Sébastien Vecchio : Pourquoi avoir choisi de consacrer le dernier numéro de Krisis à l’idéologie du genre?
Thibault Isabel : La principale raison, c’est que la différence des sexes constitue aujourd’hui une réalité sulfureuse, contre laquelle lutte notre intelligentsia avec un acharnement farouche. Il est désormais malvenu d’opérer une distinction claire entre les hommes et les femmes, à moins de passer pour un irréductible réactionnaire! Nos élites ne comprennent plus du tout qu’on puisse militer pour une meilleure équité entre les sexes sans pour autant vouloir abolir les notions de masculin et de féminin.
Najat Vallaud-Belkacem, lorsqu’elle était ministre des Droits des femmes, a jeté un pavé dans la mare en lançant son fameux «ABCD de l’égalité». La priorité éducative de l’actuel gouvernement n’est visiblement pas de réhabiliter la culture et l’étude des langues anciennes, mais de « déconstruire les stéréotypes de genre» chez de pauvres enfants de maternelle qui n’ont rien demandé à personne ! Malheureusement, les Français ne comprennent pas toujours à quelle sauce ils risquent d’être mangés à l’avenir, car ils connaissent en réalité très mal les «gender studies» anglo-saxonnes, qui servent de Bible à nos politiciens. Nous avons donc jugé essentiel de réarmer l’intelligence contre cette nouvelle idéologie (mais aussi accessoirement de montrer ce qui peut malgré tout être conservé dans les études de genre, qui n’ont pas en définitive que des défauts).
Sébastien Vecchio : Comment l’idéologie du genre influence-t-elle la vie de couple aujourd’hui?
Thibault Isabel : La situation devient alarmante, à beaucoup de niveaux. Les hommes et les femmes ne savent plus comment vivre ensemble. On leur demande d’être parfaitement similaires: les femmes doivent être des mâles comme les autres, et les hommes ne sont appréciés que lorsqu’ils perdent toute virilité. Mais les codes sociaux qui permettaient de réguler la vie de couple ont disparu et, dans les faits, les conjoints éprouvent de plus en plus de mal à se parler et s’entendre. Plus les gens se ressemblent, moins ils se comprennent! C’est ce que montre très bien le féminisme différentialiste, qu’incarnent notamment Luce Irigaray, Sylviane Agacinski et Camille Froidevaux-Metterie: la revalorisation des femmes dans la société ne transite pas par l’effacement de tous les repères, mais par le respect des différences.
Les cultures traditionnelles, au contraire de la nôtre, reposaient précisément sur l’idée de complémentarité. C’était une marque de sagesse, car les hommes et les femmes ont en effet besoin les uns des autres, tout comme les jeunes et les vieux, les manuels et les intellectuels, etc. Or, aujourd’hui, dans la nouvelle culture individualiste et libérale, chacun veut être complet par soi-même, pour ne pas avoir à se soucier du reste de la collectivité (le couple, la famille, le quartier). L’androgynie devient notre rêve secret d’autosuffisance. Mais c’est une dangereuse illusion! L’individu ne sera jamais assez fort pour pouvoir se passer d’autrui, et ce culte irréaliste de la performance n’engendrera finalement qu’une perpétuelle insatisfaction.
Sébastien Vecchio : Les transformations sociétales que vous évoquez ont-elles un impact également sur la vie sexuelle?
Thibault Isabel : Le sexe s’est rarement porté aussi mal qu’à notre époque. Certes, la pornographie a pignon sur rue, grâce à la mode des sexshops et au développement de l’Internet, si bien qu’à l’âge de douze ans, plus de trois quarts des garçons et la moitié des filles ont déjà visionné un film X! Mais, en réalité, les rapports hommes-femmes sont désastreux, les couples n’ont jamais été aussi fragiles et le sexe n’est plus qu’un long chemin de croix, comme le décrivent très bien les romans de Michel Houellebecq. On pourrait aussi parler de la situation dans les banlieues, où les jeunes filles sont soumises au regard inquisiteur et oppressant des «grands frères», tandis qu’elles sont harcelées à la moindre occasion par les avances vulgaires d’adolescents mal élevés qui les sifflent dans la rue et les suivent des yeux avec une insistance voyeuriste. Ce problème de machisme dépasse d’ailleurs largement les frontières sociales: il se retrouve jusqu’à un certain point dans tous les milieux, y compris chez les populations les plus aisées.
Bien sûr, on ne doit pas sombrer pour autant dans le néo-puritanisme. Au contraire! La situation actuelle signe en fait la mort du sexe épanoui. D’un côté, certains se vautrent dans un sexisme maladif qui les pousse au harcèlement et au machisme ; tandis que, dans le même temps, les théoriciens du genre nous somment d’abandonner toute identité et de rester sexuellement indifférenciés! Aucune de ces attitudes ne favorise l’harmonie des rapports de sexe, ni celle de la sexualité, qui se nourrit plutôt d’équilibre, de différence et de respect. Un juste milieu reste plus que jamais à établir.
Sébastien Vecchio : Pouvez-vous nous présenter rapidement les auteurs du numéro?
Thibault Isabel : Nous avons eu la chance de réunir un formidable panel d’intervenants, issus de tous les champs disciplinaires et de tous les bords du spectre politique, comme par exemple l’anthropologue Maurice Godelier, l’écrivaine féministe Nancy Huston, le professeur de neurosciences Jacques Balthazart, ainsi que des habitués de la revue comme Yves Christen, et bien sûr Alain de Benoist. Au total, nous proposons une quinzaine d’articles, qui permettront réellement de mieux comprendre les enjeux du débat. Je tiens à noter aussi la reprise d’un texte oublié mais fondamental de Mircea Eliade sur le mariage sacré dans les cultures antiques.
Publié par Isabel Thibault
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