Une très légère brise les fait se dodeliner et caresse les joues de celui qui hâte maintenant son pas.
Une frontière est nettement dessinée.
Le métal rutile sous des rayons encore drus.
Plusieurs haltes sont nécessaires pour franchir la multiplicité de la limitation entre le dehors et le dedans, comme autant de couches superposées qui figurent la membrane d’une cellule eucaryote. L’admission exige que soit déposé dès le filtre premier le morceau de plastique qui témoigne de l’identité, ce dont on s’acquitte avec bonhomie au terme d’un long voyage.
L’accès est obtenu.
Il débouche sur un espace divisé en petites unités, garnies chacune de chaises de jardin moulées dans une mauvaise résine blanche, deux ou trois autour d’une table minuscule.
Les salutations un peu embrouillées par des émotions diverses et intenses faites, l’entretien débute.
Les échanges sont rapides, les questions enveloppent le visiteur et développent les actualités, le temps est bien compté. Affable, délicat, enjoué avec une pointe d’humour qui déborde quand il dresse pour son usage le portrait de son visiteur par petites touches apportées par la substance du dialogue qui efface les murs et élargit la petite pièce aveugle. Il ne se défait à aucun moment de l’attention qu’il lui porte.
Une grande force spirituelle imprègne le moment.
L’atmosphère est imbibée d’une bienveillance tranquille, apaisée.
Un optimisme raisonnable est le germe de cette foi dans un avenir meilleur pour l’homme, dans un monde débarrassé de l’oppression, au sein de sociétés solidement construites sur la justice. Le délitement saugrenu de toutes les formes d’organisations sociales doit conduire à la concrétisation de cette idée si simple à réaliser. Les replâtrages et les mensonges faits pour verrouiller toute pensée et toute action sont d’une fragilité de plus en plus manifeste.
Parce qu’on aurait voulu qu’ils ne fussent pas, interrompant à l’emporte-pièce la discussion de plus en plus précise, les adieux sont maladroits et vite escamotés de la mémoire. Longtemps un apaisement indicible habite le visiteur après que le visité ne l’ait quitté, effet de l’énergie morale irradiée et emmagasinée précieusement comme viatique pour le chemin du retour.
Les larmes viennent après un certain temps, abondantes, nourries de l’impuissance individuelle et collective à libérer le plus vieux prisonnier politique de France.
Georges Ibrahim Abdallah, écrou numéro 2388/A221, centre pénitencier de Lannemezan, 6530, entamera sa trente cinquième année de prison en octobre 2018.
Il est l’un de ceux qui demeurent d’une fidélité inflexible à leurs motivations politiques d’indépendance de tous les pays assujettis à l’impérialisme et à l’idéal communiste de justice sociale et d’émancipation pour tous les hommes. Toutes ces années d’incarcération n’ont en rien atténué sa flamme et son désir que son idéal s’atteigne un jour. Au contraire, elles les ont concentrés, faisant de lui, détenu depuis des décennies, l’Homme, rare, le plus libre et le plus hautement moral qui soit. Toutes ces clôtures, fossés, barbelés, murailles laissent passer jusqu’à lui les informations d’un capitalisme devenu de plus en plus aberrant. Georges reste imperméable aux inévitables dégénérescences de jugement porté sur le devenir de ce mode de production et mode de vie aliénée. Il est certain que l’humanité en triomphera. *
Badia Benjelloun
Note
Voici une note biographique pour ceux qui ignoreraient qui est Georges Ibrahim ABDALLAH
Monsieur Georges Ibrahim Abdallah est un prisonnier politique libanais détenu en France depuis 1984. Il avait été condamné en 1987 à la réclusion criminelle à perpétuité avec une peine de sûreté pour complicité d’assassinat de l’attaché militaire de l’ambassade américaine Charles Ray et du diplomate israélien Yacov Barsimentov, abattus à Paris en 1982. Ces assassinats ont été revendiqués par les Fractions armées révolutionnaires libanaises (FARL) et commis dans le cadre de la lutte contre l’occupation du Liban par Israël.
Il est libérable depuis 1999.
A chacun des jugements favorables à sa libération, l’État français est intervenu pour empêcher cette libération.
Le 24 octobre 2018, Georges Ibrahim Abdallah entrera dans sa 35ième année de détention.
Il aurait dû être libéré :
• Dès 1984, comme la France s’y était engagée auprès du gouvernement algérien ;
• En 1985, lors de l’échange avec Gilles Sydney Peyroles auquel l’Etat français s’était engagée ;
• En 1988, s’il n’avait pas été rejugé après son premier procès en juillet 1986 (où a été prononcés la décision d’interdiction du territoire français) ;
• En 1994, si la peine applicable aux droits communs pour ce type de délit comme réclamé par le procureur, conformément au code de procédure pénale, avait été retenu en mars 1987 lors du second procès.
• En 1999, si la peine de sûreté avait été strictement appliquée
• En 2003, quand le juge des libertés de Pau a émis un avis favorable à sa libération conditionnelle, mais que l’exécutif a refusé de mettre en œuvre la mesure d’expulsion vers son pays d’origine et a fait appel pour obtenir le rejet de la demande de mise en liberté conditionnelle.
• En 2013, quand le tribunal d’application des peines a émis un avis favorable en attente d’un arrêté d’expulsion du ministère de l’Intérieur, mais que l’exécutif a refusé de mettre en œuvre et a fait appel. En 2014, 2015 et 2016, les demandes de libération sont jugées, par tous les niveaux judiciaires, irrecevables en l’absence de mesure d’éloignement.
Il a plus que doublé la peine incompressible, nous devons permettre les conditions pour que le pouvoir politique lui rende enfin sa liberté car la perpétuité n’existe pas en France.
Source
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