21 septembre 2018

L’Allemagne se prépare à déployer une nouvelle politique étrangère envers les USA

Meiko Maas, ministre des affaires étrangères, a annoncé que son pays allait dévoiler sous peu une nouvelle approche, qu’il a décrite comme « équilibrée » et visant à « renforcer l’autonomie et la souveraineté de l’Europe (de l’Allemagne !) en matière de politiques commerciales, économiques et financières ». Cette annonce fait suite aux préoccupations que les politiques de sanctions financières de l’administration Trump ont levées outre-Rhin, où l’on craint que ne soient soumis à des risques les intérêts allemands dans les partenariats du pays avec la Russie, la Chine et la Turquie.

Il a également publié la semaine dernière un article dans lequel il écrivait que l’Union européenne doit envisager la création d’un système de paiement indépendant, s’affranchissant ainsi des restrictions économiques décidées unilatéralement par les USA ; en pratique, une initiative de ce genre, menée à son terme, contribuerait fortement à la dé-dollarisation. On pourrait croire que l’Allemagne se prépare bravement à défier les USA et à défendre une position de principe teintée de multipolarité, mais la réalité est bien plus nuancée.

Si Berlin peut réaliser ce qu’elle esquisse, l’ordre mondial multipolaire émergent en sortira sans nul doute gagnant, mais nul ne devrait se faire d’illusions sur les raisons qui poussent l’Allemagne dans cette voie. Le bras de fer idéologique qu’entame le pays avec les USA a pour cause le changement de cap radical décidé par Trump par rapport à celui fixé par ses prédécesseurs libéro-mondialistes, et la réorientation du pays vers un modèle de relations internationales centré sur la nation, considéré par son équipe comme la meilleure méthode pour les USA de s’adapter aux manifestation irréversibles de la multipolarité, comme l’émergence de grandes puissances d’influence. Trump pilote cette réorientation aussi bien qu’il le peut ; plutôt que de subventionner les pays vassaux des USA au travers d’accords de commerce et militaires asymétriques, sa position est de les contraindre à partager la charge du maintien d’un ordre international quelque peu réformé mais toujours mené par l’Amérique.

La transition systémique en cours produit des changements de paradigmes sans équivalent dans tous les domaines observables, ce qui fait monter les niveaux de compétition pour l’influence mondiale, même entre des pays en apparence alliés comme les USA et l’Allemagne. On peut porter au crédit de Berlin sa position engagée pour le projet Nord Stream II, qui fera du pays l’un des acteurs du succès des initiatives multipolaires de Moscou, même si dans le même temps, l’Allemagne est en compétition avec la Russie sur d’autres aspects, comme notablement observé en Ukraine. En regard de l’utilisation que fait Maas de la personnalité clivante du président américain pour poser son pays en victime, le même ministre allemand constituait un collaborateur zélé au sujet de l’EuroMaidan et a apporté un soutien ininterrompu au gouvernement de Kiev.

Certains des facteurs géopolitiques qui déterminent la politique étrangère allemande, à l’instar de ceux qui décident de sa stratégie vis à vis de l’Ukraine, peuvent rester inchangés, ou en tous cas changer moins vite que d’autres, mais cela n’empêche pas Berlin de rompre avec Washington sur d’autres sphères comme le commerce interconnecté, les sujets économiques et financiers, si bien que l’Allemagne progresse en partageant certains des objectifs structurels de ses partenaires russes, chinois et turcs. Ceci étant dit, il faut pondérer l’optimisme que certains observateurs pourraient être tentés d’afficher à la vue de ces changements, il ne faut pas prendre leur réussite comme acquise, au vu des nombreux vecteurs dont disposent les USA pour pousser l’Allemagne à ralentir, prendre le contrôle, ou saboter ces initiatives. En résumé, la nouvelle politique étrangère allemande envers les USA devrait être accueillie comme un signal d’intention pragmatique, mais pas encore interprétée comme un facteur de changement significatif concret.

Le présent article constitue une retranscription partielle de l’émission radiophonique context countdown, diffusée sur Radio Sputnik le 31 août 2018.

Andrew Korybko - Commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides : l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici.

Traduit par Vincent, relu par Cat pour le Saker Francophone

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