01 janvier 2016

Les fous de Léros


 
Léros est une toute petite île du Dodécanèse, aux confins de la mer Égée.

C’est sur cette île que fut établi, en 1959, l’asile de Léros, dans les bâtiments militaires abandonnés par les italiens après la deuxième guerre mondiale.

Le but étant de rassembler dans un même lieu tous les patients psychiatriques provenant de l’ensemble des institutions de santé mentale de Grèce, et considérés comme « incurables ».


L’asile s’est vite développé et dans les années 80, plus de 4.000 personnes y étaient détenues. Des prisonniers politiques y ont également été emprisonnés pendant la junte militaire (1967-1974).

Les conditions de vie épouvantables de l’asile de Léros reflétaient les conditions de vie des autres « hôpitaux de santé mentale » du pays.

Félix Guattari avait dénoncé cette situation dans De Leros à La Borde, précédé de Journal de Leros sorti en 1989, et réédité cette année aux éditions Lignes.

Vous trouverez ici ici ce qu’il a découvert à Léros. 


Photo Alex Majoli, 1994 


Photo Alex Majoli, 1994

Et voilà que, vingt ans après la mise en place de la « réforme psychiatrique » en Grèce – une réforme qui n’a jamais vraiment eu lieu – le risque est grand que des personnes mentalement malades se trouvent obligées de retourner dans le confinement psychiatrique, pour cause de coupes budgétaires dans les structures de réhabilitation psychosociale.

Ainsi, fin août 2011, le Ministre de la Santé grec annonce sa décision : une réduction de 50% du budget est prévue pour 2011, pour les structures de santé mentale du Programme de la Réforme Psychiatrique, appelé « Psychargos ». Il n’y a tout simplement plus d’argent, et ça fait des mois que les travailleurs du secteur ne sont plus payés.

Cette décision concerne 210 structures de santé mentale, pensions, hospices, appartements protégés, CPMS, hôpitaux de jour etc., plus de 3000 salariés, 1 500 malades mentaux qui vivent dans ces structures, sans compter les milliers des personnes (environ 35.000) usagers de ces services jusqu’à présent gratuits.

Les conséquences ne se font pas attendre : des licenciements et des « mises en réserve » du personnel, des fusions, voire des fermetures de certaines structures, et le retour des malades mentaux dans des asiles psychiatriques comme celui de Daphni, à Athènes, ainsi que des rumeurs de réouverture totale du mouroir de Léros.

On en est là aujourd’hui, le gouvernement grec ayant décidé des « priorités », certaines vies valent d’être vécues, d’autres non.

lien

Pauvres, vieux, malades, migrants, tous ces bouches inutiles…

Dans cet article du Guardian (traduit par mes soins, pardon pour les erreurs éventuelles) daté du 12 juin, on peut lire :

Ces deux dernières semaines, le gouverneur de l’hôpital psychiatrique de l’île de Léros, dans le Dodécanèse, a été obligé de négocier avec les fournisseurs, pour maintenir les livraisons de nourriture, malgré une incapacité presque totale à les payer. Ces livraisons s’étaient arrêtées pendant une semaine, après quoi Yiannis Antartis a trouvé de quoi payer 15.000 euros à chaque fournisseur – assez pour les encourager à recommencer leurs livraisons, mais loin d’être suffisant pour couvrir les dettes totales de l’hôpital auprès d’eux, qui s’élèvent à 1,25 M €.

Antartis sait qu’il a environ un mois pour trouver de quoi payer les dettes de l’hôpital, et protéger ainsi les 400 patients, qui ont une gamme importante de pathologies, de la dépression à la démence, en passant par la schizophrénie. L’hôpital a environ 13 M € de dettes auprès des caisses d’assurance maladie, il envoie déjà les échantillons pour analyses à des laboratoires privés faute d’installations suffisantes, il en sera bientôt à se battre pour les bases, a déclaré le gouverneur.

« Si nous ne recevons pas d’argent dans les trois à cinq semaines, nous allons avoir un vrai problème, pour la nourriture, les médicaments, les fournitures hospitalières, les bandages, et même le matériel de base »dit-il. « Toutes les installations de l’hôpital vont commencer à tomber en panne ».

« Ma principale préoccupation est de recevoir assez d’argent à partir des fonds d’assurance de l’État, juste pour payer certaines factures en suspens, juste pour être en mesure de faire fonctionner l’hôpital. Je suis vraiment inquiet, car si nous ne recevons pas d’argent, l’hôpital ne pourra pas fonctionner normalement.»

Sa position a été confortée par la directrice d’un hospice d’État dans le quartier de Kypseli, à Athènes, qui a déclaré la semaine dernière que, outre la pénurie de médicaments et l’incapacité de payer les factures d’énergie, l’institution de Léros n’avait pas de viande depuis le 1er juin.

Yannis Antartis est le gouverneur de l’hôpital depuis les années 1980, à l’époque où on avait découvert les conditions de vie des patients, nus et enchaînés à leurs lits … Il est catégorique: l’institution est viable. En 1988, explique t-il, 1.600 patients étaient «entassés» dans les salles, et pris en charge par un personnel moins nombreux qu’aujourd’hui. Actuellement, 120 des 400 patients peuvent vivre une vie relativement normale en dehors de l’hôpital.

Mais, la semaine dernière, Antartis était si préoccupé par son approvisionnement, qu’il a écrit au ministère de la Santé et aux principaux partis politiques, avertissant que les patients étaient victimes de malnutrition. Depuis, il a réussi à obtenir des fournitures, et a rencontré le ministre de la santé par intérim, qui, dit-il, a fait preuve de compréhension et a promis 150.000 € d’ici la fin juin.

«Mais le ministre a souligné que les caisses d’assurance n’ont pas d’argent et que les hôpitaux doivent économiser chaque centime pour pouvoir continuer», dit Antartis. Compte tenu de l’énormité des dettes, et de leur taux d’intérêt très élevé, 150.000 € ce n’est pas grand chose…

Yannis Antartis est soulagé d’avoir réussi à résoudre – même temporairement – le problème des approvisionnements alimentaires, sans que les patients réalisent que quelque chose n’allait pas. Mais il reste préoccupé, en particulier sur les fournitures médicales, car c’est un domaine où la communauté des habitants de Léros, même active et charitable, ne sera pas en mesure d’aider. «Je pense que les gens nous aideront avec de la nourriture», dit-il. « Mais même ça risque de devenir un problème à la longue, parce que, pour combien de temps vont-ils pouvoir aider? »

Léros, la liberté est thérapeutique (2003, sous-titré en anglais)
Documentaire d’Andreas Loukakos sur l’asile psychiatrique de Léros, fermé il y a 20 ans.

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Au-delà de tout ceci, je me dis, que finalement, nous, les « normaux » n’apportons que des réponses « techniques » au « problème du handicap ». Ainsi, les bâtiments publics, quels qu’ils soient, les mairies comme les chambres d’hôtes, doivent être « aux normes » pour « accueillir les handicapés ». Enfin, disons plutôt, leur fauteuil roulant.

A l’arrivée, ça empêchera la plupart des handicapés – moteurs en tous cas – d’accéder à plein d’endroits. Vu qu’il n’y a plus de pognon pour ça. On fermera les écoles, plutôt que de les « adapter ».

Mais l’humain, dans tout ça, il est ou ? …

Quant aux handicapés mentaux. Alors là. Imaginez, un matin, dans une rame de métro, une bande de brindezingues bavant, criant, souriant, chantant, débraillés, ébouriffés … Du coup, la rame de métro se vide, ou alors tout le monde est tout d’un coup très occupé à taper sur son portable, les regards se font fuyants…

Imaginez, l’un de ces hurluberlus s’approche de vous, et comme vous êtes plutôt jolie, et que vous lui plaisez, il sort son zizi pour vous le montrer… Il ne sait pas que « ça ne se fait pas »… Dans la France de Sarkollande, comme dans la Grèce de la troïka, on va l’enfermer celui-là, le cacher, loin avec des autres comme lui, comme ce berger qu’on a enfermé pendant trois ans pour une gifle …

Comme ce nouveau préfet de Moselle, Nacer Meddah, secrétaire général de la campagne présidentielle de… François Hollande, qui vient d’expulser une famille kosovare.

Migrants, pauvres, vieux, fous, toutes ces bouches inutiles…

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