05 septembre 2017

Scandale du nouveau Lévothyrox : Questions-Réponses


Comment l’Agence du Médicament Belge a communiqué sur le changement de formulation d’un médicament équivalent en 2015 ? Pourquoi en France la nouvelle formule n’a pas été testée sur des personnes prenant le médicament contrairement à la Belgique ? Le mannitol est-il moins cher que le lactose ? Le lactose est il déconseillé par les autorités européennes du médicament ? Pouvait-on ajouter les explications directement dans la notice ou sur la boite ? Et quid d’un document d’information remis directement aux patients par les professionnels de santé ?

Cette série de questions m’a été posée par @MissLondres, @BBartes, Lynessagesse, et l’ensemble des membres actifs et e-Patients de chez @forumthyroide. Leur but ? Répondre aux interrogations des personnes concernées. Je leur ai proposé d’apporter mes connaissances sur le sujet et de les aider à répondre à toutes ces questions.

Le mannitol est-il moins cher que le lactose ?

Cette question sous-entend : Est-ce que le laboratoire Merck a fait cette modification pour gagner plus d’argent sur le Lévothyrox ? Déjà, il faut rappeler que le changement de formulation a été fait à la demande de l’Agence du Médicament. Initialement, il n’y a aucune volonté de Merck d’économiser sur la production des comprimés.

Néanmoins, la question reste en suspens. Alors quel est le moins cher ? Et bien c’est le lactose. Cet article scientifique rappelle pourquoi le mannitol devient de plus en plus populaire au sein de l’industrie pharmaceutique. Et la raison n’est pas son coût mais sa capacité à produire des comprimés plus stables. Il est assez logique que Merck se soit tourné vers cet ingrédient pour répondre à la demande de l’Agence. C’est aussi ce composé qui est utilisé par Biogaran qui produit une version générique du Lévothyrox.
Et pour information, le lactose monohydraté coûte 2 226 dollars par tonne tandis que le Mannitol coûte 3 710 dollars par tonne. Je rappelle que nous parlons de comprimés pesant quelques dizaines voire centaines de milligrammes. Pour obtenir le prix au milligramme du mannitol ou du lactose, il vous suffit de diviser le prix à la tonne par 1 milliard. Soit 0,000002227 dollar par milligramme pour le lactose. Vous comprendrez donc que le coût des excipients comme le lactose monohydraté ou le mannitol sont négligeables dans la production d’un comprimé. Et qu’avancer cet argument pour expliquer pourquoi Merck aurait changé sa formule n’est pas crédible.
Comme je le rappelle assez souvent sur mon blog, le plus cher dans un médicament n’est pas le comprimé. C’est la notice !
Enfin, il ne faut pas oublier que Merck a également ajouté de l’acide citrique anhydre. Soit un coût supplémentaire. Lui aussi négligeable quand on ramène cette dépense au coût par comprimé.

Le lactose est-il déconseillé par les autorités européennes du médicament?

Non. Les médicaments contenant du lactose sont déconseillés uniquement chez les patients présentant une intolérance au galactose, un déficit en lactase de Lapp ou un syndrome de malabsorption du glucose ou du galactose. Il s’agit de maladies héréditaires rares. On parle d’intolérance au lactose.C’est pourquoi il est classé sur la liste des excipients à effets notoires. Mais exceptés pour ces rares patients, le lactose ne pose aucun problème. Il est également présent largement dans notre alimentation.

Pourquoi l’acide citrique est-il utilisé comme excipient?

L’acide citrique est utilisé comme conservateur pour limiter la dégradation de la lévothyroxine au cours du temps. Autrefois, on l’utilisait pour conserver la viande. C’est un ingrédient présent naturellement dans le corps (sous forme de citrate) et dans les agrumes (orange, citron…).

Quels médicaments usuels contiennent du mannitol ET de l’acide citrique?

Ils sont très nombreux. Citrate de Bétaïne, Fervex, Veinamitol, Aspro 500 Vitamine C, HumexLib état grippal, la liste est longue comme le bras. Ces 2 excipients n’ont rien de particulier. Et la réunion des 2 est assez classique dans une formulation de médicament. Le Lévothyrox nouvelle formule n’a rien de particulier sur ce point.

Qu’est-ce que les essais de bioéquivalence et pourquoi sont-ils faits uniquement sur des volontaires sains?

Un médicament est composé d’une substance active et d’autres ingrédients appelés excipients. La substance active est responsable de l’effet du médicament. Les excipients permettent d’obtenir une forme, un goût ou une meilleure absorption de la substance active. On dit souvent que les excipients sont des véhicules pour la substance active. Un médicament peut exister sous plusieurs formes : comprimés, gélules, solution buvable, solution injectable dans le sang, etc…

Un médicament peut également changer de formule au cours du temps. Comme pour le Lévothyrox.

Pour s’assurer que la nouvelle forme ou la nouvelle formule est équivalente à l’ancienne, le laboratoire n’aura pas besoin de refaire l’intégralité des essais cliniques.
En effet, on connaît le bénéfice et l’efficacité de la substance active de ce médicament une fois présente dans le corps. Elle a été étudiée lors de plusieurs essais cliniques. Le médicament a ensuite été évalué par l’Agence du Médicament pour obtenir une autorisation de mise sur le marché (AMM). Il ne serait pas éthique ni scientifiquement utile de refaire des essais dont on connaît déjà le résultat.

Le laboratoire doit donc vérifier que la dose de substance active circulant dans le corps avec la nouvelle forme ou la nouvelle formulation est la même que la dose fournie par l’ancienne. On appelle cela des essais de bioéquivalence.

Pour le nouveau Lévothyrox, Merck a donc procédé à cet essai. Le laboratoire a testé le médicament de référence et la version similaire sur quelques dizaines de personnes n‘ayant pas de problèmes de santé. Il a administré successivement à ces personnes le médicament de référence (l’ancienne formule du Lévothyrox) puis le médicament similaire (la nouvelle formule du Lévothyrox). Merck a fait une série de mesure pour vérifier la dose dans l’organisme et son élimination au cours du temps puis a comparé les résultats entre le médicament de référence et le médicament similaire.

Cet essai de bioéquivalence doit permettre de confirmer à l’Agence du médicament que les 2 formes sont similaires. On utilise également ce type d’essai pour comparer les génériques au médicament de marque et s’assurer que l’effet est identique.

Pourquoi choisit-on des personnes sans problème de santé dans les essais de bioéquivalence?

Pour avoir la population la plus homogène possible et ne pas avoir de cas particulier provoqué par une maladie particulière. On veut connaître le comportement moyen du médicament dans l’organisme. Utiliser des personnes malades introduirait des biais du fait de leur problèmes de santé et cela ne permettrait pas de conclure à la bioéquivalence dans ces conditions.

Comment évalue-t-on la bioéquivalence?

C’est un cauchemar pour expliquer la bioéquivalence en termes simples. Il me faudrait un billet tout entier. Et encore, je ne suis pas sûr d’être capable de vulgariser ce concept. A chaque fois qu’on me demande de l’expliquer, je suis bien embêté tellement le principe est complexe. D’ailleurs, je me demande parfois si les biostatisticiens ne sont pas des extraterrestres venus de la galaxie Pégase pour avoir été capable d’inventer ce type de test.
La règle statistique est si complexe qu’elle est une source fréquente de confusion même chez les professionnels de santé. L’Agence du Médicament en donne une explication ici.

Alors faisons simple. Les statisticiens ont fixé un intervalle qui nous permet de nous assurer que la bioéquivalence est démontrée. Durant l’essai, on mesure la dose reçue par le corps au cours du temps avec le traitement de référence et avec le traitement similaire. La mesure de la dose reçue par le corps avec le traitement similaire doit se trouver dans l’intervalle défini par les statisticiens. Ce calcul nous donne la garantie que la variation en substance active entre les 2 versions ne peut pas dépasser ± 5%. Ca peut vous sembler beaucoup. Mais il faut savoir que cette variation est acceptée au sein d’un lot de production du médicament de référence. Les techniques de dosage ne sont pas assez précises pour faire mieux. Donc on accepte la même variation pour la version similaire.

L’Agence américaine du médicament a ainsi évalué 2070 études de bioéquivalence et a conclu que la différence moyenne entre médicaments de référence et médicaments similaires était de 3,6%.

Néanmoins, certains médicaments ont un profil particulier. C’est le cas du Lévothyrox. Les patients sont sensibles à de faibles changements de doses. On parle alors de médicaments à marge thérapeutique étroite. Pour ces médicaments, on a rétréci l’intervalle qui nous permet de conclure à la bioéquivalence. On est beaucoup plus strict pour s’assurer d’être aussi proche que possible du médicament de référence. D’après l’Agence française du médicament, le nouveau Lévothyrox a réussi le test de bioéquivalence.

Pourquoi en France la nouvelle formule n’a pas été testée sur des patients contrairement à la Belgique?

Le 1er janvier 2015, l’Agence belge du médicament a accepté une nouvelle formulation d’un équivalent belge du Lévothyrox, le L-Thyroxine Christiaens, commercialisée par le laboratoire Takeda. Cette nouvelle formule a été réalisée pour simplifier la production et pour améliorer les problèmes de stabilité du médicament. La modification a consisté à remplacer l’hydrogénophosphate de calcium dihydrate par de la gélatine et du talc.

Par ailleurs la nouvelle formulation du L-Thyroxine Christiaens contient du lactose comme pour l’ancienne formulation. Pour valider ce changement, un essai de bioéquivalence a été réalisé par Takeda. Cet essai est très classique. 24 volontaires sans problème médical ont été recrutés. Mais les doses reçues par le corps au cours du temps étaient en dehors de l’intervalle permettant de démontrer la bioéquivalence. Avec la nouvelle formulation, qui contient du lactose je le rappelle, la dose d’hormones thyroïdiennes reçue par le corps était supérieure en moyenne de 31%. Je suppose que ce résultat a motivé le laboratoire pour entreprendre un essai dit de switch plutôt que de revoir la formulation et d’entreprendre à nouveau un essai de bioéquivalence.

Un essai de switch consiste à prendre des patients sous traitement. On leur fait arrêter leur traitement et on leur donne un nouveau traitement pour remplacer l’ancien. Habituellement, les essais de switch sont entrepris pour aider les médecins et les patients à passer d’un médicament à un autre. Il est assez rare de voir des essais de switch pour un changement de formulation d’un médicament.

L’essai de switch sur le L-Thyroxine Christiaens a été réalisé sur 84 patients prenant l’ancienne formulation. L’essai a montré un résultat équivalent à celui de l’essai de bioéquivalence. 8 semaines après le passage à la nouvelle formulation, les dosages en hormones thyroïdiennes des patients ont imposé une adaptation de la dose du médicament à la baisse pour 2 patients sur 3.

67 % des patients avaient un dosage trop fort avec la nouvelle formule et a nécessité un changement de dosage de L-Thyroxine Christiaens. Aucun des patients n’a nécessité d’hospitalisation. 1 seul s’est rendu aux urgences et en est reparti avec une adaptation de la dose de son médicament. Mais la majorité des patients a pu ressentir des effets indésirables d’une hyperthyroïdie. Et quelques patients ont pu ressentir les effets indésirables d’une hypothyroïdie.

L’Agence Française du Médicament pouvait-elle demander des essais de switch ?

Oui. Cela fait partie de ses prérogatives. Compte tenu du nombre important de patients prenant ce médicament (plus de 3 millions), l’Agence aurait pu considérer que cette situation exceptionnelle nécessitait un essai de switch pour plus de précaution. Mais si les essais de bioéquivalence ont démontré l’équivalence entre les formules, l’Agence a pu considérer que c’était un excès de précaution et que l’essai de switch n’était pas nécessaire.

Aurait-elle dû demander cette étude ?

Aujourd’hui, on peut le penser et lui en faire le reproche. Mais de mon point de vue, il est facile de donner le score du match à la fin de la partie.
Ces décisions sont toujours difficiles à prendre. C’est pourquoi la transparence est importante pour montrer ce qui a été fait.

L’Agence belge a communiqué sur les résultats des essais de bioéquivalence et de switch. Les patients et les professionnels de santé ont eu ces informations.
Du côté de l’Agence française, la communication semble hasardeuse. Certes l’Agence a fait l’effort de produire sur son site internet une Foire aux Questions. C’est une bonne initiative. Mais il n’y a aucune information sur les résultats des essais de bioéquivalence. Et en l’absence d’information, on laisse libre cours aux théories du complot. Et même quand la polémique a pris de l’ampleur, l’Agence n’a pas jugé pertinent de publier ces résultats.
La communication de l’Agence sur les études pourrait être résumé par : “circulez, il n’y a rien à voir”. Et cette communication est impossible au 21e siècle. Elle date du siècle dernier.

Le silence de Merck sur le sujet, surtout sur les réseaux sociaux, pose aussi question.

Au vu de l’ampleur, Merck aurait dû communiquer immédiatement sur les résultats de l’essai de bioéquivalence. Par exemple en publiant sur le registre public clinicaltrials.gov ou sur ISRCTN les résumés des résultats. Puis en communiquant l’information sur ses comptes Twitter et sur son site internet.

Comment l’Agence du Médicament Belge a communiqué sur un changement de formulation en 2015 ?

Comme en France. Par une “Dear Doctor Letter” (voir également ce billet). Ces lettres envoyées aux professionnels de santé par courrier ou par courriel sont un moyen de communication des Agences vers les professionnels de santé. Ce n’est pas un moyen de communication optimal. Régulièrement, les courriers sont mis de côté voire partent directement à la poubelle sans être ouverts. Les courriels sont plus efficaces. Encore faut-il qu’ils soit lus. En France, il suffit de lire les réseaux sociaux pour s’apercevoir que certains professionnels de santé se plaignent de ne pas avoir eu d’informations sur le changement de formule.

L’Agence Belge a également demandé à Takeda d’inscrire pendant une période de transition la mention “Nouvelle Formule” sur la boîte. Par contre, les couleurs n’ont pas changé. Pour ne pas déstabiliser les patients à mon avis.
En France, les couleurs ont changé mais on n’a pas inscrit nouvelle formule sur les boîtes. Pour la forme 75 microgrammes, la couleur est très proche. Peu de moyen d’identifier la nouvelle formule pour eux.

L’Agence Belge a demandé aux professionnels de santé que le changement de formulation soit fait sous surveillance médicale avec des adaptations de dose selon l’état du patient et le dosage des hormones thyroïdiennes. En France, on a recommandé ce suivi uniquement à une catégorie de patients.

Pouvait-on ajouter les explications directement dans la notice et sur la boite?

Oui. La notice est un outil flexible que l’on peut adapter dans le temps assez simplement et assez rapidement. Merck aurait pu ajouter une série d’informations pour mieux expliquer la nouvelle formulation et les conduites à tenir. Aucun point dans la réglementation ne s’opposait à une telle initiative. L’Agence du Médicament est ensuite libre d’accepter ou de refuser ces ajouts. Elle a 60 jours pour se prononcer.

La notice peut être le lieu d’une d’information sur le bon usage. Il est vrai qu’il n’est pas dans l’habitude des laboratoires d’utiliser ce document pour diffuser ce type d’information. C’est bien dommage. Mais rien ne l’interdit. Certains laboratoires le font dans certaines pathologies. Par exemple, pour l’insuline, on retrouve en fin de notice une information pédagogique sur l’hyperglycémie et l’hypoglycémie, les causes, la conduite à tenir et les moyens de prévention.
L’ANSM, de sa propre initiative, a développé des conseils à ajouter en fin de notice pour les médicaments laxatifs, les antidouleurs et les antibiotiques. L’Agence appelle cela les conseils d’éducation sanitaire.

Pour renforcer l’information, Merck aurait également pu proposer d’ajouter temporairement sur les boîtes la mention “Nouvelle formule” et un message d’alerte pour insister sur la nécessité de lire la notice explicative sur la nouvelle formule. Ce type de message sur la boîte a une double fonction : alerter le patient et aussi le pharmacien. Si le pharmacien n’a pas reçu la “dear doctor letter” de l’Agence ou n’a pas pris le temps de la lire, ce rappel sur la boîte permet de l’atteindre par un autre moyen.

Et quid d’un document d’information remis directement aux patients par les professionnels de santé ?

C’était possible également. On appelle cela le matériel d’éducation en santé. Ces documents sont prévus en annexe de la recommandation sur les bonnes pratiques de pharmacovigilance.

Comment déclarer un effet indésirable?

Vous pouvez déclarer un effet indésirable à tout professionnel de santé. Il a l’obligation d’établir une notification de pharmacovigilance. Vous pouvez également déclarer vous même les effets indésirables que vous ressentez sur le site de l’Agence du Médicament. Il est recommandé de renseigner vos analyses de sang.

Enfin, vous pouvez contacter directement le laboratoire sur son site internet ou même publiquement sur les réseaux sociaux (par exemple sur Twitter). Merck a l’obligation de vous répondre pour collecter vos effets indésirables puis de les transmettre à l’Agence. Pour l’anecdote, comme j’en avais parlé dans ce billet, Merck a également l’obligation d’effectuer une veille internet sur les forums, les blogs, les sites internet et les réseaux sociaux pour identifier d’éventuels effets indésirables.

J’espère que ce billet aidera certain(e)s à répondre à leurs questions.

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