26 septembre 2015

Les policiers et les militaires français n'en peuvent plus


Jeudi 24 septembre, France Info dévoilait le nombre d'heures supplémentaires non payées réalisées par les fonctionnaires de police. Le décompte est impressionnant : pour son seul corps d'élite, l'Etat doit plus d'un million d'heures. Ce chiffre témoigne de l'état dans lequel les forces de sécurité françaises se trouvent aujourd'hui et s'avère très parlant sur le rapport que notre société entretient avec elles, dans une période de crise et de danger terroriste.

Jean-Claude Delage : On fait face, aujourd'hui, à une ambiguïté qui est particulièrement difficile à saisir pour les forces de polices. Nous vivons mal le fait d'avoir été les héros nationaux en Janvier.

Nous avons payé un lourd tribut au cours des attentats. Plusieurs de nos collègues sont morts assassinés et nous avons eu droit à la reconnaissance générale. De la population, mais aussi de toute la classe politique, du gouvernement, qui ont tous salué le travail difficile que nous fournissons, souligné les conditions dans lesquelles nous exerçons et pointé du doigt les faibles moyens dont nous disposons.

Après toutes ces déclarations, les forces de police s'attendaient donc à des avancées notables concernant les conditions d'exercice et les moyens qui leur sont alloués. Finalement, depuis les attentats de Charlie Hebdo, de l'Hyper Casher... En dépit du Thalys, de tous les risques terroristes qui existent sur le territoire national (rappelons que, tous les jours, les services d'investigation déjouent des attentats, qu'ils appréhendent des individus potentiellement dangereux...), il n'y a eu aucune évolution. Fut-elle matérielle, humaine (en termes de recrutement, de renforts) ou d'armes juridiques plus favorables aux policiers. Pas de plan pluriannuel, pas de plan Marshall. Rien, ou presque. Aux problèmes, on a trouvé des solutions parcellaires : pour faire face au manque d'effectifs et de moyens dans les services de renseignement, on va déplacer des gardiens de la paix en provenance d'autres unités, où ils ne peuvent pas encore être remplacés. On se contente de déplacer le problème. Dans d'autres situations, où le problème de fond concerne l'emploi, le cœur du métier, la mission qu'on nous demande d'exercer, comme dans le cadre des CRS qui font face à une situation de suremploi dangereuse, la solution a été la suivante : une augmentation de 3 euros pour les agents. Quand bien même cela faisait des années qu'on ne leur avait pas octroyé de hausse, cela ne règle en aucun cas le problème originel.

Compte-tenu du fait que notre corps de métier à été encensé, que son travail a été glorifié et ses moyens contraints, soulignés, nous nous attendions à une évolution. Le Président de la République a annoncé des améliorations, tant en termes de renouvellement des effectifs et de recrutement qu'en termes de moyens prévus et alloués à la défense nationale. Logiquement, nous espérions que cela concernerait la police nationale. Nous voulions un plan pluriannuel, comprenant des mesures importantes. L'annonce de moyens effectifs et matériels, la révision des armes juridiques, comme celles concernant le contrôle d'identité, celles traitant de la légitime défense... Il nous est difficile de réagir, si nous sommes d'ores et déjà en deçà de ceux à qui nous faisons face. En outre, nous espérions aussi une évolution plus personnelle ; la perspective d'amélioration des carrières des policiers, plus de visions sur l'avenir, et finalement nous n'en avons rien.

Nous sommes déçus. En Janvier prochain, on fêtera le triste anniversaire des attentats, tout le monde en parlera et cela donnera lieu à de grandes cérémonies. Pendant ce temps-là, les forces de polices ont l'impression que tout cela n'aura été qu'un coup de com' de la part de l'Etat. Dans les faits, rien n'a amélioré la situation des policiers au quotidien. Il n'y a aucune perspective d'évolution. Et avec tout cela, l'effort qui nous est demandé est accru : depuis janvier, le plan Vigipirate nécessite la mobilisation des policiers. Je dois le dire : il est heureux que l'armée soit également réquisitionnée pour nous venir en aide. Sans quoi, compte-tenu de la mission que nous devons assurer, nous ne serions plus capable d'assumer la moindre de nos tâches de sécurité publique. Les heures supplémentaires s'accumulent. Elles sont au nombre de 15 à 20 millions (le syndicat Alliance les a sanctuarisées) et elles ne sont simplement pas réglées. C'est physiquement éreintant pour l'ensemble des troupes. Ça l'est également d'un point de vue moral : mes collègues persistent à assurer cette mission car ils pensent à la population que nous protégeons. Mais nous manquons de moyens (en hommes, en matériel) pour le faire, et nous manquons de considération. Sur le long terme et sans perspective d'avenir, cela risque de ne pas être possible à tenir. D'ici peu de temps, la situation pourrait se complexifier.

Mathieu Zagrodzki : Il y a deux choses qui entrent en conjonction pour conduire à la situation actuelle.

La première est une baisse ou la relative stabilité des effectifs. Il y a eu une grosse augmentation entre 2002 et 2007, qui a été suivie par une grosse baisse jusqu’en 2012. Depuis, il y a des efforts pour re-augmenter les effectifs policier. Seulement la plus part des nouveaux recrutements qui ont été fait depuis l’ère François Hollande sont des agents de sécurité. Il s’agit d’agents contractuels qui signent pour 3 ans renouvelable une fois, et qui n’ont pas tous les pouvoirs d’un gardien de la paix.

Le deuxième élément, est propre à ces huit derniers mois : il y a une explosion de garde statique et notamment en région parisienne. Ce phénomène s’explique par la multiplication du nombre de personne à protéger. L’actualité du nombre d’heure impayées qui touche le secteur en ce moment concerne surtout ce type de garde. Avec la menace terroriste, il n’y a plus seulement des personnalités politiques à protéger, ainsi qu’un certain nombre d’intellectuels, d’artistes ou de journalistes.
 
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