres. Des sans-dents de l’époque qui puaient déjà la clope et le gasoil, surtout quand ils rejoignaient l’Angleterre dans des rafiots puants.
Les nations sont toujours vendues par les riches et sauvées par les gueux…
Les beaux quartiers qui s’empiffrent peuvent frémir… Les gueux sont de sortie et ils sont très fâchés.
J’y reviendrai très longuement, dans mon dossier spécial de novembre de ma lettre STRATÉGIES qui sera consacrée à « Comprendre les révolutions, anticiper les évolutions, s’adapter à la situation »… un numéro à imprimer et à mettre dans un classeur « à ouvrir en cas d’urgence ».
Il est déjà trop tard, mais tout n’est pas perdu. Préparez-vous !
PS : Aux dernières nouvelles, un des blessés est décédé.
Charles SANNAT
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