Fisk donne diverses précisions sur les nouveaux systèmes d’arme fournis par les Russes à l’armée syrienne, notamment les chars T-90 qui disposent de dispositifs passifs et actifs d’auto-défense contre les missiles antichars des rebelles, notamment les systèmes TOW (USA) qui leur sont fournis soit par les Saoudiens, soit par des canaux de la CIA. Ces missiles sont extrêmement efficaces contre les T-64 et T-72 des générations précédentes, mais face au T-90 ils rencontrent l’obstacle passif d’un blindage (néanmoins) actif, ou réactif, autant que celui de systèmes de contre-mesures qui font exploser le missile avant l’impact. D’autre part de nouveaux équipements électroniques pour la reconnaissance, la visée et la conduite de tir, la vision nocturne, etc., ont permis à l’armée syrienne d’acquérir une capacité tactique majeure qui donne des effets stratégiques indéniables.
« Syrian officers have been shown how the new T-90 anti-missile system causes rockets to veer off course only yards from the tanks when fired directly at them. Is this the weapon that might defeat the mass rocket assaults of Isis and Nusra? Perhaps. Even more important for the Syrians, however, are the new Russian night-vision motion sensors, and the electronic surveillance-reconnaissance equipment which enabled the government army to smash through the Nusra defences in the mountainous far north-west of Syria, breaking the rebel supply lines from Turkey to Aleppo. »
Ce “nouveau départ” pour l’armée syrienne, est décrit effectivement par Fisk au travers de ces nouveaux équipements, mais aussi, d’une façon plus humaine, par divers traits plus personnalisés, qui concernent la solidité structurelle et morale de ces forces (en six ans de combat, il y a eu plus de défection vers les rebelles des forces de sécurité syrienne, – 5.000 policiers et officiers de divers autres corps de sécurité, sur 28.000, – que des soldats de l’armée elle-même). L’accent est mis notamment, d’une façon originale, sur le comportement des plus hauts gradés, autant par leurs prouesses que par les pertes enregistrées, témoignant de leur présence au front et au feu. Outre une mention d’un colonel fameux, surnommé “le tigre” et que l’armée syrienne désigne comme “son Rommel” (« In the eastern countryside, Colonel Suheil Hassan, the “Tiger” whom some of the Syrian military regard as their Rommel, has been heading north to end an Isis siege on a Syrian airbase »), Fisk écrit ceci :
« Meanwhile, the Syrians continue to lose high-ranking officers in battle. At least six generals have been killed in combat during the Syrian war, allowing the army to proclaim that their top men lead from the front.
» The commander of Syria’s Special Forces was killed in Idlib, and the commander of Syrian military intelligence in the east of the country was killed in Deir al-Zour. Major-General Mohsen Mahlouf died in battle near Palmyra. General Saleh, a close friend and colleague of Colonel “Tiger” Hassan, took on the suicide bombers of al-Qaeda in the Sheikh Najjar Industrial City outside Aleppo a year ago. He told me that suicide bombers killed 23 of his men in one vast explosion there. I met him afterwards, and thought at the time that he had adopted a blithe – almost foolhardy – disregard of death. Just a month ago, he drove over an IED bomb which blew off the lower half of his right leg. These are hard men, many of whom trained in a Syrian military college whose front gate legend reads: “Welcome to the school of heroism, where the gods of war are made.” Chilling stuff. »
L’évolution est caractéristique également, ces derniers mois et sous l’impulsion des Russes, au niveau de la coopération et de la coordination des différentes forces engagées (l’armée syrienne, certes, avec des contingents des Gardiens de la Révolution d’Iran qui comptent 5.000 hommes et des unités du Hezbollah, ainsi que des détachements de milices afghanes et pakistanaises pour un total équivalent de 5.000 autres combattants). L’offensive qui a permis la reprise en seulement huit jours, le mois dernier, des villages chiites de Nubl et de Zahra, semble être le premier exemple d’une opération combinée de cette sorte qui a donné toute satisfaction, notamment aux conseillers russes, beaucoup plus discrets et en nombre limité, mais qui maîtrisent parfaitement l’art de l’organisation d’opérations coordonnées et combinées de forces peu habituées à se battre ensemble.
Une autre occurrence intéressante pour les Russes, – et ceci expliquant d’autant plus leur choix de rééquiper l’armée syrienne en systèmes modernes, – est de confronter ces systèmes aux très rudes conditions opérationnelles de ce conflit. Bien entendu, ces diverses initiatives impliquent la présence sur place d’instructeurs russes. Tout cela se fait d’une façon effective mais discrète, un peu selon ces nouvelles conditions des “guerres hybrides” dans lesquelles les Russes ont montré, depuis la Crimée et la prise “en douceur” de Sébastopol, qu’ils excellaient ...
« There are new Russian-made trucks alongside them, and a lot of artillery and – surely Isis’s spies are supposed to see this – plenty of Syrian soldiers walking beside the perimeter wire beside Russian soldiers wearing floppy military hats against the sun, the kind they used in the old days in the summer heat of Afghanistan in the 1980s. There’s even a Russian general based at the Isriyah military base, making sure that Syrian tank crews receive the most efficient training on the T-90s. No, Russian ground troops are not going to fight Isis. That was never the intention. [...]
» But the Russians have to be up in the desert to the east of the Aleppo-Hama-Homs-Damascus axis, both to train the Syrian tank crews and maintain an eastern base of forward air controllers to guide the Sukhoi bombers on to their night-time targets. [...] The Russians are in a unique position among Syrian ground forces; they can train the Syrians how to use the new tanks and then watch how the T-90s perform without having to suffer any casualties themselves. »
Ce qui est intéressant dans cet article de Fisk, c’est d’abord le fait que l’auteur est un reporteur généraliste, avec des engagements certes mais qui n’est pas véritablement un spécialiste de la chose militaire. Pourtant, ou bien à cause de cela justement, il parvient à parfaitement restituer une atmosphère caractérisant cette coalition qui s’est structurée autour de l’armée syrienne, elle-même ressuscitée grâce à l’intervention russe. Il est certain que cette intervention, autant par le poids opérationnel et l’apport de matériels et systèmes nouveaux que par la dynamique psychologique impliquée, a permis à un nouvel état d’esprit de s’installer. C’est cela que Fisk met très fortement en évidence, bien que son article soit si nettement orienté sur le sujet des nouveaux équipements militaires russes. L’on distingue alors la perception que ces nouveaux équipements ne sont pas de la simple “ferraille de luxe” (de technologies avancées) jetée dans la fournaise d’une guerre extrêmement complexe, multiple et insaisissable, mais au contraire des instruments qu’il s’agit d’intégrer le plus fermement dans le maniement et la psychologie des combattants...
(On établira un contraste complet, par exemple mais exemple important vu l’activisme des Saoud en Syrie également, avec la même “ferraille de luxe” dont les USA arrosent l’Arabie et qui alimentent dans un processus de complète inversion des capacités militaires très basses, qui en sont encore plus réduites, comme si le renforcement devenait lui-même facteur d'inversion. On le voit dans le désastre dans diverses dimensions, silencieux du point de vue de la communication, que l’armée saoudienne est en train de subir au Yemen malgré ses attaques aériennes de destruction massive, souvent contre les civils yéménites mais qui ne passionnent guère ni ne mobilisent en aucune façon les grandes consciences humanitaristes du bloc-BAO.)
Ce que la phase Syrie-II apporte et démontre plus largement, dans les nuances des perceptions diverses, c’est la forte structuration psychologique de l’armée russe en plus de tous les avantages techniques, technologiques, stratégiques, etc., qu’elle apporte avec elle. Il est certain que l’expérience ukrainienne, où la communication a énormément compté, où des “concepts” typiquement postmodernes tels que l’hybridité d’un affrontement ou la furtivité d’un conflit complètement déformé par la communication ont été développés, a beaucoup compté pour l’armée russe. Face à de telles conditions à la fois brutales et dissolvantes, comme on a vu lors de la crise ukrainienne où toutes les “batailles” (ou les simulacres de “batailles”) se sont déroulées à la marge des situations et des territoires, soit les psychologies cèdent soit elles se renforcent. Pour l’armée russe, le renforcement apparaît, d’après ce qu’on voit, comme une évidence, et cette dynamique est directement infusée dans l’armée syrienne et les acteurs qui lui sont associés. Pour elle, pour l’armée russe, il y a une continuité entre l’Ukraine et la Syrie-II, qui constitue un formidable renforcement de ses capacités. Les Syriens et leurs autres alliés, eux, acquièrent, par transfert psychologique en plus du transfert d’armements nouveaux, un caractère de résilience similaire.
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