Au début, elles se concentraient sur la Russie, mais le phénomène s’est depuis répandu dans le monde et est même prêt à engloutir les États-Unis eux-mêmes. Il fonctionne comme ceci : les États-Unis décident ce qu’ils veulent que la Russie fasse et communiquent leurs souhaits dans l’expectative d’une coopération automatique. La Russie dit « Niet ». Les États-Unis alors entreprennent toutes les étapes ci-dessus à l’exception de la campagne de bombardement, à cause de la puissance de dissuasion nucléaire russe. La réponse reste « Niet ». On pourrait peut-être imaginer qu’une personne intelligente au sein de la structure du pouvoir étasunien dirait : « Sur la base des preuves que nous avons devant nous, dicter nos conditions à la Russie ne fonctionne pas ; nous allons essayer de négocier de bonne foi avec elle, comme des égaux ». Et puis tout le monde applaudirait disant : « Oh ! C’est génial ! Pourquoi n’y avions-nous pas pensé ? » Mais au lieu de cela, cette personne serait le jour-même virée parce que, voyez-vous, l’hégémonie mondiale étasunienne est non-négociable. Et donc ce qui se passe à la place est que les étasuniens déconcertés, se regroupent et essayent de nouveau ; ce qui donne un spectacle tout à fait amusant.
L’ensemble de l’imbroglio Snowden était particulièrement amusant à suivre. Les États-Unis exigeaient son extradition. Les Russes ont répondu : « Niet, notre constitution l’interdit ». Et puis, de manière hilarante, quelques voix en Occident ont demandé alors que la Russie change sa constitution ! La réponse, ne nécessitant pas de traduction, était « ha-ha-ha-ha-ha ! ». L’impasse sur la Syrie est moins drôle : les étasuniens ont exigé que la Russie aille de pair avec leur plan pour renverser Bachar al-Assad. L’immuable réponse russe a été : « Niet, les Syriens décideront de leurs dirigeants, pas la Russie ni les États-Unis ». Chaque fois qu’ils l’entendent, les étasuniens se grattent la tête et … essayent de nouveau. John Kerry était tout récemment à Moscou, pour engager une « session de négociations » marathoniennes avec Poutine et Lavrov.
Ce qu’il y a de pire est que d’autres pays entrent dans ce jeu. Les Étasuniens ont dit aux Britanniques exactement comment voter, cependant ceux-ci ont dit « Niet » et ont voté pour le Brexit. Les Étasuniens ont dit aux Européens d’accepter les conditions désastreuses que voulaient imposer leurs grandes transnationales, le Partenariat pour le commerce et l’investissement transatlantique (TTIP), et les Français ont dit « Niet, ça ne passera pas ». Les États-Unis ont organisé un nouveau coup d’état militaire en Turquie pour remplacer Erdoğan par quelqu’un qui ne tentera pas d’essayer de faire le gentil avec la Russie. Les Turcs ont dit « Niet » à cela aussi. Et maintenant, horreur des horreurs, c’est Donald Trump qui dit « Niet » à toutes sortes de choses : l’OTAN, la délocalisation des emplois étasuniens, l’entrée à des vagues de migrants, la mondialisation, les armes pour les ukrainiens nazis, le libre-échange …
L’effet psychologiquement corrosif du « Niet » sur la psyché hégémonique étasunienne ne peut être sous-estimé. Si vous êtes censé penser et agir comme un hégémon, mais où seule fonctionne la partie penser, le résultat est la dissonance cognitive. Si votre travail est d’intimider les nations tout autour, et que les nations refusent de l’être, alors votre travail devient une blague, et vous devenez un malade mental. La folie qui en résulte a récemment produit un symptôme tout à fait intéressant : quelque membres du personnel du Département d’état étasunien, ont signé une lettre – rapidement fuitée – appelant à une campagne de bombardement contre la Syrie pour renverser Bachar al-Assad. Voilà des diplomates !
La diplomatie est l’art d’éviter la guerre, par la négociation. Les diplomates qui appellent à la guerre ne sont pas tout à fait … des diplomates. On pourrait dire que ce sont des diplomates incompétents, mais ce ne serait pas suffisant (la plupart des diplomates compétents ont quitté le service pendant la seconde administration Bush, beaucoup d’entre eux à cause du dégoût d’avoir à mentir au sujet de la justification de la guerre en Irak). La vérité est, qu’ils sont malades, des va-t-en-guerre non-diplomates mentalement dérangés. Voilà la puissance de ce simple mot russe qui leur a fait perdre littéralement la tête.
Mais il serait injuste de mettre en avant le Département d’Etat. C’est l’ensemble du corps politique étasunien qui a été infecté par un miasme putride. Il imprègne toutes les choses et rend la vie misérable. En dépit de l’augmentation des problèmes, la plupart des autres choses aux États-Unis sont encore un peu gérables, mais cette chose-là : l’incapacité d’intimider l’ensemble du monde, ruine tout. C’est le milieu de l’été, la nation est à la plage. La couverture de plage est mitée et râpée, l’ombrelle trouée, les boissons gazeuses dans la glacière pleines de produits chimiques nocifs et la lecture estivale ennuyeuse … et puis il y a une baleine morte qui se décompose à proximité, dont le nom est « Niet ». Elle ruine tout simplement toute l’ambiance !
Les têtes bavardes des media et des politiciens de l’ordre établi, sont à ce moment, douloureusement conscients de ce problème, et leur réaction prévisible est de blâmer ce qu’ils perçoivent comme la source des maux : la Russie, commodément personnifiée par Poutine. « Si vous ne votez pas pour Clinton, vous votez pour Poutine » est une devise puérile nouvellement inventée. Un autre est « Trump est l’agent de Poutine ». Toute personnalité publique qui refuse de prendre une position favorable à l’ordre établi est automatiquement étiquetée « idiot utile de Poutine ». Prises au pied de la lettre, de telles allégations sont absurdes. Mais il y a une explication plus profonde en ce qui les concernent : ce qui les lie toutes ensemble est la puissance du « Niet ». Le vote pour Sanders est un vote pour le « Niet » : l’ordre établi du Parti démocrate a produit une candidate et a dit aux gens de voter pour elle, et la plupart des jeunes ont dit « Niet ». De même avec Trump : L’ordre établi du Parti républicain a fait trotter ses sept nains et dit aux gens de voter pour l’un d’eux, et pourtant la plupart des ouvriers blancs laissés pour compte ont dit « Niet » et voté pour un outsider, Blanche neige.
C’est un signe d’espoir de voir que les gens à travers le monde dominé par Washington, découvrent la puissance de « Niet ». L’ordre établi peut encore apparaître, pimpant de l’extérieur, mais sous la nouvelle peinture brillante, il cache une coque pourrie, qui prend eau à toutes les jointures. Un « Niet » suffisamment retentissant sera probablement suffisant pour le faire couler, permettant quelques changements très nécessaires. Quand cela se produira, je vous prie de vous rappeler que c’est grâce à la Russie … ou, si vous insistez, Poutine.
Dmitry Orlov
[Traduction Alexandre MOUMBARIS
relecture Marie-José MOUMBARIS
Pour le Comité Valmy]
éditions Démocrite,
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