"Devenir soi", c’est le mot d’ordre lancé par Jacques Attali. Un chemin qui révèle nos forces, et nous apprend à faire valser les idées reçues pour réinventer l’avenir.
Madame Figaro. - Face à la crise, ceux qui s’en sortiront sont ceux qui se « débrouilleront ». N’attendons plus de l’État et de l’entreprise qu’ils décident de notre avenir, écrivez-vous. La sortie du marasme ambiant dépend-elle aussi de notre attitude ?
Madame Figaro. - Face à la crise, ceux qui s’en sortiront sont ceux qui se « débrouilleront ». N’attendons plus de l’État et de l’entreprise qu’ils décident de notre avenir, écrivez-vous. La sortie du marasme ambiant dépend-elle aussi de notre attitude ?
Jacques Attali. - Plus que dans l’attente, les Français sont à mes yeux aujourd’hui dans la position du résigné-réclamant. Pouvoir réclamer, c’est déjà une chance, cela signifie que l’on n’est pas dans un État totalitaire. Mais nous sommes comme résignés à ne faire que réclamer. Il y a une explication à cela : la France est une nation qui s’est construite autour de l’État providence, dont on a été habitués à tout obtenir. Mais cet État est devenu obèse, il ne peut plus répondre à la demande. Quand je dis « N’attendez plus rien du politique, prenez-vous en main ! », ce n’est pas un constat d’échec du politique, mais plutôt celui d’une fin de course. Il va falloir que la société prenne le relais. Car ce que les gens attendent, en réalité, ce n’est plus seulement un travail, un salaire, mais qu’on les aide à devenir soi. On va plus que jamais avoir besoin de gens qui nous orientent, de conseillers d’éducation, de coachs…
Devenir soi, qu’est-ce que cela veut dire concrètement ?
C’est d’abord se rendre compte que nous sommes mortels et que l’on ne vit qu’une fois. Cela peut paraître une banalité. Mais souvent, cela nous saute aux yeux après un choc - la mort d’un proche, une maladie, un accident… On prend alors conscience que même si l’on a beaucoup à donner aux autres, on est d’abord seul. « Être entrepreneur de sa vie », cela veut d’abord dire que notre vie est notre première entreprise. Que l’on se doit de plonger en soi pour comprendre ce dont on a vraiment besoin. Car il faut d’abord se respecter pour pouvoir respecter les autres. Et se respecter, c’est prendre soin de sa santé, de son alimentation, faire du sport. Mais aussi, ne pas se contenter d’un chef, d’un métier, d’un conjoint, qui ne nous plaît pas. Ne plus subir. L’idée que tout le monde soit salarié n’a plus de sens. Dans les quartiers, une personne sur trois peut créer une entreprise, en a la motivation, les compétences. On peut aussi créer un parti politique, une association. Ou devenir intrapreneur, initier ses propres projets au sein de son entreprise. En réalité, cela revient aussi à transformerla précarité imposée par la loi du marché en une chance. C’est très ambitieux : cela demande, par exemple, de s’imposer de ne pas faire quelque chose qui pourrait être mieux fait par un autre. De penser en permanence à ce que l’on peut apporter non pas de différent, mais de singulier. Chacun d’entre nous à une singularité à exprimer - le tout est de se donner l’occasion de le montrer.
Ne décrivez-vous pas là un rêve pour happy few ? Tout lâcher peut faire peur quand on a la responsabilité d’une famille, d’enfants…
C’est tout sauf un projet pour privilégiés ! Dans mon livre, je consacre trois chapitres à montrer comment les femmes dans les pays les plus pauvres ont totalement infléchi le cours de leur vie en se prenant en main et en créant une micro-entreprise. Je défends l’idée de la formation des chômeurs, et plus précisément d’une rémunération qui leur serve à se former à devenir soi. C’est un travail méritant salaire, car il est profondément utile à la collectivité.
Peut-on appliquer les valeurs des start-up à nos vies ?
Absolument. Je conseille d’avoir, comme dans une entreprise, une projection sur les vingt ans à venir. Et ce, quel que soit son âge. Qui ai-je envie de devenir ? Se trouver n’est pas si simple. On n’est pas obligé de devenir soi en une fois. Et d’ailleurs, on a même plusieurs soi. Une start-up qui réussit est une start-up qui fonctionne en réseaux. Travailler avec d’autres, c’est fondamental aujourd’hui. Cela consiste aussi à créer un devenir soi qui ne nuise pas à celui des autres. Enfin, on peut penser sa vie comme une œuvre complète. Pour certains, entreprendre signifiera peut-être vivre dans la jouissance complète, mais pour d’autres, et c’est souvent le cas chez les femmes, porter un projet, c’est entreprendre pour que les générations futures vivent mieux que nous. Même si on est d’abord seul, on ne peut pas réussir sans les autres.
(1) Devenir soi, éditions Fayard.
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