26 février 2017

Redonner du pouvoir au peuple...


Quelques mois avant sa mort, en 1972, et quelques 35 ans après ses débuts en tant qu’organisateur communautaire, Saul Alinsky donnait un long entretien au magazine PlayBoy (que je ne connaissais pas si sérieux…).
Cet entretien est à découvrir intégralement sur le site du Collectif Pouvoir d’agir.

Pour ma part, je vous en propose des extraits choisis, l’idée étant de vous donner envie de lire le texte en entier…

Extraits choisis

Ces extraits sont nécessairement sortis de leur contexte du fait qu’ils sont extraits de leur texte initial. Je ne peux que conseiller la lecture de ce texte.

Introduction

Un organisateur communautaire binoclard, vêtu comme un conservateur, ressemblant à un comptable et parlant comme un manutentionnaire.

Transformer des récriminations éparses et inaudibles en une protestation unie.

« Mettre à vif les mécontentements est peut-être amusant pour lui, mais nous sommes incapables de considérer cela comme une contribution au changement social. Le pays a assez de problèmes insolubles comme cela pour ne pas s’en inventer de nouveaux sans autre but perceptible que l’amusement d’Alinsky. »

Alinsky a une incroyable vitalité, un enthousiasme combatif et une curiosité dévorante qui se porte sur tout et tout le monde autour de lui. Ajoutez à cela un esprit mordant, un ego monumental doublé d’une capacité d’autodérision et de dérision en général, et vous commencez à prendre la mesure de l’homme. 

Entretien de Norden avec Saul Alinsky

Organiser et radicaliser les classes moyennes

Des gens qui ne se considèrent pas du tout comme pauvres et qui adoptent l’ethos dominant de la classe moyenne avec même plus d’acharnement que les riches.

Concrètement, le seul espoir d’un progrès véritable est de rechercher nos alliés dans la majorité et d’organiser cette même majorité au sein d’un mouvement national pour le changement.

Pour l’instant ils sont immobiles, confits dans l’apathie, menant ce que Thoreau appelait « des vies de désespoir tranquille ».

Le désespoir est là ; maintenant c’est à nous d’y aller et de mettre à vif leurs rancœurs, et de les galvaniser pour un changement social radical.

Quand une communauté, n’importe quelle communauté, est sans espoir et impuissante, il faut qqn d’extérieur pour venir attiser les choses. C’est mon travail : les perturber, leur faire se poser des questions, leur apprendre à arrêter de causer pour commencer à agir.
La classe moyenne est enracinée dans l’inertie, conditionnée à chercher la facilité et la sécurité, effrayée à l’idée de secouer le bateau. Mais ils commencent à réaliser que le bateau coule et qu’à moins d’écoper rapidement, ils vont sombrer avec lui.

Vous commencez avec ce que vous avez, vous édifiez une communauté sur la base de quelques problèmes, et puis vous utilisez l’organisation que vous avez établie comme un exemple et une puissante base pour atteindre d’autres communautés.

Retour sur les débuts du parcours de Saul Alinsky

La chaire de sociologie de l’université de Chicago était une instance qui investissait 100000 dollars dans un programme de recherche pour découvrir la localisation des bordels alors que n’importe quel chauffeur de taxi aurait pu vous le dire.

Le droit de manger prévaut sur le droit de faire du profit.

Les faveurs étendues deviennent des droits.

La difficulté lorsqu’on travaille dans une institution, n’importe quelle institution, c’est que l’on finit par être institutionnalisé soi-même.
Quand j’ai compris que ça m’arrivait, j’ai su que je ne pouvais pas continuer comme ça.

Ce n’est pas seulement l’argent des gens qui s’est effondré en 1929 ; leur système de valeurs aussi.

Contrairement à la plupart des gens avec qui je travaillais, j’avais toujours un pied dans chaque camp et si ça sentait le roussi, j’avais toujours un boulot tranquille sur lequel je pouvais me reposer, ce qui a commencé à me tracasser.

L’intégrité ? Quelle merde !

« Je ferais mieux de ne pas mettre en péril ma situation. Après tout, je pense faire tellement plus pour la cause en incitant des étudiants qu’en étant personnellement engagé. Je peux écrire des discours ou des articles, placer le vrai message entre les lignes ou dans es notes de bas de page et avoir un réel impact ». Ou : « Cela va me donner une liberté financière pour agir efficacement ». Foutaises. Une fois que vous avez grossi, que vous avez du confort et que vous êtes au sommet, vous voulez y rester. Vous êtes vous-même emprisonnée par votre soi-disant liberté. J’ai vu beaucoup de dirigeants syndicaux des années trente, alors maigres et affamés, prendre du ventre et la grosse tête. Alors j’ai refusé le job et je me suis dévoué à une activité à plein temps dans le mouvement radical.

L’organisation de Back of the Yards

Je savais qu’une fois qu’on leur présenterait un véritable programme positif pour changer leurs conditions de vie misérables, ils n’auraient plus besoin de boucs émissaires.

Pour la plupart des gens de l’époque, l’idée que les pauvres avaient l’intelligence et l’ingéniosité de régler leurs propres problèmes était de l’hérésie ; même de nombreux radicaux qui le défendaient comme principe étaient élitistes en pratique.

Cela a toujours été un principe cardinal d’organisation que de ne jamais faire appel aux gens sur la base de valeurs abstraites, comme beaucoup trop de leaders du mouvement des droits civiques le font aujourd’hui.

Pour démolir vos ennemis, vous devez d’abord séduire vos alliés.

Les plus grands obstacles que nous avons eu à affronter furent l’apathie et le désespoir de la plupart des habitants du taudis. Quand l’injustice est complète et écrasante, les gens se rebellent rarement ; ils abandonnent simplement.

L’importance vitale des relations personnelles dans l’organisation.

Nos tactiques doivent varier en fonction des besoins et des problèmes de chaque région particulière que nous organisons. Le principe central de nos actions est l’auto-détermination ; la communauté avec laquelle nous travaillons doit d’abord vouloir notre venue, et une fois que nous y sommes, nous insistons pour que ses membres choisissent eux-mêmes leurs objectifs et leurs leaders. C’est le travail de l’organisateur d’apporter le savoir technique, mais pas d’imposer ses souhaits et son comportement à la communauté.
C’est pourquoi j’ai limité à trois ans la durée pendant laquelle nos organisateur restent dans une zone particulière.

La première et la plus importante des choses que vous pouvez faire pour gagner leur confiance est de pousser le pouvoir à vous attaquer publiquement.
« Cet Alinsky doit être qqn de bien s’il arrive à énerver ces fripouilles à ce point-là ; il doit avoir qqch sinon ils ne s’inquiéteraient pas autant ».

Ultime clé pour se faire accepter par une communauté est le respect pour la dignité de la personne avec laquelle vous avez affaire. Si vous êtes arrogant, suffisant ou condescendant, elle le sentira immédiatement et vous pourrez aussi bien prendre le prochain avion. La première choses que vous avez à faire dans une communauté est d’écouter, pas de parler, et d’apprendre à manger, à dormir et respirer une seule chose : les problèmes et les aspirations de la communauté.

À propos des militants radicaux

Le défaut principal de votre travail : la tendance des communautés que vous avez organisées à parfois rejoindre l’Establishment en échange de leur participation à l’activité économique.

La prospérité fait de nous tous des lâches, et Back of the Yards ne fait pas exception.

Bien trop de libéraux et de radicaux ont une image excessivement romantique des pauvres ; les habitants des taudis étouffés par la pauvreté sont pour eux un modèle de justice et ils espèrent qu’ils se comporteront comme des anges à la minute on l’on ôtera leurs chaînes. C’est une imbécilité.

Ce serait bien si le système entier pouvait juste disparaître pendant la nuit, mais il ne le fera pas.
Je peux comprendre l’impatience et le pessimisme de beaucoup de jeunes mais ils doivent se rappeler que la vraie révolution est un processus long et difficile.
C’est juste de l’idiotie de la part des Black Panthers de parler de prise de pouvoir par les armes quand, de l’autre côté, ils ont toutes les armes.

Vous devez vous demander : « À part ça, qu’est-ce que je peux faire ? »

Chaque mouvement révolutionnaire majeur de l’Histoire a connu le même processus de corruption, de la pureté virginale à la séduction puis à la décadence.
Même Gandhi : 10 mois après l’indépendance de l’Inde, il a approuvé la loi faisant de la résistance passive un crime et il abandonna ses principes de non-violence pour soutenir l’occupation militaire du Cachemire.
Le combattant révolutionnaire de la liberté est le premier à détruire les droits et même les vies de la prochaine génération de rebelles.

La lutte en elle-même est une victoire. L’Histoire est comme une course de relais des révolutions.

Il y aura des revers, des échecs, beaucoup même, mais vous devez juste continuer à avancer.

Quand vous emprisonnez un radical, vous entrez dans son jeu. Cela consolide terriblement votre position avec les gens que vous tentez d’organiser.
Après la guerre…

La Guerre Froide a commencé à geler et le MacCarthysme a commencé à secouer tout le pays, rendant toute activité radicale de plus en plus difficile.

À l’époque, j’étais aussi bien disposé vis-à-vis de la Russie, non pas parce que l’admirais Staline ou le système soviétique, mais parce que j’avais l’impression que c’était le seul pays qui souhaitait s’opposer à Hitler.

« Le doute intérieur et lancinant de savoir si l’on a raison ». Si vous ne l’avez pas, si vous pensez que vous avez un chemin intérieur vers la vérité absolue, vous devenez doctrinaire, compassé et intellectuellement constipé.

La réconciliation signifie juste une chose : quand l’un des 2 camps a suffisamment de pouvoir, l’autre camp se réconcilie avec lui.

Comment pouvez-vous arriver à un consensus avant d’avoir eu un conflit ?
Vous ne trouverez le consensus que dans un État totalitaire, communiste ou fasciste.
Mon opposition aux consensus politiques, pourtant, ne signifie pas que je suis opposé au compromis : justement le contraire. 

Tactiques

Nos tactiques les plus efficaces sont totalement non-violentes. mais très souvent, la simple menace en elle-même est suffisante pour mettre l’ennemi à genoux.

L’essence d’une tactique réussie, c’est son originalité. Cela évite que les gens s’ennuient.
Je dirais que nos tactiques sont absurdes plutôt que puériles.
Les manifestations, les confrontations et les piquets de grève, ils ont appris à s’en occuper.
Très souvent, la tactique la plus ridicule pourra se révéler la plus utile.

Nous voulons utiliser les procurations comme un moyen de pression politique et sociale contre les méga-corporations, et comme un vecteur pour montrer leur hypocrisie et leur malhonnêteté.
La tactique des procurations est aussi un moyen inestimable d’obtenir l’adhésion des classes moyennes aux causes radicales.
En cédant leurs procurations, les libéraux peuvent aussi continuer à participer aux cocktails tout en apaisant les troubles de leur conscience sociale.

La chose à faire n’est pas de succomber au désespoir et de s’asseoir dans un coin pour se plaindre, mais de sortir pour combattre ces modes fascistes, et construire un large base électorale qui soutiendra les causes progressistes. Sinon, tous vos gémissements sur l’État-policier seront une prophétie auto-réalisatrice. C’est l’une des raisons pour lesquelles je consacre aujourd’hui tous mes efforts à l’organisation de la classe moyenne, parce que c’est l’arène où se décidera le futur de notre pays.

Sources

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