24 novembre 2018

Les révoltés du week-end


Ce sont ces gens qu’on voit, au petit matin dans leurs bagnoles, lorsqu’ils vont au boulot, la gueule un peu de travers, pas bien contents mais résignés, quand faut y aller, faut y aller… Et puis aussi des vieux et des vieilles, plus habitués à des activités pépères, style jardinage ou mots croisés, qu’à se pointer sur le bitume pour faire voir qu’ils existent encore et n’entendent pas se laisser faire les poches sans rouspéter. Le Franchouille de base, en somme, celui qui se crève la paillasse pour un salaire miteux amputé d’un bon quart, ou se brosse d’un gros bout de son étique retraite afin d’engraisser Mohamed et Mamadou, lesquels n’en foutent pas une rame et, en plus, se payent allègrement leurs tronches. Plutôt des moutons, ces « manifestants », tondus mais excédés; trop c’est trop, il arrive un moment où il faut que ça pète ou que ça dise pourquoi. Nous y voilà, à ce point d’exaspération inéluctable, il a fini par arriver! Macron t’es foutu, les braves-gens sont dans ta rue!
Oui, parce qu’on les a retrouvés devant l’Elysée, ces nanas et ces types plus ou moins porteurs de ce fameux « gilet jaune » qui, pour une fois, présente une utilité: tant qu’à l’avoir dans la bagnole pour éviter la prune susceptible de découler d’une absence d’équipement de bord règlementaire, autant le porter pour aller faire un petit coucou à Présipède. Le jour où ce dernier, en pleine explosion des prix du gazoile, crut bon de faire savoir qu’il poursuivrait sans faillir l’augmentation continue de la fiscalité « verte », la cause se trouva entendue, la goutte fit déborder le réservoir. Ils avaient jusque-là tout supporté, les cocus des prélèvements obligatoires, mais là, tout à coup, ça faisait trop. Ce morveux, accoutumé à les traiter de pleurnichards, de fainéants, d’illettrés, de gens de rien, entre autres marques de considération, leur intimait, avec sa bille de faux-cul, l’ordre de cracher de plus belles au bassinet d’une « transition énergique » dont la ficelle se voit depuis la Lune. Tant que le prix du baril baissait, ils pouvaient y aller sans trop de crainte, nos braves gouvernants successifs, mais avec la remontée brutale des cours la combine a viré au désastre pour les forçats de la bagnole. Obligés, pour cause de prix de l’immobilier, d’aller crécher de plus en plus loin d’un boulot mal payé, leur sensibilité au coût du plein s’exacerbe et le petit « président des riches », incapable de sentir venir le coup, commence à faire les frais de leur grogne un peu désespérée. Elles n’y changeront rien, les mesurettes à la con décidées en catastrophe afin, soi disant, d’aider les pauvres à changer d’automobile; pas plus que les commentaires du style, « ah oui mais ça augmente pour deux bons tiers à cause du prix du brut« … pauvre con, tout ce que tu trouves à faire c’est de nous en coller un tiers supplémentaire en attendant les augmentations futures que tu nous promets déjà! Et maintenant, on nous balance à grands coups de media « plus la peine de manifester, bonnes gens, le pétrole baisse, la pompe va en faire autant! Si ce n’est pas prendre les enfants de la Répupu pour des jambons de Bayonne…
Sans compter que le gazoile c’est juste la partie émergée d’un iceberg qu’on pressent énorme, en dessous de la ligne de flottaison. Des années et des années de rancœurs accumulées quand ça commence à sortir on ne peut pas vraiment savoir où ça va s’arrêter.
Tenez, prenez Grauburle, par exemple, ça fait des décennies qu’il en prend plein la gueule sans moufter. Son problème à lui c’est qu’il a de plus en plus de mal à s’offrir sa petite biture post-prandiale, celle qui lui assure une bonne sieste paisible dans son coin perso Derrière Napoléon ; depuis le coup de la CSG il a du mal, le pauvre, à assurer ses cent sous quotidiens de blanc-limé. Vous avez bien Thérèse qui lui accorde du crédit, quitte à oublier de réclamer le solde, mais c’est humiliant, tout de même, pour un ancien préposé des PTT! Alors il l’a revêtu, Grauburle, le gilet-jaune qui depuis des années prenait la poussière dans sa vieille 4L; et il s’en est allé gaillardement arpenter les rues de la ville, en compagnie de trois mille clampins animés des mêmes intentions de rouspétance généraliste. Le seul problème c’est qu’il a fini par se retrouver en compagnie de Ciotti, juste à côté, dites donc! Du coup ça l’a refroidi, il a remis le gilet dans sa poche et s’en est retourné au bistrot.
– « Vous comprenez, les mecs, moi je veux bien aller gueuler contre Macrouille, ça reste logique comme démarche, y me semble, mais si c’est pour servir la soupe aux politicards professionnels en mal de voix, je préfère encore me bourrer la gueule entre amis! Moi je marchais tranquille, entre Jean-Jacques et Gérard, vous savez, les retraités de Roblot-Borniol… à tel point que sans les vociférations des défileurs j’aurais fini, à force de marcher en troupeau, par me croire à un enterrement. Et puis voilà l’autre nabot-crâne d’œuf qui se pointe avec deux autres blaireaux du même acabit, et hop, ni une ni deux, ils passent le machin jaune par dessus le costard et vas-y que je t’emboîte le pas en tête de cortège. Juste quand on descendait l’avenue par les rails du tram, lequel, bien entendu, ne pouvait plus circuler…je vous dis pas les râleries des fatmas bâchées qui se trouvaient dedans avec chiares et poussettes! A ce moment là j’avais l’impression de faire œuvre utile, par le fait, et il a fallu que le petit crevard rapplique avec sa gueule enfarinée de charognard à suffrages. Bon après tout c’est son droit, y a rien à lui reprocher, seulement moi, ça m’a gâché le plaisir de faire chier la démocratie, vous comprenez. De droite, de gauche, du milieu ou d’ailleurs, tous ces comiques ça reste des profiteurs du pauvre monde…alors pourquoi on les accueillerait à bras ouverts, hein? Moi, je me suis barré et mes potes aussi, on s’est repliés au troquet et on a tapé une belote avec Jeannot, c’est moins fatigant et ça permet de mouiller la meule de temps à autres, chose qui se révèle difficile quand on déambule dans les manifs, pas vrai camarade Foupallour? Et si tu nous payais la tienne, non? Y commence à faire soif, à ç’theure! »

Bien obligé, la mort dans l’âme, de s’exécuter, l’interpellé en profite pour s’emparer du crachoir. Jean Foupallour qui donne son point de vue sur des questions comme les Gilets-Jaunes et leur présumée récupération politique, ça peut présenter un certain intérêt, au moins d’un point de vue anthropologique.
-« Oh ben moi, vous savez, j’y suis pas allé dans leur gros raout. L’idée d’empêcher les gens de circuler, juste pour emmerder Macroûte et sa clique, j’ai pas compris. Ben oui quoi, admettons qu’hier j’aurais eu un truc important, à faire, je sais pas, moi, tiens aller aux champignons par exemple. Alors bon je prenais ma voiture… à supposer bien sûr que j’en aie une, qu’au prix où ça navigue, ces machins-là, c’est pas avec mille cinq-cent balles par mois moins le loyer et les pastagas, que je vais pouvoir m’en offrir une… Bon bref, qu’est-ce que je disais… ah, oui, je prenais ma bagnole et tchac! Plus moyen de sortir de la ville à cause d’une bande de falabraques comme Marcel et ses alcooliques…enfin acolitres, on dit, je crois… qui bouchent toutes les rues pour emmerder le Président de la République! Et là j’ai du mal à saisir les tenants et les abrutissants, vu que pour le coup c’est moi qu’est emmerdé! Macron, lui, s’il a envie de se taper un plat de morilles, de cèpes voire même de petits-gris c’est pas le défilé à la con des gilets couleur-cocus qui va lui couper l’approvisionnement, vous mordez le topo? Par contre, le Jeannot, son petit plaisir il va pouvoir se le carrer où je pense en guise de suppositoire… Putain, pour comprendre votre truc, faut s’accrocher, tu sais Marcel, je vois pas la logique… »

Et une fois encore, dans l’estaminet de Thérèse, comme la plupart des Dimanches-matin, c’est le vieux Maurice qui a le dernier mot. Il nous dit, comme ça, tout en descendant une jolie gorgée de son éternel demi-pression:
-« Y a pas à tortiller, le Système arrive à sa dernière extrémité, alors il faut bien prendre le taureau par les couilles et commencer à secouer les puces à toute cette bande de parasites incapables qui profitent de la connerie républicaine pour se fignoler des carrières dorées sur tranche. La question c’est comment on fait? Et c’est vrai qu’on a pas beaucoup de solutions, on s’exprime comme on peut. Alors je suis d’accord avec toi Jeannot, y a pas de raison qu’on te prive de tes chanterelles impossibles, mais faut bien trouver le moyen de faire voir qu’on proteste. Avant on prenait d’assaut la Bastille, maintenant on bloque l’autoroute…reste à trouver la plus conne des deux solutions… ça se vaut, sans doute… l’avantage de l’autoroute c’est qu’on peut s’en resservir le Lundi, pour retourner au boulot. Parce que c’est comme ça qu’elle va se terminer, leur jacquerie de week-end, les mecs qui bossent devront reprendre le collier dès demain. Il n’a pas trop de souci à se faire, le Présipède, les braves gens ne peuvent se révolter qu’en dehors des heures…ça va générer des trous dans l’action! Vous voyez, au fond, l’honnêteté et la politique ça fait mauvais ménage; quand on vit de son taf ça laisse peu de temps pour s’occuper des affaires publiques. Voilà pourquoi, sans doute, la démocratie ça sera toujours une affaire de voyous et d’escrocs…
Allez, à la bonne vôtre! Et pour la prochaine tournée je prendrai bien un petit jaune, faut savoir se mettre au diapason! »

Que la paix soit avec vous, avec ou sans gilet.
Amitiés à tous et bonne semaine.

Et merde pour qui ne me lira pas.

NOURATIN

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.