26 avril 2018

À propos des « nouveaux missiles intelligents » de Trump et des sites d'« armes chimiques » en Syrie

V1
Tout au long du XXe siècle, la capacité des Américains à projeter une aura de puissance et à dominer la géopolitique mondiale fut, dans une large mesure, fondée sur la perception générale selon laquelle les États-Unis étaient la force militaire la plus puissante au monde. Dans la plupart des cas, la simple menace, la simple évocation de ce génie militaire suffisait à « faire avancer les choses » à l'américaine, ou à occidentale. Aux yeux de l'Establishment américain, il est donc capital d'entretenir cette croyance répandue dans la suprématie militaire américaine, et tout événement susceptible d'exposer une réalité différente doit être évité à tout prix. Lorsque les Américains/Occidentaux font une démonstration de puissance militaire, une campagne de propagande minutieuse et une gestion médiatique des résultats s'avère nécessaire, et cela inclut des mensonges purs et simples sur la performance de la technologie militaire utilisée. Rien d'étonnant à cela.


À titre d'exemple, au cours de la première guerre du Golfe de 1990, la performance des missiles Patriot US utilisés pour abattre les missiles Scud irakiens tirés sur Israël, l'Arabie saoudite et le Koweït fut saluée par les puissances occidentales et les médias. Un taux de réussite de 95 % fut revendiqué à l'époque, le président George Bush affirmant que le bilan du Patriot était « presque parfait ». Au cours de l'année suivante, cependant, l'armée américaine baissa cette estimation à 79% pour les missiles Scud tirés sur l'Arabie Saoudite et à 40% pour ceux tirés sur Israël. Un rapport ultérieur du General Accounting Office conclut que les missiles Patriot n'avaient détruit que 9% des Scud visés. Les Forces de défense israéliennes estimèrent le taux de réussite à seulement 2%.

La nuit du 25 janvier 1991, à Tel Aviv, trois Patriots tirés en l'air retombèrent et explosèrent au sol. Deux d'entre eux frappèrent des zones résidentielles, et le journal israélien Ma'ariv rapporta à l'époque qu'un Israélien avait été tué, 44 autres blessés et que 4156 appartements avaient été détruits. Cet incident et quelques autres du même genre amenèrent Ted Postol, un scientifique du MIT spécialiste des armes, à témoigner en ces termes devant une commission du Congrès : « Si nous n'avions pas tenté de contrer les Scud, l'étendue des dégâts n'aurait peut-être pas été pire que ceux que nous avons effectivement subis. »

Dans un documentaire diffusé à la télévision israélienne en 1993, Moshe Arens, ministre israélien de la Défense pendant la guerre du Golfe, le général Dan Shomron, chef d'État-major des forces de défense israéliennes pendant la guerre, et Haim Asa, membre d'une équipe technique israélienne qui avait travaillé avec des Patriots pendant la guerre, ont tous trois dénigré le système antimissiles Patriot. Le général Shomron a qualifié de « mythe » les récits concernant le succès des Patriots. M. Asa les a qualifiés de « plaisanterie ». Tous allaient dans le sens d'un rapport établi en 1991 par l'armée de l'air israélienne et qui concluait qu'« il n'existe aucune preuve d'interception réussie - pas même d'une seule », bien qu'il y ait « des preuves circonstancielles d'une possible interception ».

Le point à retenir ici est que les États-Unis ont l'habitude de mentir sur l'efficacité de leurs missiles.

Après que plus de 100 missiles de croisière ou apparentés ont été tirés sur des cibles en Syrie au petit matin du 14 avril, le président Trump a déclaré « mission accomplie » et a tweeté qu'il s'agissait d'une « frappe parfaitement exécutée ». Les responsables du Pentagone ont déclaré qu'aucun des 105 missiles alliés n'avait été touché par les systèmes terrestres antimissile syriens de l'ère soviétique, que les raids avaient été « précis et implacables » et que les défenses aériennes syriennes restaient « largement inefficaces ».

Un point important qui semble s'être perdu dans les limbes de l'offensive de propagande médiatique est que seuls 3 sites ont été ciblés et touchés. Ou, du moins, c'est la version officielle. Le lieutenant-général Kenneth F. McKenzie a déclaré samedi aux journalistes que la cible principale de l'opération était le Barzeh Research and Development Center, situé dans la périphérie de Damas. Au total, 76 missiles, dont 57 missiles Tomahawk, ont été tirés sur l'installation, a-t-il annoncé. Il a également déclaré que 22 missiles avaient visé un « site de stockage d'armes chimiques » près de Homs, et 7 autres un « bunker d'armes chimiques » situé dans la même zone.

Le général Joseph Dunford, chef d'État-Major des armées des États-Unis, a confirmé que seules ces trois cibles avaient été touchées : le « centre de recherche scientifique » de Barzeh dans la périphérie de Damas, centre qui, selon lui, était dédié à la recherche, au développement, à la production et aux essais d'armes chimiques ; une installation située juste à l'ouest de Homs, qui, selon les États-Unis, était un centre de production de gaz sarin ; et un poste de commandement situé près de la première installation.

Le « centre de recherche scientifique » de Barzeh n'est pas vraiment un « centre de recherche scientifique ». Il s'agit avant tout d'une université, celle du "Higher Institute for Applied Science and Technology", ou HIAST [Institut supérieur des sciences appliquées et de la technologie] :

« HIAST a été créé en 1983. Son but est de former le personnel à la recherche scientifique et technologique dans tous les domaines des sciences appliquées et de la technologie, afin qu'il puisse participer au processus scientifique et économique en Syrie. HIAST offre la possibilité de progresser dans les domaines de la recherche appliquée en s'inscrivant à des cours pour obtenir un diplôme, une maîtrise et un doctorat d'ingénieur ».
 
Vous pouvez jeter un œil au site Web de l'université.

Dans le cadre de leurs « investigations » concernant les allégations du gouvernement américain selon lesquelles cette université abritait un « site d'armes chimiques », les médias ont reproduit des images satellite de la zone ciblée, avant et après la frappe du missile. Ces images ont été fournies aux médias par le gouvernement américain.


Le campus de l'HIAST avant les frappes.

Le campus de l'HIAST après les frappes. Peut-être que les médias préfèrent les images satellites granuleuses, dont le caractère flou leur confère une aura de mystère et permet de créer une distance entre le lecteur et la réalité des images qui lui sont présentées. Malgré cela, je ne comprends pas pourquoi les journaleux des médias occidentaux ne sont pas simplement allés sur Google Maps pour voir par eux-mêmes à quoi ressemble le campus HIAST.

Ci-dessous, une image du campus HIAST dans son ensemble, prise sur Google Maps. On peut voir qu'il est situé à la périphérie de l'arrondissement de Barzeh, dans le grand Damas. Le « laboratoire d'armes chimiques » - la zone du campus visée par les missiles américains - est encerclé en rouge.

 
Et voici une vidéo montrant plusieurs personnes marchant au milieu des ruines des « bâtiments d'armes chimiques » 24 heures après le bombardement desdites armes chimiques par 76 missiles de croisière. Remarquez l'absence de combinaisons de protection contre les matières dangereuses...

Observez à nouveau la zone auparavant occupée par les bâtiments. 76 missiles de croisière, chacun muni d'une ogive de 450 kg, auraient touché ces 3 bâtiments, ne les démolissant que partiellement. Ça fait 35 tonnes d'explosifs militaires de haute qualité. À titre de comparaison, voici une vidéo de seulement 9 bombes de 450 kg frappant un bâtiment qui couvre à peu près la même surface que les bâtiments de l'HIAST :

Le journal britannique The Independent a publié un article sur les frappes de missiles titré : « Les images montrent des bâtiments transformés en tas de ruines par les frappes aériennes en Syrie ». On peut y voir 13 images des mêmes bâtiments HIAST démolis dans la banlieue de Damas, à Barzeh. Peut-être est-ce la seule preuve « impressionnante » dont ils disposent pour étayer les allégations douteuses du gouvernement américain ?

Selon Saeed Saeed, directeur de l'Institut pour le développement des industries pharmaceutiques et chimiques, la zone du campus HIAST touchée par les frappes était auparavant utilisée par l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC), mais est aujourd'hui dédiée à la recherche sur les produits pharmaceutiques.

« Depuis que la crise syrienne a éclaté, le pays manque de toutes sortes de médicaments, en raison des sanctions imposées par les pays occidentaux. Les entreprises étrangères ont cessé d'exporter des médicaments de pointe vers la Syrie, en particulier des médicaments anticancéreux. Nous avons donc commencé à mener des recherches sur place sur les traitements anticancéreux, et trois médicaments contre le cancer ont été mis au point », dit-il.

Attendez une minute... ça me rappelle quelque chose... 1998, Soudan, Bill Clinton... missiles de croisière... usine pharmaceutique !

Les deux autres zones prétendument visées par les missiles de croisière américains se trouvaient à l'ouest de Homs. Un « centre de production de gaz sarin », et un « poste de commandement » - ou un « bunker » (ou quelque chose comme ça. C'était peut-être une étable).

 
Maintenant, publions quelques photos satellite granuleuses « avant / après » des deux zones mentionnées ci-dessus. Photos gentiment fournies par les médias (avec l'aimable autorisation du gouvernement américain). Voici le « centre de production de gaz sarin » :

« Site de production de gaz sarin », à l’ouest d’Homs. Avant

Et après…Joli tir. Je compte peut-être 4 ou 5 impacts (petits cratères) au sol, en plus des 3 petits bâtiments démolis.

Jetons maintenant un œil au dernier des 3 sites ciblés. Le « bunker / poste de commandement », situé à quelques kms en amont sur l'image ci-dessus :


« Bunker / poste de commandement », à l'ouest d'Homs. Avant.

Et après…Pas top, sur ce coup-là. On dirait qu'il n'y a qu'un seul impact à gauche de la cible. Le « bunker / poste de commandement d'armes chimiques » est malheureusement intact.

Alors, quel est le score ? Soyons généreux, et attribuons 9 missiles de croisière de 450 kg aux bâtiments du campus HIAST. Attribuons-en 5 de plus au « site de production de gaz sarin » à l'ouest de Homs, et 1 de plus à ce petit hangar ci-dessus. Cela nous fait 15 impacts réussis au total, selon les propres déclarations et images du gouvernement américain concernant les 3 sites ciblés.

Mais par souci d'impartialité et d'objectivité, je vais inclure les rapports selon lesquels la base aérienne militaire de Mezzeh, juste au sud de Damas, aurait également été frappée par des missiles de croisière, comme l'a rapporté le gouvernement syrien. Voici une séquence vidéo publiée par Ruptly :



La vidéo ci-dessus ne montre aucun dégât, mais en signe de bonne foi, on va supposer que, là aussi, il y a eu des dommages significatifs... quelque part hors caméra. On va donc attribuer 10 frappes de missiles de croisière à cette base aérienne. Cela porte notre total à 25. Bon sang, comme je suis d'humeur magnanime aujourd'hui, je vais ajouter 10 autres missiles qui ont peut-être dévié de leur trajectoire et frappé des champs déserts dans la campagne de Homs ou de Damas. Cela représente 35 impacts maximum sur un total de 103 (ou 105, ou 118 selon les sources). La question est donc de savoir ce qu'il est advenu du reste des « missiles intelligents » de Trump.

Les Russes ont une réponse. Selon les données radar russes de l'événement, 6 autres bases aériennes et aéroports ont également été ciblés. Pourquoi le Pentagone ne les a-t-il pas inclus dans son rapport sur les frappes ?

Base aérienne de Duwali - 4 missiles tirés, 4 abattus

Base aérienne de Dumayr - 12 missiles tirés, 12 abattus

Base aérienne de Baley - 18 missiles tirés, 18 abattus

Base aérienne de Shayrat - 12 missiles tirés, 12 abattus

Base aérienne de Marj Ruhayyil - 18 missiles tirés, 18 abattus

Aéroport international de Damas - 4 missiles tirés, 4 abattus

En supposant que ces informations soient exactes, et nous avons de bonnes raisons de croire qu'elle se fondent sur mon analyse ci-dessus, nous devons considérer la possibilité très nette que le gouvernement américain ait initialement ciblé au moins 10 sites avec des missiles de croisière. Cependant, après leur lancement (certains d'entre eux ont mis deux heures pour atteindre leur destination), un grand nombre d'entre eux ont été abattus, forçant les autorités américaines à rapporter un nombre de frappes considérablement moindre lors de leur compte-rendu aux médias.

Mais cela soulevait un autre problème : comment répartir cette centaine de missiles entre seulement 3 sites ? Fallait-il les répartir équitablement : 33 (environ) pour les bâtiments de l'HIAST et 33 pour chacun des deux sites de Homs ? Auquel cas, les dommages visibles correspondraient-ils au nombre de missiles rapportés ? Les deux sites à l'extérieur de Homs étaient problématiques, parce qu'ils se trouvaient sur des terres agricoles et que les bâtiments étaient beaucoup trop petits pour couvrir de façon plausible les cratères d'impact manquants. Il ne restait qu'une seule possibilité : la cible HIAST, avec ses 3 grandes tours, devait absorber la majorité des missiles manquants. Le chiffre extravagant de 76, pour être exact.

Outre le niveau hallucinant de mensonges et de dissimulation de la part de FUKUS (France, UK, US) concernant cette dernière agression contre la Syrie - mensonges répétés ad nauseam par la presse occidentale - les journaleux ont également omis cette évidence : bombarder des sites présumés de production et de stockage d'armes chimiques situés dans des zones densément peuplées constitue une mise en danger inconsidérée de la population locale, voire un crime de guerre. Mais encore une fois, peut-être que les Américains mentent (sans blague ?). Peut-être savent-ils très bien que ces cibles n'abritaient pas d'armes chimiques. Peut-être savent-ils ceci :


Tweet du département d'État américain à John Kerry en 2014 : « Aujourd'hui, ce qui restait des armes chimiques déclarées (8%) a été évacué de Syrie. Excellent travail, tout le monde. »
Peut-être savent-ils aussi que très peu de leurs « nouveaux missiles intelligents » sont arrivés à destination, et le vendredi matin, Shock and Awe a déferlé non sur la Syrie, mais dans les couloirs du Pentagone.

La guerre en Syrie fait partie d'un conflit géopolitique bien plus large entre « l'Est et l'Ouest », conflit qui ne présage rien de moins qu'une restructuration radicale de l'ordre mondial. En ce sens, il s'agit bien d'une guerre existentielle pour ceux qui sont actuellement assis au sommet de la pyramide et qui risquent de perdre leur position privilégiée. Mais s'il y a bien une chose qui ne change jamais dans la guerre, c'est son aspect « racket ». En ce sens, il n'y a eu qu'un seul véritable gagnant des événements du 14 avril.

Hausse de 5 milliards de dollars du cours des actions des fabricants de missiles suite aux frappes aériennes en Syrie

Les actions de Raytheon ont fait un bond vendredi matin, après l'utilisation de 59 de ses missiles Tomahawk en Syrie, lors de la première opération militaire d'envergure du président Donald Trump. Si la véritable performance des Tomahawks avait été révélée publiquement, les actions de Raytheon auraient non pas connu une hausse, mais une baisse de 5 milliards.

Joe Quinn

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