30 décembre 2016

Lobotomisation des foules : Réécrire le monde


Le paysage médiatique est dominé par les « fausses nouvelles ». Depuis des décennies. Ces fausses nouvelles n’émanent pas du Kremlin. C’est une industrie de plusieurs dizaines de millions d'euros par an, qui est habilement conçue et gérée par des agences de relations publiques, des publicistes et des services de communications au nom d’individus précis, du gouvernement, et des sociétés pour manipuler l’opinion publique.

Cette industrie de la propagande met en scène des pseudo-événements pour façonner notre perception de la réalité. Le public est tellement inondé par ces mensonges, livrés 24 heures par jour à la radio, à la télévision et dans la presse écrite, que les téléspectateurs et les lecteurs ne peuvent plus distinguer entre la vérité et la fiction.

Sarkozy, Hollande et les futurs présidents exploitent et exploiteront cette situation, tout comme ils encouragent et exploitent la destruction des libertés civiles et l’effondrement des institutions démocratiques. Sarkozy, Hollande n’ont pas créé ce vide politique, moral et intellectuel. C’est l’inverse. Ce vide a créé un monde où les faits changent avec l’opinion, où les célébrités ont d’énormes mégaphones tout simplement parce que ce sont des célébrités, où l’information doit être divertissante et où nous avons la possibilité de croire ce que nous voulons, indépendamment de la vérité. Des démagogues comme Valls, Macron, Mélenchon ou les "verts" sont le résultats que vous obtenez quand la culture et la presse tournent au burlesque.

Les journalistes ont depuis longtemps renoncé à décrire un monde objectif ou à donner la parole aux hommes et aux femmes ordinaires. Ils ont été conditionnés pour répondre aux demandes des entreprises. Les personnalités de l’actualité, qui gagnent souvent des sommes considérables par an, deviennent courtisanes. Elles vendent des commérages. Elles favorisent le consumérisme et l’impérialisme. Elles bavardent sans cesse au sujet des sondages, des stratégies, de la présentation et des tactiques ou jouent à des jeux de devinettes sur les rendez-vous présidentiels à venir. Elles comblent l’absence de nouvelles avec des histoires triviales, conduites émotionnellement, qui nous font sentir bien dans notre peau. Ils sont incapables de produire de véritables reportages. Elles s’appuient sur des propagandistes professionnels pour encadrer toute discussion et débat.

Il y a des journalistes établis qui ont passé toute leur carrière à reformuler des communiqués de presse ou à participer à des séances d’information officielles ou à des conférences de presse – j’en connaissais plusieurs lorsque j’étais au Monde. Ils travaillent comme sténographes des puissants. Beaucoup de ces reporters sont très estimés dans la profession.

Les entreprises qui possèdent des médias, contrairement aux anciens empires de presse, voient les nouvelles comme simplement une autre source de revenus publicitaires. Ces revenus concourent au bénéfice de l’entreprise. Lorsque le secteur des nouvelles ne produit pas ce qui est considéré comme un profit suffisant, la hache tombe. Le contenu n’est pas pertinent. Les courtisans de la presse, redevables à leurs seigneurs dans l’entreprise, s’accrochent férocement à des places privilégiées et bien rémunérées. Parce qu’ils endossent servilement les intérêts du pouvoir et des affaires, ils sont conspués par beaucoup de français, qu’ils ont infantilisé. Ils méritent le dédain qu’ils suscitent.

La plupart des rubriques d’un journal – « style de vie », voyages, immobilier et mode, entre autres – sont conçues pour s’adresser au 1%. Ce sont des appâts pour la publicité. Seulement environ 15% de la surface rédactionnelle de n’importe quel journal est consacrée aux nouvelles. Si vous supprimez de ces 15% le contenu fourni par l’industrie des relations publiques à l’intérieur et à l’extérieur du gouvernement, le pourcentage de nouvelles tombe à un seul chiffre. Pour les nouvelles diffusées par les ondes, le pourcentage des nouvelles véritables, rapportées de façon indépendante, serait proche de zéro.

L’objet des fausses nouvelles est de façonner l’opinion publique, en créant des personnalités fantoches et des réponses émotionnelles qui submergent la réalité. Marine Le Pen, contrairement à la façon dont elle a souvent été dépeinte, n’a jamais promu le racisme ou la fascisme – elle défend l'indépendance de la France et prône la préférence nationale pour l'emploi et les aides sociales. De pseudo-événements sont montés en épingle pour maintenir la fiction de son "totalitarisme" avéré.

« Les pseudo-événements qui inondent notre conscience ne sont ni vrais ni faux, dans le vieux sens familier », écrit Daniel Boorstin dans son livre L’image : un guide des pseudo-événements en Amérique : « Les mêmes progrès qui les ont rendues possibles, ont aussi rendu les images plus réalistes, plus attirantes, plus impressionnantes et plus convaincantes que la réalité elle-même, bien que planifiées, artificielles ou déformées. »

La réalité est consciemment prémâchée en récits faciles à digérer. Ceux qui sont impliqués dans les relations publiques, les campagnes politiques et le gouvernement ressassent implacablement le message. Ils ne s’écartent pas du simple slogan criard ou du cliché qu’ils sont invités à répéter. C’est une espèce de conversation continue avec des bébés.

« Les raffinements de la raison et les nuances d’ombre de l’émotion ne peuvent pas atteindre un public considérable », a noté cyniquement Edward Bernays, le père des relations publiques modernes.

Le rythme trépidant et le format abrégé de la télévision excluent les complexités et les nuances. La télévision est manichéenne, bien et mal, noir et blanc, héros et méchant. Elle nous fait confondre les émotions induites avec la connaissance. Elle renforce le récit mythique de la tolérance et de la générosité française. Elle rend hommage à des experts et spécialistes soigneusement sélectionnés par les élites du pouvoir et l’idéologie régnante. Elle discrédite ou ridiculise tous ceux qui s’opposent.

Le Parti Socialiste est-il assez stupide pour croire qu’il va perdre l’élection présidentielle à cause d'une incompréhension de sont idéologie par les citoyens ? La direction du Parti Socialiste ne peut-elle pas voir que la cause première de sa future défaite est qu’elle a abandonné 80% des citoyens pour promouvoir les intérêts des multinationales et de la finance ? Ne comprend-t’elle pas que, bien que les mensonges et la propagande aient fonctionné pendant des décennies, les socialistes ont fini par perdre leur crédibilité auprès de ceux qu’ils ont trahis ?

En tant que correspondant à l’étranger, j’ai reçu régulièrement des informations divulguées, parfois confidentielles, de divers groupes ou gouvernements cherchant à endommager certaines cibles. L’agence de renseignement nationale d’Israël, le Mossad, m’avait parlé d’un petit aéroport appartenant au gouvernement iranien à l’extérieur de Hambourg, en Allemagne. Je suis allé à l’aéroport et j’ai publié une enquête qui a constaté que, comme les Israéliens m’en avaient correctement informé, l’Iran l’utilisait pour démonter du matériel nucléaire, l’expédier en Pologne, le remonter et l’envoyer vers l’Iran par avion. L’aéroport a été fermé après mon article.

Dans un autre cas, le gouvernement m’a remis des documents montrant qu’un membre important du parlement chypriote et son cabinet d’avocats blanchissaient de l’argent pour la mafia russe. Mon histoire a paralysé les affaires légitimes du cabinet d’avocats et a incité le politicien à poursuivre mon journal et moi. Les avocats du journal ont choisi de contester la poursuite devant un tribunal chypriote, en disant qu’ils ne pouvaient pas obtenir un procès équitable là-bas. Ils m’ont dit que, pour éviter l’arrestation, je ne devais pas retourner à Chypre.

Je pourrais remplir plusieurs colonnes avec des exemples comme ceux-ci.

Les gouvernements n’organisent pas des fuites parce qu’ils se soucient de la démocratie ou d’une presse libre. Ils le font parce qu’il est dans leur intérêt de faire tomber quelqu’un ou quelque chose. Dans la plupart des cas, parce que le journaliste vérifie l’information divulguée, la nouvelle n’est pas un faux. C’est lorsque le journaliste ne vérifie pas l’information – comme ce fut le cas aux USA lorsque le New York Times a rapporté sans scrupule les accusations de l’administration Bush prétendant faussement que Saddam Hussein avait des armes de destruction massive en Irak – qu’il participe à la vaste industrie des fausses nouvelles.

De fausses nouvelles sont maintenant utilisées pour dépeindre des sites d’information indépendants et des journalistes indépendants, comme des informateurs ou des agents involontaires du fascisme ou de la Russie. Les élites UMPS utilisent des mensonges dans leur tentative pour présenter Marine Le Pen comme une adepte du fascisme rampant. Aucune preuve convaincante de telles accusations n’a été jamais été rendue publique. Mais la fausse nouvelle est devenue un bélier dans la dernière série de diffamations anti-FN.

La mode est à l'accusation sans preuve. Les victimes, dans ce cas, sont coupables avant jugement, parce que les accusatrices sont souvent des associations anti-racistes, antisémites, droit-de-l’hommistes, LGBT, etc. à étiquettes faussement humanistes, des outils de pouvoir. Ceux qui sont diffamés doivent avoir les moyens d'aller en justice, mais il est parfois difficile de mettre un nom sur une rumeur, de plus, la justice est contrôlée par l'appareil en place. Ce procédé circulaire encourage la diffamation, on établit des listes noires et on propage des fausses nouvelles.

La transformation culturelle et sociale du XXe siècle, dont E.P. Thompson a parlé dans son essai Time, Work-Discipline, and Industrial Capitalism, s’est avérée être beaucoup plus que l’étreinte d’un système économique ou la célébration du patriotisme. Cela fait partie, a-t-il souligné, d’une réinterprétation révolutionnaire de la réalité. Elle marque l’ascendant de la culture de masse, la destruction de la culture authentique et de la véritable vie intellectuelle.

Richard Sennett, dans son livre The Fall of the Public Man, a identifié la montée de la culture de masse comme l’une des forces principales derrière ce qu’il a appelé une nouvelle « personnalité collective […] engendrée par un fantasme commun ». Et les grands propagandistes du siècle sont non seulement d’accord, mais ajoutent que ceux qui peuvent manipuler et façonner ces fantasmes déterminent les directions prises par la « personnalité collective ».

Cette énorme pression interne, cachée à la vue du public, rend la production d’un bon journalisme et d’une bonne érudition très, très difficile. Les journalistes et les universitaires qui se soucient de la vérité, et ne reculent pas, sont soumis à une coercition subtile, parfois ouverte, et sont souvent purgés des institutions.

Les images, qui sont le moyen par lequel la plupart des gens ingèrent maintenant les informations, sont particulièrement enclines à être transformées en fausses nouvelles. La langue, comme le remarque le critique culturel Neil Postman, « ne fait sens que lorsqu’elle est présentée comme une suite de propositions. La signification est déformée lorsqu’un mot ou une phrase est, comme on dit, pris hors contexte. Quand un lecteur ou un auditeur est privé de ce qui a été dit avant et après ». Les images n’ont pas de contexte. Elles sont « visibles d’une manière différente ». Les images, surtout lorsqu’elles sont livrées en segments longs et rapides, démembrent et déforment la réalité. Le procédé « recrée le monde dans une série d’événements idiosyncrasiques ».

Michael Herr, qui a couvert la guerre du Vietnam pour le magazine Esquire, a observé que les images de la guerre présentées dans les photographies et à la télévision, à la différence du mot imprimé, obscurcissent la brutalité du conflit. « La télévision et les nouvelles ont toujours été présentées comme ayant mis fin à la guerre, a déclaré M. Herr. J’ai pensé le contraire. Ces images ont toujours été vues dans un autre contexte – intercalées entre les publicités – de sorte qu’elles sont devenues un entremet sucré dans l’esprit du public. Je pense que cette couverture a prolongé la guerre. »

Une population qui a oublié l’imprimerie, bombardée par des images discordantes et aléatoires, est dépouillée du vocabulaire ainsi que du contexte historique et culturel permettant d’articuler la réalité. L’illusion est la vérité. Un tourbillon d’élans émotionnels fabriqués nourrit notre amnésie historique.

Internet a accéléré ce processus. Avec les nouvelles par le web, il a divisé le pays en clans antagonistes. Les membres d’un clan regardent les mêmes images et écoutent les mêmes récits, créant une réalité collective. Les fausses nouvelles abondent dans ces bidonvilles virtuels. Le dialogue est clos. La haine des clans opposés favorise une mentalité de troupeau. Ceux qui expriment de l’empathie pour l’ennemi sont dénoncés par leurs compagnons de route pour leur impureté supposée. C’est aussi vrai à gauche qu’à droite.

Texte librement réinterprété pour l'adapter au contexte français.
Texte original traduit et édité par jj, relu par Cat pour le Saker Francophone.

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