18 janvier 2017

Le sexe déifié


Depuis les temps néolithiques, le phallus est un objet de culte. Ptolémée Philadelphe d'Alexandrie faisait transporter dans les rues en procession religieuse un phallus de cent vingt coudées dans le respect général.
 
A Hiéropolis, dans la Syrie antique, un phallus énorme se dressait devant le temple de la Diane (Artémis) : le prêtre pouvait se hisser à son sommet et rester ainsi plusieurs jours en communion avec la divinité. La force cosmique créatrice était conçue sous une forme androgyne. D'une manière générale, le monde antique révérait les organes sexuels masculins et féminins dans leur représentation et leur attribuait une valeur sacrée, en tant que source de fécondité et de protection.
L'énergie sexuelle était considérée comme une manifestation du divin. Le culte de la Grande Mère, donatrice universelle de vie, donnait lieu à des manifestations orgiaques et sacrées : culte d'Ishtar et Astaroth chez les Babyloniens, d'Aphrodite chez les Grecs, de Rama, dieu l'amour en Inde, dans les temples du Soleil.
Chez l'homme, le désir de libération s'associe de manière complexe au désir sexuel. On peut dire qu'il y a oscillation perpétuelle entre deux pôles opposés et parfois complémentaires; la voie dionysiaque consiste à chercher la libération dans l'excès orgiaque, la voie apollinienne tente une ascèse par le contrôle des sens. Dans la tradition antique, une phase dionysiaque était suivie d’une phase apollinienne et inversement.
Dionysos est le dieu deux fois né, fils de Sémélé déesse-mère fécondée et foudroyée à la fois par l'éclair de Zeus, et né de la cuisse de son père où il a achevé sa maturation. L’enfant divin est l’époux d'Ariane, déesse égéenne des arbres. Lui-même, dieu de la végétation, de la vigne et du printemps, de la joie, de la sève, principe et maître de la fécondité animale et humaine identifié au phallus. La procession du phallus occupe une place importante dans les fêtes dionysiaques. Le bouc et le taureau lui sont associés et constituent les victimes de prédilection dans les sacrifices sanglants de la mise en pièces et de la communion des participants à un festin de chair. Ce dieu de l'exubérance invite à la rupture de tous les interdits et de tous les tabous. L’histoire de ces descentes aux enfers correspond à des phases de germination, source de fécondité, symbolisant l'alternance des saisons, de la mort et de la résurrection.
Dionysos est une figure mythique extrêmement complexe. Le mot s'est affadi pour nous et Eros ne symbolise guère que l'enthousiasme et le désir amoureux. Mais, l'histoire du dieu et de son culte renvoie à toute une tentative de libération et de spiritualisation par la recherche de l’extase sexuelle.
Dans ses excès mêmes, le culte dionysiaque témoigne d'un effort pour rejoindre le divin, pour s'affranchir des limites terrestres. Les débordements sexuels et l'invasion de l’irrationnel tendent au surhumain. En ce sens, Dionysos symbolise un effort de spiritualisation par l’union mystique.
Les hommes et les dieux ne sont plus séparés, l’homme s'identifie au divin, cherche à être possédé par le dieu dans l'ivresse de la boisson, de la musique, de l'acte sexuel. La personnalité limitée se trouve dissoute, le conscient est submergé ; il y a là une libération à double tranchant, car le même acte, selon l’esprit dans lequel il est conduit, peut être évolutif et spirituel, ou au contraire involutif et matériel. Les orgies sacrées peuvent êtres divines, les orgies profanes sont souvent bestiales... On retrouvera dans le tantrisme la même ambiguïté. Le culte destructeur de Dionysos s'apparente au culte de Kali en Inde ; Kali, la déesse noire, la mère universelle, mais aussi destructrice. Les rites symbolisant la mort du Dieu étaient d'une grande violence : les animaux du sacrifice étaient tués, mis en pièce et mangés crus et, en des temps plus reculés, des jeunes gens auraient été sacrifiés. Tel serait le sens du mythe de Thésée. De même, les adorateurs de Kali, les Thugs, accomplissaient des meurtres rituels. Ces aspects extrêmes des cultes de l'énergie sexuelle et de la fécondité correspondent à ce que l'on désigne comme magie noire. Plus généralement, les cultes de l'énergie sexuelle s'apparentent à une cosmogonie sexuelle. La pluie, la Terre et le soleil dansent entre eux, s'épousent, exécutent l'acte primordial sexuel devant la création entière. Le cosmos a des attributs et des rites sexuels. L'orage est un grand mariage où la pluie et la foudre embrassent avec passion et furie le corps réceptif de la Terre-mère (Les différentes expériences exécutées récemment sur les plantes, montrent qu'elles sont sensibles et réceptives au magnétisme humain).
Voilà qui éclaire de manière nouvelle les rites de fécondité et les copulations dans les champs au printemps. Chanter, danser, faire l'amour, seraient une manière de stimuler le réveil de la nature, et de favoriser la germination. L'univers apparaît comme un énorme appareil sexuel qui se féconderait lui-même dans le plaisir. La fécondité, c'est la vie même. La vie est sacrée, le sexe est sacré. Les organes sexuels, générateurs de vie, sont l'expression du divin en l'homme. On peut voir ci-dessus les détails anatomiques sur le cratère d'Héraclès et d'Antée, oeuvre d'Euphronios, au Louvre (j'ai colorié le sexe)
Julius Evola, philosophe et orientaliste italien, donne une étude particulièrement documentée du tantrisme dans son livre, le Yoga tantrique. Il considère qu'il s'agit là d'une voie actuelle même si elle doit être réservée à un petit nombre. Il reprend le même thème dans la Métaphysique du sexe : le sexe, voie royale de la connaissance intérieure et de l'illumination, se retrouve dans toutes les traditions, sauf dans le judaïsme et le christianisme (encore qu'il y ait, dans certains symboles juifs et chrétiens, une sublimation de cette démarche métaphysique). La connaissance de la sexualité ouvre à l'individu qui la pratique les portes du spirituel.
Dans notre époque affectée d'une luxure cérébrale chronique est-il possible de transformer le poison en remède, de redonner au sexe une dimension transcendantale ?
La plus grande force magique de la nature ne saurait se dégrader entièrement. Même dans l'étreinte banale, il y a une ouverture au-delà des conditions de l'existence individuelle, un traumatisme de l'orgasme qui ouvre sur l'infini. Dans l'amour profane vécu avec suffisamment d'intensité, des phénomènes de transcendance apparaissent. Mais ce n'est que dans les pratiques de l'amour sacré que l'énergie sexuelle est véritablement utilisée à une fin d'éveil par connaissance des énergies subtiles et conscience de l'union des fluides.
Evola évoque les grands mystères d'été à Samothrace, quand la grande prêtresse parcourait les rangs des initiés, nue, un serpent enroulé autour de son corps, et soudain possédée, simulait des scènes d'un violent érotisme. Après cette union avec le serpent, la grande prêtresse appelait à elle l'un des initiés et s'unissait à lui publiquement : l'instant était solennel. L'orgasme atteint par l'homme sans émission de sperme constituait l'instant de la grande communion cosmique, de la fusion universelle.
Autre exemple, celui de la prostitution sacrée dans certaines sectes islamiques du Maghreb. Elle doit conduire l'initié à l'orgasme intérieur. Si l'homme répand sa semence, sa compagne s'enfuit en larmes, sous les invectives des prêtres et de ses compagnes.
Après 1 500 ans d'imprégnation judéo-chrétienne, et dans un contexte de civilisation matérialiste, l'homme d'aujourd'hui peut avoir beaucoup de difficultés à retrouver la lumière du sexe. Selon Evola, il n'est pas exclu que le sexe devienne de plus en plus triste et uniforme, sans âme et sans signification. Là encore, pourtant, il reste possible de remettre à l'endroit ce qui est à l'envers.
Dans son livre, Force sexuelle et Yoga, Elisabeth Haieh indique comment le Yoga utilise la force sexuelle à l'acquisition d'une conscience suprême. Elle souligne que tous les mots qu'elle emploie ne seront véritablement accessibles au lecteur que lorsqu'il les aura expérimentés, et dans un monde où la connaissance se consomme, il n'est pas superflu de répéter : Connaître c'est être. Ce livre doit pouvoir guider celui qui veut accéder à l'échelon supérieur de la conscience avec l'assistance de la force sexuelle maîtrisée, et dominer les forces de la nature... "Mais il y a deux catégories d'êtres sur Terre : les vivants qui déjà sont des êtres humains accomplis, et les mortels qui ne sont encore que des hommes et des femmes. Tant que l'homme est inconscient, il vit Dieu sous la forme de ses désirs sexuels; devenu conscient, il vit Dieu comme son propre moi, son être réel, comme je suis. Dieu est l'état de conscience de soi absolu".

La force sexuelle est la clé qui ouvre la porte entre l'esprit et la matière, de haut en bas elle transmet la vie dans le corps, de bas en haut elle fait sortir l'homme de son animalité, et l'aide à vaincre la mort. Tant que nous pressentons dans la sexualité des possibilités de plaisirs encore inassouvis, nous ne pouvons pas et nous ne devons pas renoncer à la vie sexuelle. Seul celui qui dans cette vie ou dans une autre a connu la sexualité et en a épuisé toutes les ressources, peut parvenir à Dieu. Il faut grimper l'échelle par le premier échelon, et il y a sept marches. Pour accélérer son ascension, il faut concevoir la force sexuelle en énergie spirituelle créatrice, devenir un mage blanc.
La carte du Tarot qui représente le diable symbolise l'ambiguïté de la force sexuelle : son bras droit dit solve, son bras gauche coagula, et dessous deux démons enchainés (une chaîne de fleurs est plus difficile à rompre qu'une chaîne de fer). Le signe mâle est mis au niveau du sexe. Une autre carte, l'amoureux à la croisée des chemins, avec d'un côté la femme qui enchaîne avec des fleurs et de l'autre, la femme qui propose le chemin qui monte.
Nous avons tous l'expérience du tout : quand nous sommes très heureux, nous aimerions embrasser le monde entier, nous dissoudre dans le grand tout comme la goutte de pluie qui, tombant dans l'océan, devient un avec lui. Cet amour qui tend à l'universel est le signe d'un avancement spirituel.

De grandes forces invisibles agissent sur les êtres qui vivent sexuellement ensemble - même une seule fois - car la force sexuelle et l'amour sont l'être humain lui-même. Tout ce qui se passe dans le corps agit sur l'esprit, l'esprit édifie le corps et l'anime, vit dans le corps et par le corps. Tout accord sexuel réel est le fait d'une affinité spirituelle. Que signifie transmuter la force sexuelle en énergie spirituelle créatrice ?

Ne pas dépenser la force sexuelle par le canal du corps, ouvrir les foyers supérieurs à travers lesquels l'énergie sexuelle se manifeste comme une énergie spirituelle. Cet enseignement est aussi celui de l'alchimie et des Rose+Croix. La résurrection par l'esprit. L'éclosion de la fleur magique.
Quelle est la meilleure aide ? Les exercices yoguiques, la concentration, la méditation, le travail physique et spirituel, comprendre l'importance de la respiration, l'union charnelle imite la respiration, l'union suit le rythme du souffle et des poumons : chaque souffle est dispensateur de vie, tout comme la rencontre des souffles. Pareille à l'union des corps, la respiration donne la joie de vivre.
  Les alchimistes et les Rose-Croix montrèrent le chemin le plus court : animer les centres nerveux et cervicaux supérieurs avec la force sexuelle comme combustible. L'Athanor est le corps humain, le dragon, la force sexuelle contenue par la chasteté. La pierre philosophale est l'omniconscience divine et sa domination spirituelle magique sur toute lanature. L'élixir de vie est ce courant de feu qui coule comme l'eau ardente, c'est-à-dire les hautes fréquences de la conscience du soi divinque l'on peut également conduire dans le corps comme on fait passer l'électricité au travers d'un morceau de fer pour le charger, le rendre magnétique.
C'est le courant vital du logos, de la vie, du soi divin. L'homme ne pense et ne vit en fonction de son sexe qu'aussi longtemps que sa conscience s'identifie au corps. Être unis dans l'amour et vraiment conscients de ne faire qu'un, c'est être dans un état d'androgyne, réunir en soi les deux pôles.
Dans le conte de La Belle au bois dormant, la Belle endormie (la conscience) est éveillée à la vie éternelle par la force de l'amour, par le feu de la force sexuelle, par le baiser du prince, par le contact de l'esprit.

Nietzsche

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