17 avril 2018

De l’importance d’avoir l’air dangereux


C’est un travail difficile d’être un hégémon mondial et la seule superpuissance du monde. Vous devez garder la planète entière bien alignée. Chaque pays a besoin d’être renseigné sur sa place et gardé là, par la force si besoin est. De temps en temps un pays ou deux doit être conquis ou détruit, juste pour donner une leçon aux autres. De plus, vous devez vous mêler sans relâche de la politique des autres pays, truquer les élections afin que seuls les candidats favorables aux États-Unis puissent gagner, mener des opérations de changement de régime et organiser des révolutions colorées. Si vous cessez de le faire, certains pays vont commencer à vous ignorer. Et le reste réalisera rapidement que vous perdez le contrôle et ils commenceront à s’émanciper.

Les États-Unis sont-ils toujours la plus grande puissance du monde, contrôlant toute la planète, ou ce moment de l’histoire est-il déjà en train de passer ? Nous entendons constamment parler de la situation géopolitique : les relations entre les États-Unis et les pays de l’OTAN d’un côté et la Russie de l’autre vont de mal en pis ; il y a une guerre commerciale en cours avec la Chine ; La Corée du Nord reste un problème insoluble et un embarras. Beaucoup de gens soutiennent que nous sommes très proches d’une guerre mondiale. Mais « très proche » signifie-t-il réellement quelque chose ? Il est tout à fait possible de rester des heures avec ses orteils suspendus au bord d’une falaise et de ne jamais sauter. Le suicide est une grande décision : même pour une personne et encore plus pour un grand pays.

Le 1er mars 2018, le président Poutine a dévoilé les nouveaux systèmes d’armement de la Russie contre lesquels les États-Unis sont sans défense et le resteront dans un avenir prévisible. Auparavant, le plan était de cerner la Russie par des bases militaires et des batteries de missiles, puis de lancer une première frappe préventive, détruisant sa capacité à riposter et l’obligeant à capituler. Ce plan a maintenant échoué de manière évidente et une attaque des États-Unis et de l’OTAN contre la Russie est de nouveau une garantie de suicide. Pire encore, même des affrontements militaires limités sont maintenant impensables car la Russie peut désormais infliger des dommages inacceptables aux forces américaines et de l’OTAN, à distance et sans mettre en danger ses propres biens. Si la Russie n’attaque pas et si les États-Unis et l’OTAN ne peuvent pas attaquer, quelle est la probabilité d’une guerre ?

Les nouveaux systèmes d’armes ont permis à la Russie de commencer à ignorer les États-Unis. Il est toujours important de maintenir une posture militaire crédible, mais politiquement, les États-Unis ne contrôlent déjà plus le monde, pas plus que les institutions mondiales sur lesquelles ils se sont appuyés. Au lieu de cela, ce que nous voyons est la réapparition des États-nations et même des empires. L’avenir politique de la Syrie est décidé par la Russie, la Turquie et l’Iran, sans aucune contribution utile des États-Unis. De manière significative, alors que la Russie et l’Iran sont déjà indépendants des États-Unis, la Turquie a été un de leurs alliés et elle est la deuxième force armée de l’OTAN. Le fait que la Turquie ne soit plus désireuse de plaire aux Américains est assez révélateur.

Sauf pendant l’étrange et tumultueux XXe siècle au cours duquel les États-Unis ont brièvement dominé la scène mondiale, ces trois pays ont suivi différents chemins, dont au moins une des dénomination contenait le mot « empire » : l’Empire russe, l’Empire ottoman et l’Empire perse. Des trois, les empires russe et ottoman furent les héritiers du Saint Empire romain germanique, dont la moitié orientale − avec Constantinople, sa capitale − continua à exister pendant des siècles après que Rome fut devenue une ruine dépeuplée et qu’un âge sombre tombait sur l’Europe. Après, Constantinople est tombée aux mains des Turcs et l’islam a pris le contrôle de la région, le centre du christianisme orthodoxe a, lui, migré vers le nord à Moscou. Maintenant, ajoutez la Chine ou l’Empire chinois si vous voulez, qui est maintenant aligné avec la Russie et complétez le tableau : tous les plus grands et les plus anciens empires eurasiens sont revenus sur le devant de la scène, se parlent et coopèrent, tandis que le parvenu de l’autre côté de la planète n’est même plus invité.

Compte tenu de cette situation, que doivent faire les États-Unis ? Ils ont trois choix. Le premier est de déclencher une guerre majeure, commettant ainsi un suicide national (tout en emportant d’autres pays avec eux). Ils n’ont pas la volonté politique de prendre cette décision, bien qu’ils puissent lancer une guerre majeure par accident. Le deuxième choix consiste simplement à se coucher : renoncer à essayer de projeter leur pouvoir autour du monde, se retirer dans leurs propres frontières et lécher leurs blessures. Ils n’ont pas la volonté politique de le faire également ; tout ce qui reste comme possibilité est de prétendre que tout va toujours bien aussi longtemps que possible.

Mais comment est-il possible de prétendre que tout va toujours bien alors que tout s’effondre ? La réponse est de commencer à faire semblant. Si les États-Unis réussissent à convaincre suffisamment de gens, ici et ailleurs dans le monde, qu’ils sont encore dangereux, ils pourront cacher leur affaiblissement croissant pendant un certain temps. Ils ne sont peut-être plus capables de réaliser aucun de leurs objectifs, mais encore très capables de meurtres de masse, comme l’ont récemment démontré les bombardements « de la coalition » américaine à Mossoul et à Raqqa, qui sont maintenant en ruines. Des actes similaires de meurtres de masse ont été commis au Yémen par le proxy arabo-saoudien de l’Amérique, ainsi que par leur proxy ukrainien dans le Donbass.

Mais même les occasions de commettre impunément des meurtres de masse aveugles sont de moins en moins nombreuses, forçant les États-Unis à recourir à plus d’actes de violence de seconde zone. Pour justifier ces actes, les États-Unis (et une grande partie de l’Europe) se ridiculisent aux yeux du reste du monde en utilisant un mur élaboré de non-sens complet. Une des histoires préférées a à voir avec les armes chimiques rêvées comme source d’un effroi primordial. Jetez un coup d’œil à la récente attaque à la roquette des israéliens contre la Syrie. Elle était justifiée par l’utilisation, de toute évidence, de fausses séquences vidéo produites par les Casques blancs, un groupe connu pour avoir organisé de faux événements terroristes. À ce stade, ils ne se soucient même plus de l’apparence de leur produit : cette fois-ci, ils n’ont pas pris la peine d’expurger le clap initial (utilisé pour synchroniser la vidéo avec le son). Le décor était évidemment celui d’un décor de cinéma mais la qualité de la production manquait vraiment à l’appel. Au lieu de cela, nous avions des acteurs, certains portant des casques blancs, mais aucun équipement de protection, déversant des seaux d’eau sur des enfants frissonnants.

Comment cela est-il censé avoir un sens ?

Et puis notez que les roquettes (cinq ont été abattues par les Syriens, seulement trois sont passées) sont venues d’Israël. Pourquoi Israël ? Parce que les Russes avaient averti les États-Unis qu’ils savaient que la provocation par de fausses armes chimiques était organisée comme prétexte pour lancer une attaque à la roquette et qu’ils allaient tirer non seulement sur les roquettes mais aussi sur ceux qui les lancent. Par conséquent, les Américains ont décidé qu’il serait trop risqué de lancer l’attaque depuis des navires de la marine et ont demandé aux Israéliens de lancer eux-mêmes quelques missiles sur une base aérienne éloignée en Syrie, pensant à juste titre que les Russes ne riposteraient pas immédiatement contre Israël si aucun Russe n’était touché, sachant qu’il n’y aurait pas de Russes sur cette base aérienne pendant leur attaque. Ceci est, d’une part, assez pathétique mais d’autre part, cela montre que les Américains sont encore capables d’un minimum de pensée rationnelle.

C’est une étrange période de l’histoire que nous traversons. Les États-Unis mentent sans arrêt (puisque la vérité n’est pas de leur côté) tout en prétendant être encore dangereux en commettant des meurtres de masse (à petite échelle, qu’ils peuvent être sûrs de mener en toute impunité). Pendant ce temps, le suicide national (via une guerre à grande échelle) et la décision de terminer tout le projet impérial restent politiquement impossibles. Combien de temps cette période étrange et instable de non-sens meurtrier peut-elle persister ? Difficile à dire, votre estimation est aussi bonne que la mienne. Mais elle ne peut évidemment pas durer longtemps. Donnez-lui quelques années, ou moins.

Dmitry Orlov 

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