Alors que les démocrates et les principaux médias des États-Unis se concentrent avec ferveur sur des accusations encore non prouvées d’ingérence russe dans les élections pour expliquer la surprenante défaite d’Hillary Clinton, cette fureur a contraint un président Trump aux abois à renoncer à ses projets de coopération avec la Russie.
Au milieu de cette hystérie anti-russe, les membres du Cabinet de Trump et l’ambassadeur des Nations Unies ont fait de leur mieux pour réitérer les positions politiques intransigeantes de l’administration Obama à l’égard de la Russie, soulignant que rien n’avait changé. Pour sa part, le Congrès a plongé dans un McCarthysme visant les partisans de Trump qui auraient rencontré des Russes avant les élections de 2016.
Pendant ce temps, le Kremlin observe ce qui se passe à Washington. À Moscou, le changement de relations avec les États-Unis que certains avaient espéré est maintenant considéré comme improbable. Par contre, le fait que les États-Unis se déchirent dans leurs combats partisans donne à la Russie un bol d’air frais bien nécessaire, qui la soulage de la pression continue de l’Occident à laquelle elle a été soumise au cours des trois dernières années.
Les élites russes s’expriment de plus en plus sur la façon dont elles envisagent de procéder sur la scène internationale, dans ces nouvelles circonstances. Le mot d’ordre est l’autosuffisance et la poursuite des politiques régionales et mondiales qui ont commencé à se former au cours des deux dernières années, au fur et à mesure que la confrontation avec les États-Unis s’est intensifiée.
Ces politiques n’ont rien à voir avec une attaque contre les États baltes ou la Pologne, scénarios de cauchemar poussés par les néoconservateurs et les interventionnistes libéraux aux États-Unis et dans l’Union européenne. Les plans russes n’ont rien à voir avec la subversion des élections en France ou en Allemagne, une autre histoire sortie de l’imagination fiévreuse occidentale.
Au lieu de cela, les Russes se concentrent sur leurs capacités de défense de la nation et leurs alliances politiques en plein essor, avec la Chine et une foule de pays asiatiques qui, ensemble, peuvent s’opposer au pouvoir de l’Occident. Il est important de comprendre que la vision russe est celle d’un futur monde multipolaire et non un retour au système bipolaire des deux superpuissances datant de la guerre froide, que les élites russes considèrent comme inaccessible, compte tenu de la répartition du pouvoir à travers le monde et des ressources limitées de la Russie.
En d’autres termes, les Russes envisagent un futur ordre mondial dont les grandes lignes remontent au dix-neuvième siècle. En ce qui concerne les détails, les Russes sont maintenant indissolublement liés à la Chine, pour des raisons d’intérêt économique et de sécurité sur la scène mondiale. Il en va de même de leurs relations avec l’Iran, au niveau régional du Grand Moyen-Orient.
Les élites russes sont également fières des relations militaires, économiques et géopolitiques en train de prendre forme avec des pays aussi éloignés que la Libye, l’Égypte, la Turquie, le Pakistan et la Thaïlande [les Philippines aussi, qui viennent d’octroyer à la marine russe le libre accès à leurs eaux territoriales et leurs ports, NdT]. Les informations sur les percées avec chacun de ces pays sont annoncées quotidiennement dans les émissions de télévision russes.
Les intérêts au Moyen-Orient
Les élites russes ont bien remarqué que les États-Unis avaient mal compris la position de Moscou en Syrie depuis le début de la guerre. La priorité de la Russie n’a jamais été de maintenir le régime d’Assad au pouvoir, mais plutôt de conserver sa position au Moyen-Orient. La Russie était déterminée à maintenir sa base navale à Tartus, qui est importante pour soutenir la présence de la Russie en Méditerranée orientale. Plus largement, l’objectif de Moscou était de rétablir l’influence russe dans une région stratégique où la Russie était autrefois un acteur important, avant l’effondrement de l’Union soviétique.
La perte de l’Europe de l’Est n’est pas oubliée en Russie, même si l’hégémonie américaine est reconnue comme une réalité du présent. Mais rien ne dure toujours, et les Russes s’attendent à être de retour, en tant que force majeure dans la région, non par la conquête militaire, mais par une logique économique et stratégique qui les favorise à long terme. Bien que de nombreuses élites d’Europe de l’Est aient été rachetées par les États-Unis et l’Union européenne, de nombreux citoyens ont été les principaux perdants de l’ordre états-unien post-Guerre froide, souffrant de la désindustrialisation et de l’émigration à grande échelle dans les pays européens plus développés, atteignant jusqu’à 25 % de la population dans certains endroits. Ces pays d’Europe de l’Est ont peu à offrir à l’Europe occidentale, sauf comme destinations touristiques, alors que leur potentiel commercial avec la Russie est immense.
Le week-end dernier, la télévision russe a diffusé des images de manifestations en Pologne, en Bulgarie, en Roumanie et en Moldavie que vous n’avez pas vues sur Euronews. L’objet de cette colère populaire était le spéculateur financier milliardaire George Soros et ses affiliés de l’« Open Society« . Le journaliste russe a expliqué que ces manifestations – opérant sous la bannière de « Soros Go Home » – sont devenues possibles maintenant, parce que l’administration Trump l’a laissé tomber.
Il serait naïf de ne pas voir une certaine assistance officielle russe à ces manifestations coordonnées dans une grande partie de l’Europe de l’Est, mais les Russes renvoient simplement aux États-Unis la monnaie de la pièce, puisque ces « organisations non gouvernementales » états-uniennes sont très occupées à subvertir les gouvernements légitimement euro-sceptiques de ces pays, en coopération avec celles de Soros.
Pas la Guerre froide de votre grand-père
Mais il y a des différences essentielles, entre ce qui se passe maintenant et du temps de la Guerre froide. La Guerre froide initiale n’était pas uniquement caractérisée par la rivalité militaire et géopolitique entre les deux superpuissances mondiales, les États-Unis et l’Union soviétique. Il s’agissait aussi d’une rivalité idéologique entre, d’un côté, le capitalisme de marché libre et la démocratie parlementaire et, de l’autre, les économies planifiées et le régime monolithique du Parti communiste.
Pendant la présidence Nixon, une politique de détente a été mise en place, qui a incarné un principe de coexistence entre ces principes concurrents d’organisation de la société humaine, dans l’intérêt de la paix mondiale. Il y en a qui soutiennent que nous n’avons pas de Nouvelle Guerre froide aujourd’hui, parce que la dimension idéologique manque, bien qu’il y ait des différences de principes évidents entre les U.S./E.U, socialement libéraux, et une Russie plus socialement conservatrice. Mais ces différences ne constituent pas un véritable conflit idéologique.
Le vrai champ de discorde est la façon dont chaque partie conceptualise aujourd’hui la gouvernance mondiale. À ce niveau, il est logique de parler d’un clivage idéologique, parce qu’il existe un vaste corpus de pensée pour étayer ces opinions concurrentes, qui incluent : la globalisation contre l’État souverain; la politique étrangère fondée sur les valeurs opposée à la politique étrangère fondée sur les intérêts; un ordre global établi par la victoire totale de la démocratie libérale sur toutes les autres formes de gouvernance nationale ou un équilibre des forces et un respect des différences locales; l’idéalisme contre le réalisme. L’Occident a généralement favorisé les premières options, tandis que la Russie et la Chine dirigent un bloc de nations favorisant généralement les deuxièmes options.
Pendant sa campagne et dans son discours inaugural, Donald Trump a parlé en termes réalistes, suggérant que les États-Unis abandonneraient leur idéologie idéaliste des 25 années précédentes, qui impliquait des stratégies coercitives de « changement de régime » pour imposer les valeurs politiques et les systèmes économiques occidentaux dans le monde. Au lieu de cela, Trump a suggéré qu’il ferait des affaires avec la Russie et avec le monde dans son ensemble sans imposer des solutions américaines, en acceptant essentiellement les principes dont les russes font la promotion depuis leur opposition publique aux États-Unis, en 2007.
Toutefois, étant donné le recul de Trump sur la politique étrangère ces dernières semaines – sous les féroces attaques des centres de pouvoir de Washington, affirmant une collusion possible entre la campagne Trump et la Russie – nous pourrions nous retrouver avec quelque chose ressemblant au nouveau départ qu’Obama à cherché à mettre en place au début de son mandat en 2009, mais qui n’a jamais été aussi loin qu’une détente/coexistence. Il est resté limité à la coopération dans des régions isolées, où les intérêts des États-Unis et de la Russie étaient censés coïncider.
La seule différence que nous pourrions constater de la part d’une administration Trump bien coincée, est un moindre penchant pour les opérations de changement de régime et une reprise de quelques contacts bilatéraux avec la Russie, qui ont été interrompus quand Obama a décidé de pénaliser la Russie pour son intervention en Crimée et dans le Donbass en 2014.
En supposant que les Républicains néocons et les Démocrates va-t-en-guerre de Washington ne mettent pas Trump dans une situation politique désespérée, il pourrait au moins engager des relations avec Moscou sur un ton plus poli et diplomatique. Cela pourrait être mieux que ce qu’envisageait Clinton, mais ce n’est certainement pas le début d’un nouvel âge d’or collaboratif.
Le recul des objectifs de bonne relation entre l’administration Trump et la Russie est logique, en raison d’une autre réalité qui est devenue claire, maintenant que son équipe de conseillers et hauts fonctionnaires se remplit, à savoir qu’il n’y a personne dans son cabinet ou dans son administration, qui puisse guider le président néophyte alors qu’il essaie de négocier un nouvel ordre mondial et de conclure un « grand accord » avec Vladimir Poutine, comme Trump aurait pu espérer le faire.
Jared Kushner, le beau-fils de Trump, n’a pas l’expérience et la profondeur nécessaires pour être un penseur stratégique de classe mondiale. Le secrétaire d’État de Trump, Rex Tillerson, possède des compétences d’entreprise grâce à ses années chez Exxon-Mobil, mais manque également d’une vision stratégique. Beaucoup d’autres postes essentiels sont allés à des généraux militaires qui peuvent être des administrateurs compétents, mais qui ont une expérience politique ou diplomatique limitée. Il a été question de conseils venant de Henry Kissinger, mais il n’a pas été vu ou entendu récemment, et il est douteux qu’à son âge avancé et avec sa fragilité, il puisse fournir des conseils cohérents.
Pendant que Trump lutte pour survivre aux attaques répétées contre sa nouvelle administration, il est également distrait de la réalité d’un monde en rapide évolution. Si et quand il se concentrera sur la situation géopolitique, il pourrait bien avoir à rattraper la Russie et la Chine, alors qu’elles sont en train de passer des accords avec d’autres acteurs régionaux et de combler le vide laissé par le désordre politique étatsunien en cours.
En supposant que Trump puisse attirer des conseillers talentueux doté d’une profondeur stratégique, il faudrait encore une vision énorme et des compétences diplomatiques équivalentes, pour conclure un « grand accord » qui pourrait marquer le début de la fin du chaos violent qui balaye une grande partie du monde depuis 2001. Si et quand cela deviendra possible, un tel accord pourrait ressembler à un « Yalta-2 », triangulaire, impliquant les États-Unis, la Russie et la Chine.
Gilbert Doctorow – Le 22 mars 2017 – Consortium News
Traduit par Wayan, relu par nadine pour le Saker Francophone
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