Dès le commencement de l’histoire connue, diverses civilisations et identités sont régulièrement entrées en conflit les unes contre les autres, ce qui constitua l’un des éléments les plus constants, les plus durables et les moins reluisants de l’aventure humaine. Quoi qu’il en soit, cette aventure se trouve au seuil d’un bouleversement palpitant : le modèle millénaire du « choc des civilisations » se trouve évincé au profit du modèle multipolaire du dialogue des civilisations élaboré par les États réfractaires et frondeurs (R&F) de la Russie, de la Chine et de l’Iran, et auquel le partenariat géo-civilisationnel des BRICS contribue également.
En ce moment sans précédent dans l’histoire, toutefois, une forme d’agression civilisationnelle remaniée est en train d’être frénétiquement déployée par les élites représentant le monde unipolaire, celles-ci cherchant désespérément à semer les graines de la discorde identitaire sur fond de suspicion mutuelle entre les puissances émergentes du monde multipolaire. Par un coup du sort ironique, des « anti-impérialistes » autoproclamés et des individus a priori bien intentionnés ont été pris dans la matrice de guerre informationnelle US de la même façon qu’une mouche est prise dans la toile d’une araignée. Qu’ils soient sciemment cooptés ou qu’ils fassent office d’« idiots utiles » certains « combattants de la résistance » se font désormais les ardents défenseurs de l’agression civilisationnelle du monde non occidental et l’avant-garde militante du nouveau fascisme.
Dans cette étude, nous commencerons par expliquer ce que l’on entend par les dangers de l’agression civilisationnelle et du nouveau fascisme, après quoi nous nous livrerons à une description des fondements essentiels de la guerre de cinquième génération. Suite à cela, nous détaillerons la façon dont l’« arme de migration de masse » des USA et de leur alliés a vivifié le renouveau non-occidental au même titre que le ravalement de façade gauchisant des menaces susmentionnées. Le sujet traité ensuite dans ce travail sera le wahhabisme sécularisé, une des synthèses de l’agression civilisationnelle et du nouveau fascisme et le potentiel que ce Frankenstein idéologique recèle pour ce qui est de perturber efficacement les processus pan-civilisationnels intégratifs de coopération. Enfin, nous conclurons cette étude en détaillant les méthodes par lesquelles les tenants du monde multipolaire peuvent résister à cette nouvelle tactique asymétrique visant à favoriser leur discorde, ainsi que sur le rôle unique que la Russie joue naturellement dans la mise en œuvre de ces méthodes.
De vieilles menaces repensées
L’agression civilisationnelle et le nouveau fascisme sont souvent incompris du fait de la prévalence d’idées reçues couramment véhiculées à leur propos, chacune d’entre elles servant à travestir ces menaces de sorte qu’elles soient plus difficiles à identifier lorsqu’elles sont ripolinées et redéployées d’une façon sortant légèrement des cadres ordinaires. Il en résulte que nombre de gens vont jusqu’à en nier l’existence lorsque ces formes inattendues sont déployées, ouvrant dangereusement la voie à la facilitation de ces processus destructeurs et amenant perfidement une multitude de gens, qui s’y seraient sincèrement opposés dans d’autres circonstances, à se muer en soutiens actifs de ces nouveaux procédés.
Agression civilisationnelle
Pour entrer dans les détails, le discours mondialiste est tel que l’on tient généralement pour acquis, particulièrement au cœur de la masse informe des Européens « blancs » et de leurs descendants − indépendamment de leur appartenance de classe − le fait que l’Occident détienne un monopole en matière d’agression civilisationnelle ; les promoteurs de cette conception mettent en exergue l’épisode historiquement bien documenté des croisades ainsi que l’ère du colonialisme classique et du néocolonialisme. Si ces faits constituent indéniablement des archétypes d’agression civilisationnelle, ils sont loin d’être les seuls et ne peuvent être imputés qu’au seul Occident. Par exemple, la civilisation turque a mené une occupation brutale des Balkans et forcé une grande partie des peuples locaux à se convertir à l’islam sous la menace de la torture et de la mise à mort ; la civilisation arabe a quant à elle raflé des millions d’esclaves noirs capturés dans les jungles africaines pour les vendre sur le marché mondial.
Tous ces faits sont répréhensibles au même degré et aucun n’est excusable, mais ils démontrent le fait que l’agression civilisationnelle a été pratiquée par une multitude de protagonistes à travers une variété de procédés pendant des millénaires, battant ainsi en brèche le mythe selon lequel seuls les Européens « blancs » et leurs descendants auraient commis des atrocités au cours de leur histoire. En outre, même si les faits en question sont certainement déplorables, ils ne constituent en rien les seules caractéristiques définissant ces différents protagonistes. En dépit de leurs bilans respectifs en termes d’agressions perpétrées contre des peuples extérieurs à leurs sphères civilisationnelles respectives, les Occidentaux, les Turcs, les Arabes et bien d’autres civilisations présentent une pléthore de caractères positifs et chacune a apporté une contribution fructueuse à l’échelle de l’humanité.
Dès lors, en tenant compte du fait que toutes les civilisations présentent des aspects historiques positifs comme négatifs, cataloguer l’une ou l’autre comme étant l’unique auteur d’agressions est fondamentalement malhonnête, le but étant d’atteindre des objectifs politiquement orientés. Par exemple, il est courant chez les propagateurs de cette approche sélective de l’histoire de véhiculer cette polémique hypocrite et artificiellement construite de « culpabilité civilisationnelle » selon laquelle la civilisation « agressive » a le devoir de prendre certaines mesures politiques pour se laver de ses péchés historiques. Dans la conception actuellement en vigueur, cela se traduit par la façon dont certains individus exhortent les pays européens à accueillir un nombre illimité de migrants culturellement dissemblables au seul motif qu’il s’agit là du seul moyen de s’amender pour le colonialisme et c’est un point crucial sur lequel nous reviendrons ultérieurement.
Nouveau fascisme
Le stéréotype autour du nouveau fascisme est grossièrement simpliste et il va de pair avec l’idée selon laquelle ce phénomène socio-politique ne peut germer qu’à l’extrême-droite de l’échiquier politique. Il est admis que l’expérience historique montre que cela s’est produit à de multiples reprises, au même titre que les documents historiques ne manquent pas pour montrer l’agressivité maintes fois déployée par la civilisation occidentale ; mais pris tels quels et sans le moindre développement, ces deux présupposés ne sont que partiellement corrects. Au même titre que l’agression civilisationnelle n’est pas du fait exclusif de l’Occident, le nouveau fascisme n’est pas uniquement lié aux tendances les plus à droite du paysage politique, pas plus qu’il n’est capable de n’émerger qu’en Europe. Si le fascisme est dépouillé du jargon racial et nationaliste spécifique qui caractérisa sa matérialisation lors de la période marquée par la Seconde Guerre mondiale et si l’on met de côté les associations économiques dont il a bénéficié (comme c’est typiquement le cas lorsque ce sujet est évoqué de nos jours) on peut aisément le résumer par l’imposition militante d’un ensemble typique de valeurs se voulant « universalistes » permettant ainsi aux analystes objectifs d’identifier plus clairement sa mise en pratique dans des contextes non-occidentaux et hors du champ de la droite, à travers le monde.
Sur la base d’une compréhension approfondie des fondements théoriques de ce qu’est véritablement le fascisme, il est possible de mobiliser cette notion en évoquant une multitude de cas sortants du cadre de l’expérience de la Seconde Guerre mondiale. L’exemple contemporain le plus parlant réside dans la violence avec laquelle les USA ont forcé des pays non-occidentaux tels que l’Afghanistan, l’Irak et la Libye à accepter leur conception de la « démocratie libérale » et des « droits de l’homme » quand bien même ces idées servent essentiellement de paravent pour justifier ex facto la décision de l’état profond de poursuivre ses objectifs géopolitiques au sein des régions prises pour cibles. Il est dès lors plus pertinent, d’un point de vue théorique, de convoquer la notion de nouveau fascisme lorsqu’il s’agit de qualifier les extrémistes islamistes, qu’on ait affaire à des acteurs non-étatiques tels que Daech ou à des États comme la Turquie néo-ottomane d’Erdogan. Ces deux types de protagonistes désirent sincèrement répandre leur sens des « valeurs » universalistes à travers le monde, y compris au moyen de procédés agressifs. Dans une acception plus strictement géographique, les dirigeants ukrainiens et les nationalistes hindous aspirent tous autant à accomplir quelque chose de semblable respectivement contre les Russes et les musulmans.
Dans les exemples cités plus haut, rien n’indique que les acteurs fascistes comportent une aile gauche et/ou « libérale-progressiste ». Les autorités ukrainiennes sont de toute évidence situées à droite, au même titre que les nationalistes hindous, toutefois il serait avisé de ne pas oublier que l’ancien président Bill Clinton était un libéral-progressiste de gauche, or cela ne l’a pas empêché de déclencher l’invasion « humanitaire » de la Somalie et de Haïti, ni de bombarder les Serbes en Bosnie et en Yougoslavie. En ayant cela bien en tête, il est possible de relier l’imposition fasciste de valeurs universalistes à la vision gauchiste, quand bien même Bill Clinton n’applique pas une forme dogmatiquement pure de cette idéologie (prouesse qu’aucun dirigeant politique n’a de toute façon été capable d’accomplir). Il est important que le lecteur garde à l’esprit la relation entre ceux qui se conçoivent comme des militants de gauche et le fascisme dans la mesure où la présente étude s’attachera à expliquer plus loin pourquoi cela s’articule pertinemment avec le problème récemment constitué du wahhabisme sécularisé.
Guerre de cinquième génération
À l’insu de la plupart des observateurs, les USA ont déjà précipité le monde dans la phase de la guerre de cinquième génération, dans laquelle des acteurs « neutres » et des procédés tels que les manifestations et l’immigration ont été mis en œuvre à des fins géostratégiques. Cela s’incarne aussi bien sous la forme des révolutions colorées que des « armes de migration de masse ». Nous nous pencherons en détail sur cette dernière notion dans la partie qui suit. Il est plus pertinent à cette heure de décrire le rôle que jouent les idées dans la guerre de cinquième génération, dans la mesure où cet objet d’étude est directement lié à l’agression civilisationnelle et au nouveau fascisme.
Toutes les civilisations, toutes les idéologies et tous les mouvements partisans comportent certains éléments préexistants qui les prédisposent à faire l’objet de manipulations extrémistes internes et d’exploitation géopolitique extérieure ; la religion islamique, les écrits théoriques de gauche et les réseaux défendant les droits des migrants se trouvent être les plus significatifs pour la présente étude. Chacun de ces éléments est susceptible d’être activé par des agents infiltrés et/ou extérieurs et leur propension à être effectivement mis en branle n’est plus à prouver. Daech et les Frères musulmans constituent les symptômes d’une vulnérabilité plus générale qui affecte l’islam, au même titre que Pol Pot est une génocidaire illustration de la façon dont l’idéologie gauchiste pourrait être mise au profit de funestes desseins. En ce qui concerne les réseaux de lutte en faveur des droits des migrants, cette cause a été cooptée via la « loi d’ajustement cubain » de 1966 (plus connue sous le nom de politique des « pieds secs, pieds mouillés ») dans le but d’optimiser la guerre démographique et économique menée contre La Havane et les partisans de l’immigration illégale en général participent naïvement à l’afflux massif d’une main-d’œuvre bon marché dans l’économie de leur pays.
Les exemples ci-dessus illustrent le fait que le domaine des idées n’est désormais plus, s’il l’a jamais été, une « zone sécurisée » inviolée et hors de portée de toute manipulation politique. Même l’idée la plus conventionnellement pacifique, le bouddhisme, a été subvertie pour en faire un instrument de déstabilisation dirigé contre les gouvernements chinois et birman ; ce qui en soi devrait inciter les gens à prendre le temps de réfléchir sur la façon dont d’autres idées, dont le caractère pacifique ne fait pas autant l’unanimité, peuvent aussi être manipulées. La guerre de cinquième génération exploite habilement le concept d’idées militarisées (particulièrement celles de l’islam, du gauchisme et de la défense des migrants) dans le but de faire advenir l’agression civilisationnelle et le nouveau fascisme et nous poursuivrons cet enchaînement d’idées dans la partie de l’étude à travers laquelle nous analyserons l’idéologie radicale fraîchement conçue du wahhabisme sécularisé et la menace qu’il représente pour la multipolarité.
Le catalyseur des migrants
Comprendre les fondamentaux
Aucun autre événement n’a fait plus pour catalyser l’agression civilisationnelle et le nouveau fascisme que la crise des migrants, qui est en soi un sous-produit stratégiquement conçu dans le cadre des guerres néo-impérialistes US dans la région Moyen-Orient Afrique du Nord (MENA). Pour résumer brièvement ce qui s’est passé, les USA ont tenté de renforcer leur position unipolaire au MENA par le biais des révolutions d’opérette dites des « printemps arabes ». Dès l’instant où certaines d’entre elles se sont sans surprise mues en sanglantes guerres hybrides, à l’image de celles qui se sont produites en Libye et en Syrie, les services de renseignement étasuniens se sont mis en branle en tirant profit de la crise humanitaire et en la transformant en arme de guerre de cinquième génération pour pouvoir en faire usage contre l’Union Européenne.
La motivation principale des USA dans cette entreprise était de reconfigurer géo-démographiquement l’Europe de sorte à entraîner un perpétuel état de tension hobbesienne entre les populations locales, les nouveaux arrivants et les gouvernements, tension pouvant dès lors être instrumentalisée sur commande pour déclencher une révolution colorée contre n’importe quel gouvernement dans le viseur de Washington. Dans le contexte d’une nouvelle guerre froide, les États-Unis ne veulent pas perdre leur position hégémonique sur l’UE et feront tout ce qui est en leur pouvoir pour empêcher des États européens clés tels que l’Allemagne de se livrer à une coopération pragmatique avec la Russie et la Chine. C’est particulièrement vrai dans le domaine des projets transnationaux multipolaires d’infrastructure connective, tels que le Turkish/Balkan Stream, le Nord Stream II et la Route de la Soie des Balkans, dans la mesure où l’aboutissement de tels projets entraînerait une baisse notable de l’influence US sur le continent et favoriserait le développement d’une sensibilité plus favorable à la multipolarité en Europe.
En réponse aux engagements proposés par la Russie et la Chine à l’UE, les États-Unis ont effectué un tour de force retentissant en faisant travailler leurs agences de renseignement ainsi que des réseaux d’ONG avec la Turquie afin de coordonner le déversement de plus d’un million de migrants issus de creusets civilisationnels extra-européens sur l’Europe. Il était largement possible de prévoir avec beaucoup d’avance, même par les analystes européens les plus novices, que la situation socio-politique, économique et historique de l’UE, particulièrement dans le contexte de la grande récession en cours, prédisposait le continent à être extraordinairement déstabilisé par un tel afflux de migrants indépendamment de leur affiliation civilisationnelle, même si le fait que la majorité d’entre eux soient arabo-musulmans constitue un facteur aggravant dans cette crise.
Sensibilités civilisationnelles
Un arabo-musulman n’est pas intrinsèquement déstabilisateur ou agressif, seulement la situation particulière de l’UE rend la population autochtone extrêmement nerveuse face à un afflux incontrôlable de migrants issus de ce groupe civilisationnel. De même, l’Inde manifeste une attitude analogue à l’égard des musulmans (qu’ils soient arabes, sud-asiatiques ou issus de n’importe quelle autre aire géographique) et New Delhi a même été jusqu’à refuser de signer la Convention de Genève de 1951 sur les réfugiés qui l’aurait légalement contrainte à s’occuper des réfugiés musulmans qui avaient fui après la violente partition de 1947 et qui aurait peut-être même conféré à ces derniers le droit de revenir de façon permanente. On trouve un autre exemple de civilisation structurellement sensible aux afflux démographiques de grande ampleur et incontrôlables dans la population des natifs américains de l’hémisphère occidental à l’aube de la colonisation transatlantique. Que ce soit les tribus des grandes plaines, les Aztèques ou les Incas, entre autres, aucune des civilisations présentes dans ce qui serait plus tard connu sous le nom d’Amérique du Nord et du Sud n’était préparée à faire face aux Européens et cela s’explique par les circonstances historiques dans le cadre desquelles s’est produite la confrontation (tribus décentralisées et éparpillées, armement inférieur, croyance selon laquelle les hommes blancs à cheval étaient des dieux, etc.).
Dans chacun de ces exemples, rien ne justifie ni n’excuse la moindre réaction hostile injustifiée de la part des populations autochtones à l’égard des nouveaux arrivants culturellement dissemblables et il n’est pas dans les intentions de l’auteur d’encourager la moindre violence et/ou discrimination que ce soit à l’encontre de quiconque, attitude qui serait tout aussi inacceptable de la part d’une personne allogène vis-à-vis de qui que ce soit en dehors du cadre strict de la légitime défense. Le but de cette réflexion autour des sensibilités civilisationnelles est plutôt d’offrir un point de vue sur les conditions préalables d’ordre psychologique et culturel concernant les sujets abordés et de montrer que les réactions négatives (qu’elles soient justifiées ou pas) sont prévisibles à chaque fois que se produisent des interactions à grande échelle, prolongées et incontrôlables entre des civilisations dissemblables au sein des sociétés civiles. Lorsqu’un protagoniste prévoit la façon dont ses homologues réagiront dans ces circonstances et prend des mesures concrètes pour mener à bien le scénario pratique qu’il avait planifié, le processus précédemment mentionné devient le type d’« arme de migration de masse » que Kelly M.Greenhill a dévoilé dans son étude du même nom datant de 2010, dans laquelle elle a prouvé de manière concluante qu’il existe au moins 56 cas où des États tirent intentionnellement profit du déclenchement, de la provocation et de l’exploitation des vagues de migrations humaines.
Sans surprise
Il est important que le lecteur soit conscient que le chaos actuel en Europe n’était pas imprévisible et qu’il fut d’ailleurs prédit dans une certaine mesure par des figures crédibles et éminemment respectées telles que les présidents Poutine et Assad, qu’on ne peut nullement qualifier de « xénophobes » de « racistes » ou de « fascistes ».
En 2012, Poutine, alors Premier ministre, s’est exprimé dans un manifeste anti-immigration, écrit à l’occasion de sa campagne pré-électorale pour la présidence, sur les « flux migratoires colossaux » qu’il qualifiait de « grande migration » exprimant le regret de constater la dramatique impréparation de la société occidentale pour y faire face et annonçant l’un des défis imminents qui surviendraient par la suite :
« Le creuset de l’assimilation est hautement instable – poussé à ses limites par un flot migratoire ininterrompu. En politique, cela se traduit par un ‘multiculturalisme’ qui rejette l’intégration par l’assimilation. S’il considère le ‘droit à la différence des minorités’ comme absolu, il se soucie peu de le mettre en balance avec les responsabilités publiques, comportementales ou culturelles vis-à-vis de la population et de la société dans leur ensemble. Certaines communautés ethnico-religieuses fermées qui se forment dans divers pays refusent non seulement de s’assimiler mais aussi de s’adapter. Il existe des quartiers et des villes entières où des générations de nouveaux arrivants vivent des allocations et ne parlent pas la langue du pays dans lequel ils vivent. La montée de la xénophobie au sein de la population et les âpres tentatives de défendre ses intérêts, ses emplois et ses prestations sociales contre les ‘rivaux immigrés’ constituent la réponse que l’on observe dans ce modèle comportemental. Les peuple, heurtés par ce qu’ils perçoivent comme une pression agressive sur leurs traditions ou leurs modes de vie éprouvent une crainte sincère de perdre leur identité nationale.
Des politiciens européens parfaitement respectables ont commencé à parler ouvertement d’une faillite du ‘projet multiculturel’. Ils exploitent la ‘carte ethnique’ pour rester en fonction, mêlant leurs voix au chœur de ceux qu’ils ont longtemps considérés comme des marginaux ou des radicaux. Des forces extrémistes, à leur tour, prospèrent rapidement, revendiquant de sérieuses prétentions au pouvoir. En fait, il est question d’assimilation forcée – sur fond de ‘fermeture’ et de durcissement drastique des règlements sur l’immigration. Des peuples de cultures différentes sont confrontés à un choix : soit ‘se fondre dans la majorité’, soit rester des minorités ethniques isolées, en dépit des droits et des protections de toutes sortes qui leur sont octroyés. Mais dans les faits, elles se retrouvent écartées des opportunités de carrières porteuses. Je le dirai franchement – il est peu probable qu’un individu qui se retrouve dans cet environnement se montre loyal envers son pays. »
Alors que la guerre en Syrie battait déjà son plein, le président Assad, à l’occasion d’une interview avec le Frankfurter Allgemeine en juin 2013, formulait la mise en garde suivante :
« Si les Européens fournissent des armes, l’arrière-cour de l’Europe deviendra un repaire pour les terroristes et le vieux continent en paiera le prix. Le terrorisme entraînerait le chaos ici. Le chaos mènerait à la pauvreté et la pauvreté impliquerait que l’Europe perde un marché important. Le second effet consisterait en l’importation directe du terrorisme vers l’Europe. Des terroristes aguerris au combat et porteurs d’une idéologie extrémiste feraient leur retour. »
Près de deux ans après, au cours d’un discours célébrant le 70e anniversaire de la victoire russe durant la Seconde Guerre mondiale et la défaite des fascistes, le président Poutine a averti tout le monde :
« L’aventure inconsidérée d’Hitler a donné une sévère leçon à méditer pour la communauté internationale entière. À cette époque, durant les années 30, l’Europe éclairée s’est montrée incapable de percevoir la menace mortelle qui résidait dans l’idéologie nazie. De nos jours, soixante-dix ans après, l’histoire en appelle de nouveau à notre sagesse et notre vigilance. Nous ne devons jamais oublier que les idées de suprématie et d’exclusivités raciales ont provoqué les guerres les plus sanglantes que l’on ait connues. »
Plus tard, en décembre 2015, le président Assad a explicitement mis en garde contre l’infiltration de l’Europe par des terroristes se faisant passer pour des « réfugiés » et a évoqué certains défis auxquels les authentiques réfugiés devraient faire face une fois arrivés en UE :
« Question 18 : Que devrait faire l’Europe à présent ? L’Europe devrait-elle craindre ces gens ou les aider ?
Président Assad : Cela dépend. Tout d’abord, une large part de ces gens ne sont pas des Syriens. Pour ce qui est des Syriens, c’est un mélange, disons que la majorité est composée de bons Syriens, le peuple patriotique, naturel, mais il y a bien entendu des terroristes infiltrés parmi eux. C’est un fait, mais combien et dans quelles proportions ? On ne peut le dire, c’est difficile de donner une estimation, mais c’est une réalité et je crois que vous pouvez trouver des preuves sur l’internet, des photos, des vidéos qui prouvent que certaines personnes qui ont tué des gens et coupé des têtes ici sont parfois partis pour l’Europe en se faisant passer pour des citoyens pacifiques.
Journaliste : Mais globalement, faut-il aider ou avoir peur ?
Président Assad : Cela dépend de la façon dont l’Europe se chargera d’eux, car on ne parle pas seulement de terrorisme, il est aussi question de culture, avant même la crise, avant le flot de réfugiés s’acheminant vers votre pays, le problème en Europe est celui de l’intégration de ces cultures dans votre société. Et je pense que l’Europe a échoué, que ce soit lié à la façon dont elle a géré la situation ou à cause des institutions wahhabites qui investissent leur argent pour déformer l’interprétation de l’islam par les musulmans en Europe et qui ont créé plus de problèmes et d’extrémisme dans vos pays. À vrai dire, cette région a déjà envoyé par le passé de l’extrémisme en Europe. Dans la crise que nous traversons, l’Europe nous envoie également de l’extrémisme. Donc cela dépend de la façon dont vous allez prendre les choses en main et je ne pense pas qu’il sera aisé de mener à bien l’intégration. »
Poursuivant la réflexion sur les problèmes sociaux et sécuritaires soulevés par la crise des migrants, le premier ministre Dimitry Medvedev fit part de ceci lors de la Conférence de Munich sur la sécurité en février 2016 :
« Le capital humain se désagrège dans les pays qu’abandonnent les réfugiés. Et les perspectives de développement de ces pays sont revues à la baisse. La crise migratoire en cours prend rapidement la tournure d’une catastrophe humanitaire, en tout cas pour certaines parties de l’Europe. Les problèmes sociaux s’accroissent également, au même titre que l’intolérance et la xénophobie. Sans parler du fait que des centaines et des milliers d’extrémistes pénètrent en Europe sous le statut de réfugiés. D’autres migrants sont des gens d’une culture absolument différente qui aspirent seulement à profiter des avantages financiers sans avoir à fournir le moindre travail pour y accéder. Cela présente un véritable danger pour l’espace économique commun. Les prochaines cibles seront l’espace culturel et même l’identité européenne. Nous observons avec regret la destruction de dispositifs de grande valeur dont la Russie a également besoin. Je fais allusion à l’effondrement effectif de l’espace Schengen. »
Invité par un journaliste à s’exprimer sur la crise migratoire alors qu’il tenait une conférence de presse durant la visite du premier ministre hongrois Viktor Orban à Moscou le mois dernier, Poutine a fait remarquer ceci :
« Je pense que nos (Russie et Hongrie) points de vue coïncident largement. Mais le problème des réfugiés est une affaire intérieure propre à l’UE. Nous n’empiétons pas sur de telles problématiques. Nous savons qu’un débat sur cette question se tient actuellement au cœur de l’Union Européenne. Notre peuple est solidaire de la position prise par le gouvernement et le premier ministre hongrois, le désir de défendre l’identité européenne ainsi que l’identité nationale hongroise. »
Démontrant le sérieux avec lequel le président russe se préoccupe de la menace sécuritaire que présentent les jihadistes déguisés en réfugiés, Poutine a ordonné au FSB à la fin du mois qu’il trace tous les réfugiés entrant dans le pays et y transitant, déclarant au cours d’une réunion d’organisation la chose suivante :
« Il est important de boucler efficacement le territoire russe dès à présent contre les terroristes tentant d’y entrer depuis le Moyen-Orient ou d’autres régions et d’agir promptement pour identifier et neutraliser ceux qui prennent part à des activités terroristes à l’étranger. Nous devrions resserrer la surveillance des flots de réfugiés venant en Russie ou transitant vers les pays européens. À cet égard, je veux ajouter que cette crise des réfugiés a commencé bien avant que la Russie n’entame son opération antiterroriste en Syrie. À l’origine de cette crise des réfugiés se trouve la déstabilisation de régions entières du monde, particulièrement au Moyen-Orient. Nous voyons parfaitement aujourd’hui ce qui est en train de se produire avec certains réfugiés, comme sur la frontière macédonienne, par exemple. Ce sont des réfugiés en provenance d’Afghanistan. Qu’est-ce que l’opération russe en Syrie a à voir avec eux ? »
En tenant compte de toutes les déclarations documentées ci-dessus par les dirigeants russe et syrien, tous deux tenus en la plus haute estime par les défenseurs sincères du monde multipolaire, on peut objectivement affirmer que la crise des migrants préparée et orchestrée en amont a contraint l’Europe à faire face à de graves enjeux. Si c’est indiscutablement avéré, particulièrement depuis que Poutine, Assad et Medvedev l’ont confirmé, il reste une fraction marginale mais bruyante de militants se réclamant de la mouvance multipolaire qui refuse de reconnaître le fait que la réalité de la situation contredit leur fanatisme idéologique profondément ancré. Comme on pouvait s’y attendre, ce groupe d’agités forme le noyau (que ce soit délibéré ou non) du nouveau fascisme qui favorise activement l’agression civilisationnelle ainsi que le dé-tricotage des succès multipolaires engrangés jusque-là.
Andrew Korybko
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