05 mai 2017

Souvenirs d’un officier de sécurité


John Châtelier a aujourd’hui cinquante ans. Entré à l’école de gendarmerie qu’il a faite en 1985-1987, il a refusé son affectation dans le vignoble angevin, puis est entré – grâce à son bon classement – à l’école de police d’Orvault. Ceinture noire de judo, 2e dan, il a très vite été redirigé vers le SPHP (service de protection des hautes personnalités, devenu en 2013 le SDLP, service de la protection), qui assure la protection des dignitaires internationaux en visite en France ou nationaux tels que le président, les ministres, les chefs de grands partis politiques…


Il y a travaillé de 1988 à 2000, avant d’entamer une seconde partie de carrière dans les DOM-TOM puis de quitter la police en 2006. Il a confié ses souvenirs à Breizh Info.
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Breizh Info : Pourquoi avez vous choisi la police ?

John Châtelier : J’ai toujours voulu servir mon pays. Puis comme j’étais ceinture noire 2e dan, je voulais intégrer le bataillon de Joinville. J’ai passé les deux concours de gendarmerie et de police nationale, j’ai été reçu aux deux dans les premiers, j’ai fait l’école de gendarmerie. Ils m’ont affecté vers Fontevraud que j’ai refusé de rejoindre quelques jours avant l’affectation et j’ai fait l’école de police. Presque dès la sortie, j’ai été affecté au SPHP, je n’ai fait que deux ou trois mois au service central automobile, qui dépend de la DGPN, et où l’on conduit des personnalités du Ministère de l’Intérieur.

Breizh Info : Au SPHP, vous avez donc côtoyé de près les leaders politiques ?

John Châtelier : Oh oui. J’en retiens deux. Chirac, que j’avais dans ma voiture au soir des élections. Il nous embêtait beaucoup car lorsqu’on s’arrêtait à tous les feux rouges, il sortait pour aller serrer des paluches. A part ça il était très sympathique et très abordable. Je me souviens de Le Pen aussi, que j’ai gardé assez longtemps au château de Montretout. Je ne partage pas du tout sa vision politique mais je trouve remarquable qu’il avait dans son personnel un couple de noirs. A chaque fois qu’on arrivait quelque part, on était deux avec lui, il disait « eux ce sont mes deux gardes du corps, vous les traitez comme moi ». Comme il avait un emploi du temps hyper-chargé, on roulait à 180. Quand on était arrêté, on s’arrêtait, on montrait nos cartes police et ça repartait.

Breizh Info : Et Mitterrand ?

John Châtelier : Je ne l’ai pas eu. Je recherchais surtout les missions liées à la sécurité des étrangers, c’est là qu’on pouvait se faire le plus d’argent. A la fin ils laissaient toujours une petite enveloppe, qui était assez substantielle.

Breizh Info : Des princes arabes, par exemple ?

John Châtelier : J’en ai eu, et pas que du joli. Ils sont habitués à craquer de l’argent. Avec des « cantines » comme le Negresco à Nice, Martinez à Cannes [deux hôtels cinq étoiles,ndlr]. On avait un bon billet en fin de mission, mais on ne pouvait pas passer plus de quinze jours d’affilée avec le même, pour éviter les copinages préjudiciables au service.

Breizh Info : Vous avez donc assisté aux courses des princesses arabes ?

John Châtelier : C’est de l’achat compulsif en fait. Elles dormaient toute la matinée, mais vers 14 h elles étaient comme folles pour dépenser de l’argent. Là-bas, au Qatar, près de leur palais, il y a des hangars qui font des milliers de mètres carrés où sont remisés tous les objets, vêtements, bijoux qu’elles achètent et qu’elles ne mettent jamais.

Breizh Info : Tout cet argent que vous voyiez, que vous touchiez, ne tourneboulait-il pas les consciences ?

John Châtelier : Pour certains, si. Ils se prenaient pour les personnalités. D’autres se sont suicidés. J’en ai connu cinq collègues qui se sont suicidés entre 1988 et 2000.

Breizh Info : Il y a-t-il des personnalités étrangères qui vous ont marqué ?

John Châtelier : Thatcher par exemple. On sort, elle a rendez-vous avec Mitterrand, on avait une CX blindée, elle monte à l’arrière et l’huissier manque de lui refermer la porte sur les doigts. Elle n’a pas été blessée mais tout le trajet on s’est retenu de rire : la dame de Fer amochée par une porte en fer, pensez-donc ! Ou cette fille de famille royale d’Arabie Saoudite, qui conduisait une Golf décapotable SP et qui écumait le quartier Dauphine. Elle venait regarder les travelos, les putes, acheter des livres de cul. Que ça. Elle venait se déniaiser à Paris, quoi.

Breizh Info : Il y avait-il des personnalités qui se comportaient mal avec vous ?

John Châtelier : Pas tant que ça. Surtout leur entourage, notamment des chefs africains comme Omar Bongo. On est allé au Congo avec Jacques Chirac, on était directement en liaison avec l’ambassade, qui organisait d’ailleurs des soirées pour nous avec des jeunes filles locales qui n’étaient pas mariées.

Breizh Info : Avez vous assisté aux flux d’argent de la Françafrique ?

John Châtelier : Il y a effectivement eu des valises de billets entre la France et l’Afrique. Sans oublier la came – de la coke essentiellement – qui était ramenée par certains présidents ou ministres de pays arabes, ça on le voyait bien sûr.

Breizh Info : Quelle pouvait être la gratification que vous versaient les personnalités étrangères en fin de mission ?

John Châtelier : Ça dépendait. Avec les Russes, c’était éternellement de la vodka et du caviar. Un prince arabe qui est resté une semaine dans son hôtel nous a remis à la fin un coffret avec des pièces d’or et d’argent de 5 cm de diamètre gravées à son nom. Avec la sœur du chah d’Iran, on avait droit à du Cartier, le stylo plume, le briquet, etc. Avec les Arabes ou les Africains, c’étaient 3 à 4000 francs dans une enveloppe.

Breizh Info : Que deviez vous faire de cet argent ?

John Châtelier : Normalement, le reverser aux orphelins de la police (rires). En fait, on le gardait pour nous et tout le monde fermait les yeux. La personne qui distribuait les missions, on lui en donnait 10 ou 20%, et on était assuré d’avoir une bonne mission. Cela continue aujourd’hui.

Breizh Info : Les frasques des oligarques russes à Courchevel ont défrayé la chronique voilà quelques années. Est-ce que les personnalités sur lesquelles vous avez veillé débordaient aussi ?

John Châtelier : Les Russes étaient tout le temps bourrés, c’était la galère. Quant aux Arabes, y en a qui se la jouaient, ils se comportaient très très mal avec les nanas (escort girl), ils les forçaient un peu, aux limites du viol.

Breizh Info : Vous avez conduit aussi des voitures de rêve…

John Châtelier : De fou, oui ! Mercedes AMG, des voitures de course que j’ai montées à plus de 300 km/h entre Paris et le Bourget sur l’A1, et il y avait de la réserve. Des Porsche, des Lamborghini… L’ancien ministre du pétrole du Qatar avait 20 voitures de sport de luxe au Qatar et autant avenue Foch, sur une plaque tournante, sur trois étages. Il habitait 5/7 avenue Monceau, ne sortait quasiment pas… sauf pour faire le tour du quartier avec une de ses Porsche 959, il y en avait 200 de fabriquées, il en avait 40 [en fait 283 construites, dont 959 de course parmi lesquelles 37 de version Sport, vendues entre 1987 et 1988 à 1,7 millions de francs pièce, NDLA]. Il voulait que les flammes sortent du pot d’échappement. Il était content, et à chaque fois j’avais un billet de 500 francs.

Breizh Info : C’était un autre monde…

John Châtelier : Clairement ! J’ai vu des vendeuses faubourg Saint-Honoré entrer dans les Rolls des princesses arabes pour y présenter leurs fourrures. Une fois, on a ramené à la femme d’un prince saoudien sa sacoche, où il y avait pour un million d’euros de bijoux. Elle l’avait oubliée à l’hôtel. On allait chez de grands couturiers, ils prenaient toute la collection pour ne pas la voir portée par quelqu’un d’autre. Voire chez Metro, ils achetaient des palettes de stylos, c’était n’importe quoi.

Breizh Info : Aviez-vous le sentiment de faire un métier à risque ?

John Châtelier : Pas vraiment, même s’il a fallu mettre des baffes à des délinquants qui voulaient dépouiller une princesse arabe qui faisait ses courses. En quinze ans je n’ai quasiment pas vu de personnes agressées. Et on était bien armé – Glock, pistolet mitrailleur, grenades. Les paparazzis nous posaient plus de souci.

Breizh Info : Comment faisiez-vous avec ?

John Châtelier : Il m’est arrivé d’en mettre un dans le fossé avec la voiture suiveuse. Doucement. Mais on essayait de les prévenir, on les poussait s’ils ne respectaient pas. Quand on avait des intrusions, on les bloquait et ils repartaient. J’en ai vu pas mal avec Chirac lors de son premier mandat, quand il était au fort de Brégançon.

Breizh Info : Avez-vous votre version sur la mort de Bérégovoy, qui reste un des mystères de la Cinquième République ?

John Châtelier : Je n’y ai pas assisté, j’étais de permanence aux Voyages officiels et j’ai entendu la voix affolée de son officier de sécurité qui affirmait qu’il s’était mis une balle dans la tronche. Il a demandé cinq minutes à avoir la voiture pour lui, le temps de passer un coup de fil, et a pris l’arme de service de son officier de sécurité. Puis s’est mis une balle en se promenant peu après, tout seul. Peu avant son suicide, sa voix était tout à fait normale. Pour moi, il a été tué, et on ne sait toujours pas si c’est le calibre du collègue qui a été l’arme qui l’a tué.

Breizh Info : Vous avez aussi côtoyé des personnalités interlopes proches du pouvoir ?

John Châtelier : J’ai connu des anciens de l’OAS, des barbouzes, des bandits de chez bandits qui étaient en place, tranquilles. Ils étaient protégés. Un parmi eux, un ancien gendarme révoqué pour sa proximité avec les milieux corses m’a marqué. Il a tenté de nous empêcher d’assurer la sécurité d’un prince arabe. On partait de Paris vers Nice et Cannes. Il nous prend au portail de la propriété « vous n’avez rien à faire là », je lui réponds que j’ai un mandat officiel, il insiste, résultat ils sont restés avec le prince et nous on logeait dans un quatre étoiles à Mandelieu la Napoule. Le prince, on ne l’a quasiment pas vu, ce sont des anciens gendarmes qui le gardaient, nous on faisait de la figuration. Eux, c’étaient des cowboys, ils jetaient carrément les gens hors de la route, calibre à la main.

Breizh Info : Finalement, comment avez vous quitté le SPHP ?

John Châtelier : Je me suis marié avec une Guadeloupéenne, j’ai demandé une mutation pour la rejoindre. Deux directeurs successifs de la DATAP (direction administrative territoriale et des affaires policières) m’ont appuyé, dont Pierre Dartout, et en quelques mois j’étais en Guada. Celui qui a obtenu ma mutation, je lui ai offert la superbe corbeille de fruits exotiques de chez Fauchon.

(A suivre)

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