29 février 2016

La maladie de Lyme est sous-diagnostiquée en France

Professeur Christian Perronne, médecin, chef de service en infectiologie à l'hopital universitaire Raymond-Poincaré de Garches. Il préside la commission des maladies transmissibles au Haut Conseil de la santé publique. © RGA/REA
Avez-vous entendu parler de la maladie de Lyme ? Non ? C'est bien le problème. Transmise par les tiques, cette maladie touche de plus en plus de personnes chaque année en France et se trouve au cœur de nombreuses polémiques, tant du point de vue de son diagnostic que de son traitement. Traitée avec succès si elle est repérée rapidement, elle passe souvent inaperçue et peut s'immiscer insidieusement dans l'organisme jusqu'à devenir indélogeable et provoquer des troubles extrêmement graves.
Voilà vingt ans que le professeur Christian Perronne lutte comme un diable pour que la France revoie sa manière d'appréhender cette pathologie. Des malades, chaque année, le professeur Perronne en reçoit des centaines dans le service de maladies infectieuses qu'il dirige à l'hôpital Raymond-Poincaré de Garches (Hauts-de-Seine). Le Point donne la parole à celui qui est devenu LA référence française de cette maladie surnommée la « grande simulatrice ».

Le Point : Pourquoi surnomme-t-on la maladie de Lyme la « grande simulatrice » ?

Christian Perronne : Le seul symptôme qui permet à coup sûr d'identifier cette maladie – due à des bactéries du genre Borrelia transmises par les tiques – est une auréole rouge apparaissant sur la peau, autour du point de piqûre, nommée érythème migrant. Malheureusement, une fois sur deux, il est absent. Nombre de symptômes vont se développer au fil du temps : fièvre, asthénie, gonflements articulaires, paralysies faciales, troubles cognitifs, problèmes psychiatriques… tous attribuables à d'autres pathologies. Exactement comme la syphilis, à laquelle on a emprunté ce surnom. On passe facilement à côté du diagnostic réel. Or, non traitée, l'infection va se propager et provoquer des dégâts profonds. Il n'est pas rare de voir des patients chez qui on a diagnostiqué sclérose en plaques ou polyarthrite rhumatoïde à tort. Même dans mon service, il nous est arrivé de soigner des patients souffrant de paralysies sévères, par exemple de paraplégies sans cause identifiée au départ, alors qu'ils avaient la maladie de Lyme. Cette pathologie est clairement sous-diagnostiquée en France.

Il existe pourtant des tests sanguins pour identifier la maladie de Lyme ?

Les médecins sont très peu formés à cette maladie, et à part ceux exerçant dans des zones où les maladies à tiques sont courantes, comme les Vosges et l'est de la France, les autres y pensent peu. Quand ils ont l'intuition de faire un test sanguin, ce qui arrive de plus en plus souvent heureusement, la sérologie des patients n'est pas fiable, il y a trop de faux négatifs ! Les limites des tests sérologiques sont bien connues. Le Haut Conseil de la santé publique (HCSP), qui a réalisé un état des lieux des connaissances sur la maladie de Lyme en décembre 2014, l'a relevé. Pour ma part, je ne regarde plus la sérologie de mes patients. C'est, en l'état actuel, un piètre indicateur. Mettre au point des tests efficaces est d'autant plus urgent qu'on peut aussi tomber dans l'autre extrême et surdiagnostiquer la maladie. Tout n'est pas Lyme, même après une piqûre de tique ! Les tiques véhiculent bien d'autres pathogènes, parfois plusieurs à la fois. Il faut de meilleurs outils pour identifier ces maladies méconnues, et les anti-infectieux qui les combattront.

Les traitements antibiotiques suffisent à soigner la maladie de Lyme ?

Plus la maladie est dépistée tôt, plus on a de chances de la vaincre avec des antibiotiques. Plus on traîne, plus il y aura de dommages irréversibles. Mais, encore une fois, même si la maladie est enfin identifiée, nous nous retrouvons devant un problème de taille, lui aussi relevé par le HCSP : les recommandations en vigueur à ce jour en France pour soigner la maladie de Lyme datent de la conférence de consensus de 2006, elles ne sont pas adaptées. Les traitements antibiotiques préconisés sont bien en deçà, tant en quantité qu'en durée, de ce qu'il faut pour stopper Lyme. Et les médecins qui s'aventurent à prescrire au-delà s'exposent aux foudres de la Sécurité sociale, certains finissent devant les tribunaux ! Il faut revoir ces recommandations ! Pour les infections anciennes, un traitement antibiotique court est une hérésie, et dans les cas les plus sévères, de longs mois de traitement sont aussi nécessaires.

Un discours qui peut heurter à l'heure où la résistance aux antibiotiques fait rage…

Il faut arrêter avec ça ! Les antibiotiques utilisés contre Lyme n'entrent pas en concurrence avec les traitements des souches de bactéries résistantes. Quand un dermatologue peut prescrire de longs mois de doxycycline pour traiter l'acné, pourquoi un généraliste n'aurait-il pas le droit d'utiliser cette molécule de la même manière puisqu'elle est efficace contre Lyme ? De plus, pour lever cette polémique, des études suggèrent une efficacité de médicaments anti-infectieux, non antibiotiques. Il faut financer la recherche pour pouvoir le démontrer et les utiliser.

L'État en fait-il assez ?

On avance à deux à l'heure, alors que Lyme est officiellement reconnu comme zoonose prioritaire ! Les recommandations du HCSP ne sont toujours pas suivies, le nombre de malades de Lyme non traités ne cesse d'augmenter. Nous sommes obligés de refuser des patients désespérés tous les jours par dizaines à Garches. De plus en plus de Français se tournent même vers d'autres pays pour se soigner, comme l'Allemagne, où les médecins sont plus libres dans la prescription d'antibiotiques, où sont autorisés des tests un peu plus sensibles. Alors que nous dépistons en France 27 000 cas par an, ils en dépistent plus de 100 000 en Allemagne. Comme si les tiques s'arrêtaient à la frontière…

Ce nomadisme médical n'est-il pas risqué ?

On assiste au développement d'un vrai business, certains Français y laissent des fortunes. Ils ne sont à l'abri des charlatans ni en Allemagne ni en France. Le patient qui souffre, qui a vu X médecins, et à qui on répète depuis des années que le problème est dans sa tête – parce que c'est ce qui se passe quand on ne lui trouve rien – peut avoir, en désespoir de cause, des comportements dangereux.

Peut-on espérer voir la situation s'améliorer ?

Les choses bougent… à l'étranger. Le meilleur exemple, c'est le Canada. Si en France la proposition de loi sur la maladie de Lyme a été retoquée l'an dernier, là-bas, elle est passée ! Le gouvernement canadien a demandé à un groupe de travail d'élaborer de nouvelles recommandations. Le but est d'améliorer la prévention, les tests, les traitements, la formation des professionnels… Au Luxembourg, des pétitionnaires ont été reçus au Sénat. Aux États-Unis, dans certains États, une loi protège les médecins qui risquaient auparavant la radiation s'ils ne suivaient pas les recommandations très contestées de la Société américaine de maladies infectieuses (IDSA), qui faisaient référence.

Vous dites « faisaient référence ». Ce n'est donc plus le cas ?

Le site officiel américain qui met en ligne les recommandations pour les professionnels de santé et les compagnies d'assurance, le National Guideline Clearinghouse, a retiré les recommandations de l'IDSA, pour les remplacer par les recommandations de l'ILADS, Société internationale de Lyme et ses maladies associées, considérée naguère comme dissidente. C'est un fait historique, une véritable ouverture pour les malades. Les mentalités doivent continuer d'évoluer en ce sens et la recherche avancer ! Outre les tests à améliorer, les traitements à redéfinir, les co-infections à identifier, il y a aussi la question de la transmission inter-humaine à élucider. Nombre de spécialistes de Lyme font état de possible transmission de la bactérie par voies sexuelle et materno-fœtale. Nous devons savoir. Il faut cesser de tergiverser : c'est une question de santé publique !

Gwendoline Dos Santos

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