Ce lundi, la préfecture de police de Paris a annoncé avoir utilisé l’avant-veille sur les Champs Elysées plus de 5000 grenades lacrymogènes, soit un « record » dans le cadre du maintien de l’ordre à Paris. Le préfet n’a pas indiqué le nombre de grenades « offensives » utilisées ce jour-là.
Pourtant, quiconque s’est rendu plus de 10 minutes dans le 8e arrondissement ce samedi a pu entendre les détonations des grenades dites « de désencerclement », et de celles « à effet de souffle », qui sont en réalité des grenades offensives.
Lundimatin a été témoin de la blessure grave à la main d’un jeune gilet jaune, blessure dont tout porte à croire qu’elle a été causée par ce type de grenade.
L’un de nos contributeurs, présent sur place explique :
Depuis plusieurs heures déjà, les forces de l’ordre utilisaient conjointement des grenades lacrymogènes et des grenades "assourdissantes". A chaque fois que la ligne de flic "essuie glace", c’est-à-dire qui descendait ou remontait les Champs, voulait atteindre une barricade pour éteindre le feu, elle utilisait d’abord une salve de lacrymogènes et de grenades explosives, tirées directement sur la première ligne de manifestants afin de les faire reculer. Puis 30 sec plus tard des lacrymogènes tirées en cloche, plutôt loin. Ils répétaient cette manoeuvre jusqu’à arriver jusqu’au feu. A plusieurs reprises ils gazaient tellement que l’avenue était quasi vide, tout le monde partait dans les rues autour, avant de revenir 10 min plus tard.
Mais ils utilisaient aussi ces engins explosifs d’une seconde manière. Quand ils étaient plus directement pris à parti. A un moment il y a eu une charge de manifestants en direction d’une troupe de gendarmes. Là ils ont tiré des grenades en veux-tu en voilà.
Mais quand j’ai croisé le jeune homme qui a perdu sa main, on était sur la fin [il était 17h55] et les forces de l’ordre étaient plus en mode gestion des barricades, plutôt on tape sur tout le monde pour que les gens s’en aillent définitivement. Plus la journée avancait plus ils donnaient le sentiment de "se lâcher" sur l’usage des grenades. Au début ils ne voulaient pas agresser trop frontalement les gens mais au bout d’un moment les gens étaient de toutes manières très vexés et les policiers semblaient vraiment à bout.
Donc en fin de journée, ils envoyaient vraiment dans le tas. Vers la fin, j’étais à une distance vraiment très très raisonnable d’eux, j’observais ce qui se passait et à deux reprises il y en a une qui a explosé suffisamment proche de moi pour que je ressente le souffle et que j’ai les oreilles qui sifflent pendant 5 min.
Et il faut avoir en tête qu’ils ne jetaient pas ça sur des "groupes d’émeutiers préalablement ciblés" mais dans un amas informel fait de gens énervés, de mémés, de journalistes, etc.
La préfecture, que nous avons contacté, affirme ne pas être au courant de cette blessure, mais admet qu’une femme a été « grièvement blessée à la main », certainement en ayant voulu ramasser une grenade. Selon, les services de secours, contactés par Libération, deux personnes ayant subi de graves blessures aux membres supérieurs ont été évacuées samedi 24 novembre.
Le service de communication des pompiers de Paris nous a confirmé, sans rien dire de l’origine des blessures, que « deux victimes ont été prises en charge pour des blessures graves au niveau des mains entre 18 et 20 heures en bas des Champs-Élysées vers l’avenue Franklin Roosevelt ».
Pourtant, quiconque s’est rendu plus de 10 minutes dans le 8e arrondissement ce samedi a pu entendre les détonations des grenades dites « de désencerclement », et de celles « à effet de souffle », qui sont en réalité des grenades offensives.
Lundimatin a été témoin de la blessure grave à la main d’un jeune gilet jaune, blessure dont tout porte à croire qu’elle a été causée par ce type de grenade.
L’un de nos contributeurs, présent sur place explique :
Depuis plusieurs heures déjà, les forces de l’ordre utilisaient conjointement des grenades lacrymogènes et des grenades "assourdissantes". A chaque fois que la ligne de flic "essuie glace", c’est-à-dire qui descendait ou remontait les Champs, voulait atteindre une barricade pour éteindre le feu, elle utilisait d’abord une salve de lacrymogènes et de grenades explosives, tirées directement sur la première ligne de manifestants afin de les faire reculer. Puis 30 sec plus tard des lacrymogènes tirées en cloche, plutôt loin. Ils répétaient cette manoeuvre jusqu’à arriver jusqu’au feu. A plusieurs reprises ils gazaient tellement que l’avenue était quasi vide, tout le monde partait dans les rues autour, avant de revenir 10 min plus tard.
Mais ils utilisaient aussi ces engins explosifs d’une seconde manière. Quand ils étaient plus directement pris à parti. A un moment il y a eu une charge de manifestants en direction d’une troupe de gendarmes. Là ils ont tiré des grenades en veux-tu en voilà.
Mais quand j’ai croisé le jeune homme qui a perdu sa main, on était sur la fin [il était 17h55] et les forces de l’ordre étaient plus en mode gestion des barricades, plutôt on tape sur tout le monde pour que les gens s’en aillent définitivement. Plus la journée avancait plus ils donnaient le sentiment de "se lâcher" sur l’usage des grenades. Au début ils ne voulaient pas agresser trop frontalement les gens mais au bout d’un moment les gens étaient de toutes manières très vexés et les policiers semblaient vraiment à bout.
Donc en fin de journée, ils envoyaient vraiment dans le tas. Vers la fin, j’étais à une distance vraiment très très raisonnable d’eux, j’observais ce qui se passait et à deux reprises il y en a une qui a explosé suffisamment proche de moi pour que je ressente le souffle et que j’ai les oreilles qui sifflent pendant 5 min.
Et il faut avoir en tête qu’ils ne jetaient pas ça sur des "groupes d’émeutiers préalablement ciblés" mais dans un amas informel fait de gens énervés, de mémés, de journalistes, etc.
La préfecture, que nous avons contacté, affirme ne pas être au courant de cette blessure, mais admet qu’une femme a été « grièvement blessée à la main », certainement en ayant voulu ramasser une grenade. Selon, les services de secours, contactés par Libération, deux personnes ayant subi de graves blessures aux membres supérieurs ont été évacuées samedi 24 novembre.
Le service de communication des pompiers de Paris nous a confirmé, sans rien dire de l’origine des blessures, que « deux victimes ont été prises en charge pour des blessures graves au niveau des mains entre 18 et 20 heures en bas des Champs-Élysées vers l’avenue Franklin Roosevelt ».
Quelles armes peuvent causer de telles blessures ?
S’il est impossible pour l’instant d’établir formellement ce qui fut à l’origine de telles blessures, ces dernières rappellent évidemment celles subies par Maxime, le 22 mai dernier sur la zad de Notre-Dame-des-Landes, et par Robin, le 15 août 2017, près du "futur" site d’enfouissement de déchets nucléaires de Bure.
Dans les deux cas, ce sont des grenades de type GLI F4 qui avaient été incriminées. Dans le cas de Maxime, ce dernier affirme avoir ramassé l’une de ces grenades alors qu’elle n’avait pas encore explosé, il a du être amputé. Robin a lui reçu l’engin détonnant directement sur le pied, l’explosion a été immédiate. Selon Reporterre, il "a subi cinq opérations chirurgicales — nettoyage de l’intérieur du pied, pose de ciment provisoire, greffes cutanées et osseuses, poses de broches, dégraissages — et a passé près d’un mois à l’hôpital de Nancy."
Comme nous le rappelions au moment de l’expulsion de la Zad de Notre-Dame-des-Landes, où elles furent très largement utilisées, provoquant des nombreuses blessures parmi les opposants (quelques gendarmes ont aussi été grièvement blessé par leur propre matériel, comme ce fut le cas aussi à la Réunion durant ce mouvement des gilets jaunes, plusieurs journalistes ont aussi été plus légèrement blessés) :
Il s’agit de grenades dites « GLI F4 », fabriquées par la société « SAE ALSETEX ». Selon la notice du fabricant, leur effet serait avant tout « psychologique », visant à « déstabiliser les manifestants dans des situations particulièrement difficiles ». Cet effet psychologique est, toujours selon le fabricant, lié au son (165db à 5m), à une faible quantité de lacrymogène, mais aussi à « l’onde de choc ». S’il y a onde de choc, on pourrait suspecter que cette grenade, quoique l’entreprise n’insiste évidemment pas sur ce point, puisse provoquer des blessures graves.
C’est effectivement ce que vient confirmer un rapport de 2014 de l’IGGN et l’IGPN, exhumé par Luc Peillon de Libération :
Ces grenades à effet de souffle, rappelait ainsi le document, "constituent le dernier stade avant de devoir employer les « armes à feu » telles que définies par le code de sécurité intérieure". Et d’expliquer, sans ambages, que ces "dispositifs à effet de souffle produit par une substance explosive ou déflagrante sont susceptibles de mutiler ou de blesser mortellement un individu, tandis que ceux à effet sonore intense peuvent provoquer des lésions irréversibles de l’ouïe (pour avoir un effet efficace, une intensité sonore de 160 db mesurée à un mètre est requise)". Avant de reconnaître que "quel que soit le moyen utilisé, comme il s’agit d’un dispositif pyrotechnique, une atteinte à la tête ou sur le massif facial ne peut jamais être totalement exclue".
Étant donné leur niveau de dangerosité, de telles armes sont donc censées en (avant-)dernier recours. Notamment pour permettre aux policiers ou gendarmes de se "dégager". Si les gendarmes (et eux seuls) étaient aupravant dotés de grenades dites "offensives" (OF F1), elles ont été interdites à la suite de la mort de Rémi Fraisse. Pour autant, les grenades à effet de souffle (GLI F4) ou de désencerclement restent largement utilisées par les forces de l’ordre, non seulement en situation "défensive", mais bien plus souvent pour "attaquer" les manifestants. Elles peuvent d’ailleurs être insérées dans des lanceurs de type Cougar les projetant à plusieurs centaines de mètres, et c’est ainsi qu’elles ont été largement utilisées sur la Zad ou à Bure.
Le ministère de l’intérieur a rappelé à plusieurs reprises que l’usage des GLI F4 allait être bientôt abandonné. Cette décision aurait été prise avant même l’opération d’expulsion de la Zad. Là-bas, comme durant la manifestation de samedi dernier à Paris, ce sont les vieux stocks de GLI F4 qui ont été utilisés.
Ainsi que nous l’affirmions au printemps dernier :
Selon L’Essor de la Gendarmerie, les forces de l’ordre épuisent sur la ZAD "les stocks des GLI-F4, qui devraient disparaître de l’arsenal des gendarmes à l’horizon 2020-2022." Un appel d’offre a été lancé en août 2017 visant l’achat de nouvelles grenades ne contenant pas "d’explosif brisant" (la GLI-F4 contient 25g de TNT) et donc censée ne pas produire "d’éclats". Cependant, selon le général Bertrand Cavallier “la GM2L [produite par la société Alsetex et déjà "testée" sur la ZAD] vise à avoir un effet comparable à la GLI-F4 mais avec des risques moindres, mais cela reste une arme. Et même un pétard du 14 Juillet peut emporter quelques doigts lors de son explosion.” S’il ne s’agit que de quelques doigts...
Macron interpellé
Rappelons enfin que Macron a été récemment interpellé sur cette question alors qu’il était en déplacement à Louvain en Belgique. Alors que des manifestants déployaient une banderole "Le sang coule de leurs mains, renseignez-vous", et lui demandaient ""Pourquoi vous matraquez vos étudiants ? Pourquoi vous êtes le seul pays qui utilise des grenades contre sa propre population ?". Macron a répondu : "Il faut arrêter les bêtises !". Il a ajouté qu’au printemps dernier la police avait eu à faire à "des groupes anarchistes" plutôt qu’à des étudiants, qu’"il n’y a eu aucune intervention avec de la violence contre eux. Il y a eu beaucoup de blessés dans nos forces de l’ordre, il n’y en a pas eu de leur côté". Et que concernant la zad : "Et nous avons évacué des gens à Notre-Dame-des-Landes, car je pense qu’il faisait référence à ça, comme nous allons continuer à le faire".
Le président français n’a pas parlé de l’usage des grenades par la police et la gendarmerie. Ceux qui ont interrompu l’intervention de Macron à Louvain avaient-ils pour autant raison quand ils affirmaient que la France est "le seul pays qui utilise des grenades contre sa propre population" ? Dans un article récent le site internet Reporterre rappelait qu’un rapport de l’Acat (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture) affirmait en mars 2016 :
que cette grenade GLI-F4 est réputée mortelle du propre aveu de la police et de la gendarmerie et que « la France est le seul pays européen à utiliser des munitions explosives en opération de maintien de l’ordre ».
La GLI-F4 n’est pas la seule arme mutilante aux mains de la police
Pour finir, disons que la grenade GLI F4 n’est évidemment pas la seule arme utilisée dans le cadre du maintien de l’ordre : les flashballs ont été de nombreuses fois incrimées dans le cadre de graves blessures au visage, et notamment aux yeux. Le 28 avril 2016, lors du mouvement contre la loi Travail, un manifestant de 20 ans a perdu un œil, touché par un tir de flashball. Toujours au printemps 2016, un manifestant avait été touché à la tête suite à l’explosion d’une grenade de désencerclement (un projectile détonnant, non pas à effet de souffle comme la GLI F4, mais qui projette 18 plots en plastique à 126 km/h sur un rayon de 30 mètres). Souffrant d’une fracture temporale, d’un enfoncement de la boîte cranienne et d’un oedème cérébral, il a passé une semaine dans le coma. A la même période un CRS avait été grièvement blessé, à Rennes, en tentant de lancer l’une de ces grenades.
Les flashballs et les grenades de désencerclement ont été encore une fois largement utilisées samedi dernier.
L’usage de gaz lacrymogène peut aussi provoquer des blessures, surtout quand il est diffusé via des grenades tirées au lanceur Cougar, capable de les projeter, en cloche à 200m de distance, mais est aussi régulièrement utilisé en "tir tendu". En 2009, un adolescent de 14 ans avait, de cette manière, été grièvement blessé au visage en Corse, et avait du être plongé dans le coma. Dans certains cas, par exemple quand il est utilisé massivement dans des endroits confinés, le gaz lacrymogène peut lui-aussi causer la mort. Dans un très bon article sur le sujet, Le Monde Diplomatique rappelle que "l’organisation Physicians for Human Rights a par exemple comptabilisé trente-quatre morts liées à l’usage de gaz lacrymogène lors des manifestations à Bahreïn en 2011-2012".
Et maintenant ?
Depuis plusieurs années déjà, des victimes de ces armes "à létalité atténuée", (comme on dit au ministère de l’Intérieur) ainsi que leurs proches et soutiens réclament leur interdiction.
Dans un appel à manifester publié il y a quelques semaines dans lundimatin, on lisait ainsi :
Peu importe qu’elle soit lacrymogène, instantanée, assourdissante, à effet de souffle, à effet psychologique, à effet combiné, modulaire, offensive ou de désencerclement.
Peu importe le nom donné à cette grenade : une grenade est une grenade
[...]
Nous exigeons que soient retirées aux forces de l’ordre ces armes qui mutilent nos chairs et celles de nos enfants.
Par ailleurs la lutte contre ces armes passe aussi parfois par des procédures judiciaires. Ainsi, le lundi 22 octobre ont été déposées "au tribunal administratif de Nantes cinq « requêtes en référés expertises » lancés par cinq blessés — dont deux journalistes — par ce type de grenade [les GLI F4] en avril 2018, lors des opérations de gendarmes mobiles visant à détruire une partie des cabanes de la Zad et à en déloger ses occupants", comme nous l’apprend Reporterre.
Dans un article qui fait le point sur cette procédure le site internet (dont une journaliste est l’une plaignante dans le cadre de cette procédure) indique que :
Si leur demande est acceptée, des experts détermineront si les blessures sont bien dues à des explosions de GLI-F4 lancées par des gendarmes mobiles, si ces grenades ont été lancées selon les règles d’usage en vigueur, et évalueront les préjudices, conséquences et séquelles de ces blessures
En effet :
Pour chacun des cinq requérants, les blessures sont diverses mais toutes violentes : deux orteils atteints obligeant à installer une prothèse d’ongles, des chairs arrachées, des éclats de métal de grenades définitivement sous la peau, sous un genou, des fractures, des brûlures au troisième degré qui ont obligé à procéder à des greffes de peau…
Il s’agit pas avec ces requêtes, déposées au tribunal administratif, de faire condamner les gendarmes auteurs de ces violences, "mais de faire reconnaître la responsabilité de l’État, via le ministère de l’Intérieur et la préfecture", comme l’indique Me Aïnoha Pascual.
Cette procédure, ainsi que le lancement d’unecampagne nationale contre les armes de la police, étaient présentés lors d’une conférence de presse à Paris de l’Assemblée de blessés... le 24 novembre à 10h30.
[EDIT] Nous apprenons qu’un homme a aussi été éborgné, peut-être par un tir de lanceur de balle de défense 40mm (nouveaux modèles de flashball), lors de la manifestation du 24 novembre.
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