16 avril 2018

Dette colossale de la SNCF due aux mauvaises décisions des gouvernements successifs


La question de la dette colossale de la SNCF n’est pas abordée par la réforme en débat au Parlement, pas plus que des pistes pour son désendettement. Mais le statut des cheminots est pointé du doigt et la concurrence présentée comme la solution.

Cachez cette dette que je ne saurais voir ! 

Alors que la SNCF est réputée «perdre» 3 milliards d'euros par an, et crouler sous un endettement estimé à 50 milliards (bien plus en réalité) les mots «dette» et «endettement» n’apparaissent pas une seule fois dans le texte initial du Nouveau pacte ferroviaire, le projet de réforme de l'entreprise nationale des chemins de fer, qui a fêté discrètement son 80e anniversaire au début de l'année.

Le rapport Spinetta, du nom du haut fonctionnaire qui l’a rédigé à la demande du Premier ministre et qui a largement orienté le projet de réforme, faisait pourtant des recommandations autour de trois thèmes principaux : «Recentrer le transport ferroviaire dans son domaine de pertinence, créer les conditions d’un retour à l’équilibre économique, et préparer l’ouverture à la concurrence.»

Mais dans le projet de loi, il est peu question de retour à l’équilibre, mais principalement d’ouverture à la concurrence et de changement de statut juridique de la SNCF. Dans un document destiné au public et publié avant le débat au Parlement, l’entreprise plaçait l’ouverture à la concurrence au premier rang des «bénéfices [à attendre de la réforme] pour les clients et les Français». Selon ce document, en Europe, l'arrivée de nouveaux opérateurs privés aurait fait baisser pour les opérateurs publics le coût du train au kilomètre, et augmenter la part du trafic ferroviaire dans l’ensemble des déplacements.

Mieux, la SNCF précise que grâce à la concurrence, en Autriche, un nouvel opérateur propose désormais une offre intercités équivalente à celle de l’opérateur historique, mais enrichie de services supplémentaires, tels que le wifi gratuit à bord et la restauration rapide. Et en Italie, «le nouvel entrant NTV propose quatre classes différentes dans ses trains : cabine, 1ère classe, confort, smart/économie».

Dans son exposé des motifs de la réforme, Elisabeth Borne, ministre des Transports expliquait plus précisément que cette nouvelle loi avait pour but de construire «une nouvelle SNCF» ; de «faire évoluer l’organisation du groupe public […] afin d’en améliorer la performance ; et de l’adapter au nouvel environnement dans lequel il doit s’inscrire».

En langage clair : abandonner progressivement le statut des cheminots, dégager davantage de bénéfices et préparer l'entreprise à la concurrence.

La SNCF est bénéficiaire et a réalisé près d'un milliard de gains de productivité

Et la dette dans tout ça ?

Gérald Darmanin, le ministre des Comptes publics, a balayé la question dans une interview accordée à RTL le 27 février. Pour lui, «le problème n'est pas le stock de dette», et d’expliquer : «Quand bien même nous effacerions la dette d'un coup de baguette magique, nous recréerons dans 10 ans, dans 20 ans, le même stock de dette si nous ne changeons pas profondément la société […] parce qu'il y a aussi la rigidité, il y a des horaires de travail, il y a tout un tas de fonctionnements qui est effectivement compliqué, complexe et qui coûte cher à l'entreprise.»

Le problème de la dette serait donc celui de la «performance» de l'entreprise, en raison de ses horaires et d’«un tas de fonctionnements qui est effectivement compliqué, complexe et qui coûte cher» et qui ferait perdre de l'argent à l'entreprise publique ? Les comptes officiels et publics de la SNCF pour l’année 2017 dressent pourtant plutôt un tableau flatteur de cette «performance» de l’entreprise.

Ainsi, le communiqué de presse qui les accompagne, annonce un chiffre d’affaires de 33,5 milliards d’euros en progression de 4,2%, «830 millions d'euros de gains de productivité qui permettent de dégager une marge opérationnelle de 4,6 milliards d’euros» et un résultat net récurrent (part du groupe) de 679 millions d’euros. Cela signifie non seulement que la SNCF ne perd officiellement pas d’argent, mais que sa productivité augmente dans des proportions tout à fait significatives. Une fois retranchés des recettes les charges salariales, les achats et même le remboursement de la dette, l’entreprise réussit quand même à dégager un bénéfice net après impôt en fin d’exercice annuel.

Pour mieux le comprendre, il faut se rappeler que ce sont des comptes «consolidés». C'est-à-dire qu'ils agrègent les résultats des trois établissements publics de la SNCF. Et donc, les pertes opérationnelles du réseau (SNCF Réseau) sont compensées par les bénéfices de l'activité commerciale (SNCF Mobilités).

En revanche, l'entreprise publique nationale alerte sur la situation financière de SNCF Réseau – un des trois établissements publics qui composent l’ensemble – «lourdement pénalisé par une dette nette de 46,6 milliards d’euros, qui augmente encore de 1,7 milliard d’euros en 2017». En résumé, ce n’est pas parce que son activité serait déficitaire que la SNCF accumule une dette qui représente déjà près de 3% du produit intérieur brut de la France, mais parce qu’elle continue chaque année à s’endetter pour entretenir le réseau, qui contrairement à celui des routes nationales, n’est pas pris intégralement en charge par l’Etat.

Le fardeau de la dette, résultat de décisions politiques des gouvernements et non du statut des cheminots

Et ça n’est pas près de s’arranger. En effet, Bercy a annoncé le 22 mars dernier la commande à Alstom de 100 TGV du futur pour un montant estimé à 2,5 milliards d’euros. Le gouvernement a ainsi grillé la politesse au conseil d’administration de l’entreprise en déclarant : «Nous confirmons la commande [...] celle-ci doit passer devant le conseil d'administration de SNCF Mobilités soit fin avril, soit fin juin. En tout état de cause la décision est prise, elle sera effective.»

Il n'y a pas eu d'explication à l'urgence de cet investissement au vu de la situation actuelle de la SNCF. Mais cette commande a le mérite d'assurer l'activité du site historique du TGV, l'usine Alstom de Belfort, au moins jusqu'à la fin du quinquennat. C'est d'autant plus surprenant qu'Emmanuel Macron le président de la République, avait martelé à plusieurs reprises que la priorité, c'était désormais «les transports du quotidien». Ce terme employé dans le rapport Spinetta désigne principalement les trains intercités et aucunement le TGV.

Aussi, l'endettement est plutôt dû aux décisions politiques qui, depuis des décennies sont imposées à l'entreprise publique et à ses employés.

Quant aux performances de la SNCF, il est en réalité très difficile de s’en faire une idée précise tant les comptes publics de l'entreprise se révèlent un maquis. Interrogé par RT France, l’expert en stratégie de finances d’entreprises Michel Noiry, président d’Origa Consulting, lit dans le rapport qu'un tiers du chiffre d’affaires est réalisé à l’international, mais ne voit aucune indication sur la contribution de l'international au résultat de l’entreprise. Si l’on suppose que ce tiers est en grande partie composé du chiffre d’affaire du groupe Kéolis, filiale de SNCF Mobilités opérant dans des cadres réglementaires concurrentiels, il aurait été intéressant de pouvoir comparer sa productivité avec celle de l’activité France.

Les commissaires aux comptes émettent des réserves sur le bilan financier

L’expert s’étonne aussi qu’on parle d’un endettement pour un montant de 50 milliards d’euros, une grosse approximation. Lui a lu dans les comptes une dette financière de 66,5 milliards (passifs financiers non courants) plus 13,4 milliards de dettes d'exploitation, contre un montant de 54 milliards d’euros indiqué dans le corps du rapport. Autre détail troublant, le rapport des commissaires aux comptes est rendu, fait plutôt rare, assorti de la mention «Opinion avec réserves». Il y en a plusieurs et elles portent sur l'évaluation d'environ 9 milliards d'euros d'actifs sur laquelle ils émettent un doute. Selon eux, une «approche prudente équivaudrait à passer des provisions supplémentaires et donc à comptabiliser des charges et sans doute des pertes en 2017».

Malgré tout, selon la ministre défendant le texte le 9 avril devant le Parlement, la solution passerait d'abord par le changement de statut de l’entreprise. C’est ce statut qui devrait «obliger» à régler le problème de la dette du groupe ferroviaire et non pas une démarche d'urgence du gouvernement pour arrêter le désastre, via une structure de défaisance, par exemple. Mais le gouvernement semble ne même pas envisager cette hypothèse, en tout cas, pas avant d'avoir fait passer la réforme. Faut-il dès lors y voir une sorte de marché, consistant en une reprise de la dette par l’Etat contre l'ouverture à la concurrence et la suppression future du statut des cheminots ?

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