Depuis une bonne vingtaine d'années, les commentateurs néo-cons et les grosses légumes de l'« interventionnisme libéral » n'ont cessé de nous ressasser à toutes les occasions possibles, que Milosevic (dirigeant démocratiquement élu à la présidence d'un pays qui comptait 20 formations politiques fonctionnant librement) était un vil dictateur génocidaire, responsable de TOUS les morts des Balkans dans les années 1990. Répétez après moi, d'une voix de robot et en faisant des gestes de robot avec les bras : « agression génocidaire de Milosevic », « agression génocidaire de Milosevic »...
Mais la fable officielle, tout comme celle qu'on nous a vendue en 2003 sur les Armes de Destruction Massive de l'Irak capables de nous atteindre en 45 minutes, était une pure invention chargée de justifier une opération de changement de régime forcé que souhaitaient depuis longtemps les factions dominantes occidentales.
La conclusion du TPIY qu'une des personnalités les plus démonisées des temps modernes était innocente des crimes atroces dont elle avait été accusée aurait dû faire la une et les gros titres de tous les médias dans le monde. Il n'en a rien été. Le TPIY lui-même a bien pris soin d'enfouir la nouvelle aussi profondément que possible dans son verdict de 2.590 pages du procès du leader serbe bosniaque Radovan Karadzic, condamné en mars dernier pour génocide (à Srébrénica), crimes de guerre et crimes contre l'humanité.
Pas la moindre annonce officielle ni la plus infime conférence de presse concernant la disculpation de Milosevic. Sans le journaliste et chercheur Andy Wilcoxon qui l'a déterrée pour nous, on n'en aurait rien su.
Ah, combien les choses étaient différentes quand le procès du prétendu « Boucher des Balkans » a débuté en février 2002 ! Là, il aurait fallu être enfermé au fond d'une garde-robe pour ne pas être au courant de ce qui se passait.
CNN assurait alors une couverture en béton de ce qui fut décrit comme « le procès le plus important depuis Nuremberg ». Bien entendu, la culpabilité de Milosevic allait de soi. « Quand la sentence tombera et qu'il disparaîtra au fond de sa cellule, personne au monde n'en entendra plus jamais parler. » déclara l'avocate US Judith Armatta, de Coalition pour une Justice Internationale, organisation qui comptait l'ex-ambassadeur US en Yougoslavie Warren Zimmerman, dans son conseil consultatif.
Quiconque osait alors mettre en doute la ligne de l'OTAN se faisait traiter d'« apologiste de Milosevic », ou pire : de « négateur de génocide », par les « Responsables du maintien de la Vérité impériale ».
Mais, malgré le blabla et le battage qui entouraient le « procès du siècle », il fut vite évident que l'accusation pataugeait dans une très profonde choucroute. Le Sunday Times a même cité un expert qui disait que « 80% des attendus de l'acte d'accusation auraient été disqualifiés par n'importe quelle cour britannique, comme ne consistant que de rumeurs ». C'était à mon avis une estimation généreuse.
Le problème, c'est qu'il s'agissait d'un procès bidon, d'un procès-spectacle où la géopolitique a pris le pas sur les preuves tangibles. Il est important de se rappeler que les charges d'origine contre Milosevic, quant à de prétendus crimes de guerre au Kosovo ont été formulées en mai 1999, au plus fort de la campagne de bombardements massifs de l'OTAN sur la Yougoslavie, et à un moment où la guerre ne se déroulait pas comme prévu par les États-Unis et leurs alliés.
Les charges avaient clairement pour but de faire pression sur Milosevic, pour l'amener à céder aux exigences de l'OTAN [c. à d. à accepter de bonne grâce le démantèlement de son pays.NdT]
L'ennui pour l'OTAN, c'est qu'au moment où le procès de Milosevic allait débuter, la fable sur le Kosovo avait déjà commencé à se détricoter. Les dénonciations stridentes des USA et de leurs alliés à propos de génocide et de centaines de milliers de tués, remises à leur place ici par le grand John Pilger, s'étaient déjà avérées des calembredaines. En septembre 2001, une cour de justice de l'ONU allait établir qu'il n'y avait pas eu de génocide au Kosovo.
C'est pourquoi, pour tenter d'étoffer leur cause de plus en plus faible contre Milosevic, il fallait absolument que les procureurs de La Haye trouvent de nouveaux motifs d'inculpation dans la guerre de Bosnie. Ce qui fut fait en accusant « Slobo » d'avoir mis sur pied une conspiration criminelle visant au nettoyage ethnique des Croates et des musulmans de Bosnie, dans le but de réaliser son projet d'une « Grande Serbie ».
Dans un procès normal au criminel, on recherche les preuves, et quand elles sont jugées suffisantes, on énonce les charges. C'est le contraire qui s'est produit dans le cas de Milosevic : il a d'abord été accusé pour des raisons politiques, et on a ensuite essayé de prouver ce dont on l'accusait.
L'ironie veut que l'ancien président avait déjà été loué par le président Clinton pour le rôle qu'il avait joué en faveur des efforts de paix en Bosnie en 1995, efforts dont le résultat avait été le traité de paix signé à Dayton, Ohio.
La vérité, c'est que Milosevic n'a jamais été un nationaliste serbe mais - pendant toute sa vie - un socialiste qui s'est toujours efforcé de maintenir une Yougoslavie multi-raciale, multi-ethnique, stable.
Son but, tout au long de ses années de pouvoir, n'a jamais été de bâtir une « Grande Serbie » mais d'essayer de maintenir entière et cohérente une Yougoslavie fédérale, ainsi que le reconnaît aujourd'hui, mais un peu tard, le TPIY.
Non seulement Milosevic n'a rien eu à voir avec le nettoyage ethnique de Bosnie, mais il l'a au contraire condamné. Le jugement du TPIY note « les critiques et la désapprobation répétées [de Milosevic, NdT] de la politique suivie par l'accusé (Karadzic) et les dirigeants serbes de Bosnie. » Milosevic, en homme pour qui toutes les formes de racisme étaient anathèmes, insistait pour que toutes les ethnies soient protégées.
Mais, afin de pouvoir punir Milosevic et mettre en garde ceux qui auraient l'audace de s'opposer aux volontés du pouvoir US, il fallait que l'histoire fût ré-écrite. Le socialiste yougoslave qui avait combattu la politique nationaliste des dirigeants bosniaques devait être déguisé à postériori en traître de mélodrame de la guerre de Bosnie et chargé pendant qu'on y était de tout le sang versé dans les Balkans. Pendant ce temps, le sus-mentionné ambassadeur US Warren Zimmerman, dont les interventions calomnieuses pour faire avorter toute solution diplomatique avaient contribué à déclencher le conflit bosniaque, s'en sortait blanc comme neige.
La campagne de dénigrement « tout est de la faute à Slobo » fit ce qu'il fallait pour que les faits réels soient escamotés. Un article écrit - je ne me moque pas de vous - par un « Professeur d'Études Européennes de l'Université d'Oxford » fit même de Milosevic le président de la Yougoslavie en 1991 (l'année où la Slovénie fit sécession), alors que, bien sûr, le président de la Yougoslavie était alors le Croate de Bosnie Ante Markovic.
Il était inévitable que Milosevic soit assimilé à Hitler. Il le fut. « On aurait dit Hitler revenu se pavaner » écrivit le rédacteur politique du News of the World, quand Milosevic eut la témérité de vouloir se défendre à la barre des accusés. « On a revu en éclairs à vous glacer le sang, un monstre nazi de la IIe Guerre Mondiale, quand le tyran serbe déposé s'est mis à haranguer la Cour. »
Pour bien s'assurer que les lecteurs ne rateraient pas l'équivalence Milosevic=Hitler, le même News of the World illustrait sa diatribe d'une photo d'Hitler, le « Boucher de Berlin », sur fond de camp de concentration et d'une photo de Milosevic, le « Boucher de Belgrade », plaquée sur celle d'un camp bosniaque.
Très commodément pour l'accusation, Milosevic est mort dans sa cellule en mars 2006.
Si on se base sur ce qu'on avait vu au procès jusque là, il n'était pas concevable que le tribunal puisse déclarer l'accusé coupable. Toute une série de témoins de « flagrant délit » s'étaient avérés, l'un après l'autre, des pétards trempés.
Ainsi que je l'ai noté dans un autre article, le témoin-vedette Ratomir Tanic se révéla être un salarié des forces de sécurité occidentales, tandis que le chef de la police secrète yougoslave, Rade Markovic, qui devait à la fin donner le coup de grâce en faisant des révélations sensationnelles sur la façon dont son ancien maître avait ordonné l'expulsion des Albanais du Kosovo, fit exactement le contraire et déclara qu'on l'avait torturé pour l'obliger à mentir et que sa déposition écrite avait été falsifiée par l'accusation.
En plus de quoi, comme je l'ai écrit ici, l'ex-chef chargé de la sécurité dans l'armée yougoslave, le général Geza Farkas (d'ethnie hongroise) vint témoigner que tous les soldats yougoslaves du Kosovo avaient reçu un document expliquant les lois internationales en matière de droits de l'homme, et qu'il leur avait été ordonné de désobéir à quiconque voudrait leur faire violer ces lois. Farkas devait révéler aussi que Milosevic avait donné des ordres pour qu'aucun groupe paramilitaire ne soit autorisé à opérer au Kosovo.
Quand Milosevic est mort, ses accusateurs ont clamé qu'il « flouait la justice ». Mais, dans la réalité, ainsi que le TPIY lui-même vient de le reconnaître, c'est « la Justice » qui a floué Milosévic.
Pendant qu'il était occupé à se défendre à La Haye contre des accusations fallacieuses à motivation politique, les USA et leurs alliés déclenchaient leur attaque aussi brutale qu'illégale contre l'Irak, dans une guerre qui devait causer la mort d'un million de gens. L'an dernier, un rapport de Body Count (« Décompte de cadavres ») révélait qu'au moins 1.3 millions de personnes auraient péri, du fait de la « guerre au terrorisme » des USA en Irak, en Afghanistan et au Pakistan.
Des chiffres de ce genre nous aident à remettre le Kosovo en perspective. Même si on considérait Milosevic et le gouvernement de l'époque responsables d'une partie des morts survenues dans le pays en 1999 (en combattant dans une guerre que l'Occident avait incontestablement voulue et provoquée) un nombre infiniment plus grand - et de très loin - de morts et de destructions a été le fait des pays qui se sont montrés les plus anxieux de flanquer l'ex-président de Yougoslavie au trou. Ainsi que John Pilger l'a noté en 2008, les bombardements de la Yougoslavie ont été « les plus parfaits précurseurs des bains de sang d'Afghanistan et d'Irak. »
Depuis lors, nous avons eu droit aussi à la destruction de la Libye, pays qui avait le plus haut standard de vie de toute l'Afrique, et à l'utilisation de soi-disant « rebelles » dans une tentative forcenée d'opérer un changement de régime en Syrie.
Il ne faut pas être Sherlock Holmes pour voir là un motif récurrent :
Avant toute guerre ou « intervention humanitaire » conduite par les USA contre un pays-cible donné, un certain nombre d'accusations criardes sont lancées contre le dirigeant du pays et son gouvernement. Ces « dénonciations » bénéficient d'un maximum de couverture de la part des médias, qui sont chargés de les répéter ad nauseam, jusqu'à ce que le public finisse par les accepter comme des vérités.
Plus tard, il finit toujours par s'avérer que les accusations étaient fausses (comme celle des ADM en Irak), non prouvées ou considérablement exagérées. Mais on est alors « passé à autre chose » : un nouveau cycle d'attaques et d'accusations a été entamé ailleurs, contre d'autres, chacun se gardant bien de faire la lumière sur les précédentes accusations frauduleuses mais se concentrant au contraire sur la dénonciation des agressions génocidaires du « nouvel Hitler » dont il faut bien qu'on s'occupe. En 1999, c'était Milosevic. Aujourd'hui, c'est Assad ou Poutine
Et devinez quoi, cher lecteur ? Ce sont les mêmes « élites » occidentales aux mains souillées de sang qui ont perpétré les atrocités précédentes à coups de mensonges à la pelle, qui orchestrent les accusations.
Comme le dit un très vieux proverbe : Quand vous montrez quelqu'un du doigt, trois doigts se pointent sur vous.
Vu ici
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