Le Conseil d’Etat a rendu public le 4 mai son avis quant aux différentes dispositions de la proposition de loi relative à la lutte contre les fausses informations enregistrée le 21 mars à l’Assemblée nationale. Si, dans l’ensemble, il apparaît relativement favorable au texte de loi à l’initiative du gouvernement, le Conseil d’Etat souligne toutefois plusieurs articles redondants avec le corpus législatif déjà existant et met en garde contre les difficultés qui pourraient survenir lors de l’application de cette loi.
Le Conseil d’Etat commence par mettre en évidence «les difficultés qu’implique la création d’une telle voie de droit» jugeant que «les "faits constituant des fausses informations" sont [...] délicats à qualifier juridiquement». En effet, qui jugera qu'une information est fausse ou non ? Et sur quels critères ? Si la proposition de loi prévoit de donner une compétence exclusive au tribunal de grande instance de Paris, les critères restent incertains.
Plusieurs imprécisions dans les termes employés par les législateurs sont pointées du doigt par le Conseil d’Etat. Ainsi, se trouvent indifféremment employées les expressions «fausses nouvelles» et «fausses informations». Le Conseil d’Etat leur conseille de se limiter au terme de «fausse information», «par souci de cohérence et d’intelligibilité du texte», et de se limiter «aux cas dans lesquels il est établi que la diffusion de telles informations procède d’une intention délibérée de nuire». Le Conseil d’Etat ne précise toutefois pas ce qui constitue «une intention délibérée de nuire».
Autre imprécision : le contenu de l'article 3 de la proposition de loi, qui met en place les nouveaux pouvoirs accordés au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) l’autorisant à «empêcher, suspendre ou mettre fin à la diffusion de services de télévision contrôlés par un Etat étranger et qui portent atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou participent à une entreprise de déstabilisation de ses institutions». C’est cette dernière expression, «entreprise de déstabilisation de ses institutions», qui, en plus d’être inédite en droit français, revêt une «portée précise délicate à déterminer». Là encore, les rédacteurs du texte de loi ont, semble-t-il, manqué de précision. La recommandation du Conseil d’Etat pour ce dernier point est de ne pas conserver cette expression, «qui nuit à l’intelligibilité générale de la disposition».
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Des difficultés juridiques et une mesure «excessive» ?
Le Conseil d’Etat, dans son avis, émet en outre des doutes quant à «l’efficacité incertaine de cette nouvelle procédure». Il fait ici référence à la nouvelle action en référé que le premier article de la proposition de loi entend instaurer. Bien que le texte précise que le juge civil pourra statuer «en urgence (48h)», le Conseil d’Etat craint que la réponse n'intervienne trop tard et que la fausse information concernée ait le temps de largement se propager avant qu’elle ne soit rendue indisponible. D’où son scepticisme.
Outre la remise en question de l’efficacité de l’action en référé pour lutter contre les fausses informations, le Conseil d’Etat va jusqu’à juger l’une des mesures comme «excessive» : celle qui prévoit qu'à la demande du ministère public ou de toute personne ayant intérêt à agir, un site internet entier puisse être déréférencé. Le Conseil d’Etat recommande de ne déréférencer les seuls «liens menant vers les pages diffusant ces informations [jugées "fausses"]».
Pour le Conseil d'Etat, il apparaît surtout nécessaire de circonscrire la loi dans le temps, afin qu'elle ne s'applique pas «de façon pérenne», et qu'elle garde un caractère exceptionnel. Ainsi, seules seront concernées les périodes pré-électorales – d'environ trois mois à cinq semaines avant les élections. La loi ne sera également applicable qu'à certaines élections (présidentielle, sénatoriales, législatives et européennes), excluant de fait les élections locales, moins susceptibles d'être l'objet de stratégie de déstabilisation par la diffusion de fausses informations.
Des dispositions qui existent déjà dans le droit français
Dans son avis, le Conseil d’Etat souligne également que la lutte contre la diffusion de fausses informations tient déjà une bonne place dans le droit français. La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse permet déjà de réprimer les propos diffamatoires ou erronés. Autre exemple, le code électoral propose un cadre censé garantir la bonne tenue d'une élection... en luttant notamment contre la diffusion de fausses nouvelles. Existe aussi, entre autres, le droit de la protection des données à caractère personnel. Un panorama, certes non exhaustif, des différentes lois existantes à ce sujet, qui permet au Conseil d'Etat de conclure que cette lutte est «une préoccupation ancienne et récurrente du législateur».
Pour autant, le Conseil d'Etat admet la nécessité d’une nouvelle loi pour lutter contre les fausses informations, notamment dans un contexte où les réseaux sociaux sont devenus les canaux privilégiés de diffusion de l'information : «L’état actuel du droit, notamment en matière électorale, ne permet pas nécessairement de répondre à l’intégralité des risques induits par ces nouveaux phénomènes».
Il reconnaît également la pertinence d'informer les citoyens sur le financement des informations (contenus sponsorisés sur les réseaux sociaux, par exemple), en révélant notamment l'identité des personnes, entités ou Etats derrière une information.
Malgré toutes ses remarques et recommandations, le Conseil d'Etat ne voit dans cette loi aucune entrave «disproportionnée» à la liberté d'expression, la jugeant en règle avec la Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen de 1789.
Si le contenu de la proposition de loi relative à la lutte contre les fausses informations, plus généralement appelées «fake news», n’est connu officiellement que depuis le 21 mars dernier, l’idée fait polémique depuis son annonce par Emmanuel Macron, lors de ses vœux à la presse le 3 janvier. Remise en cause de la liberté d’expression, censure… des critiques ont émergé de toute part.
La ministre de la culture Françoise Nyssen, à l'origine du projet, et le député Richard Ferrand, qui présente la proposition de loi à l'Assemblée nationale, doivent être auditionnés le 22 mai. L'examen de la loi à l'Assemblée nationale devrait quant à lui avoir lieu le 30 mai prochain.
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