LE FIGARO. - Quelle est la responsabilité de la grande distribution dans la dégradation de la condition des éleveurs?
Périco LEGASSE. - Si ce n'était que ça. Autant demander à l'insecte quelle est la responsabilité de l'araignée sur la toile dans laquelle il vient de se prendre. Il suffit d'aller faire un tour au rayon boucherie des grandes surfaces et de pointer l'origine des étiquettes, la part des produits en provenance de l'étranger ne cesse de croître, payés à des tarifs avec lesquels l'élevage français ne peut entrer en compétition. Quant à la viande française, issue du plus bas de la gamme, elle est payée à des tarifs si bas que les éleveurs vendent à perte. Certes, les premiers interlocuteurs sont les abattoirs, mais, loin d'être des saints, ces derniers sont tenus par une course à la compétitivité par la grande distribution. Comment un éleveur peut-il accepter de vendre sa viande 3,98€ et de la retrouver à 14,50€ sur les étals des grandes surfaces? Qui se goinfre au passage? Quand on est au bord du gouffre, on a le droit de s'en exaspérer.
Comment expliquer le dysfonctionnement croissant du système agro-alimentaire?
C'est un réel problème de civilisation et chaque jour qui passe nous fait toucher le fond de ce système satanique qui consiste à surproduire pour surconsommer en comprimant au maximum les prix de production pour augmenter la marge du distributeur. Ecraser le fournisseur, qu'il soit agriculteur ou industriel, pour conforter les bénéfices d'enseignes qui croulent sous les profits alors que certains producteurs sont en train de crever. Tout cela n'a rien de nouveau et les signaux d'alarme sont actionnés sans relâche depuis des années dans l'indifférence totale des pouvoirs publics. Mais la puissance financière de la grande distribution et sa collusion avec la classe politique conduisent au massacre économique et social que l'on constate quotidiennement. Nos gouvernants, de «droite» comme de «gauche» - tout cela ne veut plus rien dire - ont tellement peur d'aller dans le sens contraire de l'histoire, entendez celui des marchés financiers, en réglementant les pratiques commerciales abusives et déloyales, que la grande distribution dicte leur conduite aux pouvoirs publics. Des pratiques avec lesquelles ont leurre le peuple en lui faisant croire que Leclerc, Auchan, Carrefour ou Intermarché se battent pour qu'il puisse toujours payer moins cher, et qui aboutissent, en fait, à la ruine de nos agriculteurs et à la destruction d'emplois éradiqués par les importations concurrentes. Sans parler des méfaits sociologiques d'un consumérisme à outrance qui installe la malbouffe industrielle dans les mœurs alimentaires. Ni des conditions sociales dans lesquelles travaillent des caissières peu a peu remplacées par les caisses automatiques. Alors que ce fut au départ une idée formidable, la grande distribution est devenue un fléau national en pleine expansion. La vérité est que nos éleveurs gênent, car ce système économique est périmé aux yeux du pouvoir, mais ils ont mauvais caractère quand on les mène à l'abattoir, et surtout des gros tracteurs qui barrent les ponts, alors il faut bien leur donner un peu de foin pour qu'ils n'en fassent plus.
Que penser de l'appel solennel que François Hollande a lancé aux acteurs de la grande distribution?
Je pense que François Hollande a un sens de l'humour débordant. C'est lui qui a nommé à Bercy l'ancien rapporteur du projet Attali prescrivant l'installation des enseignes de la grande distribution dans les «cœurs de ville», cause de la disparition rapide de ce qui restait du petit commerce de proximité. Il est donc solidaire de ce système. Monsieur Macron est le génie du libéral-socialisme qui va transformer la France en supermarché. Et maintenant on leur dit: «Eh les mecs, faut pas trop écraser la gueule des paysans, sans ça ils font des barrages sur les routes». En fait, la grande distribution fascine M. Hollande, comme tous les phénomènes auxquels on peut ajouter le concept «pour tous». Là c'est la «malbouffe pour tous». Vraiment, nous avons un président de la République im-pay-able!
On parle peu des négociations autour du Traité de libre-échange transatlantique (TAFTA) entre l'Union européenne et les Etats-Unis. Que pensez-vous de sa mise en place? Quel effet produira-t-il sur les agriculteurs français et la qualité de leur production?
Oh vous savez, on se couche bien devant les Allemands (dont nous avons adopté la monnaie déguisée en euro, celle qui nous a rendu si riches, si puissants, si compétitifs et si croissants) depuis le Traité de Maastricht, et nous les soutenons quant il s'agit de châtier le peuple grec d'avoir tenté de refuser le diktat germanique demandé par celui-là même qui avait certifié que les comptes de la Grèce autorisaient son entrée dans l'euro, l'ancien chargé d'affaires de Goldman Sachs en Europe… un certain Mario Draghi, aujourd'hui président de la BCE. Alors pourquoi ne pas se coucher aussi devant les injonctions américaines à renoncer à tout ce qui nous protège d'un libéralisme brutal et débridé? Le libéral-socialisme c'est aussi tendre la main au grand frère d'outre-Atlantique qui veut nous aider à résister aux méchants Asiatiques. Un conte de fées qui n'engage que ceux qui y croient. La preuve, quand ils espionnent nos dirigeants, on s'excuse presque de leur demander pardon. Si ce fameux TAFTA est signé tel que José Manuel Barroso et Jean-Claude Juncker l'ont conçu, ce sera tout simplement la fin des spécificités qui régissent la vie économique française depuis la Deuxième guerre mondiale et surtout la fin des normes qui permettent à l'agriculture française de se distinguer par la mise en valeur de son patrimoine qualitatif et par la préservation de ses origines. Mais tout ça, c'est ringard. La modernité c'est de supprimer une ligne SNCF électrifiée pour la remplacer par des autobus à mazout sur des routes saturées.
Quelle est l'influence de la convention européenne des travailleurs détachés sur le secteur agricole? [Pour mémoire, le nombre de travailleurs détachés dans l'agriculture a grimpé de plus de 1000% entre 2004 et 2011, atteignant environ 40 000 personnes.]
En l'occurrence l'agression n'est ni mongole, ni moldave, ni bolivienne, mais signé par notre principal partenaire, notre rempart, notre gouvernante en matière de bonne éducation européenne l'Allemagne.
C'est très simple, elle a permis à la première puissance industrielle européenne, l'Allemagne, de devenir aussi la première puissance agricole. Ainsi les éleveurs de porcs bretons auxquels on a expliqué, avec la complicité de la FNSEA, ce grand syndicat qui cogère l'agriculture française avec le ministère depuis 1964, que le productivisme à outrance, dans la qualité de viande la plus infâme, leur garantirait la suprématie sur ce marché, se sont retrouvés au tapis, lessivés, ruinés. Pourquoi? Parce que l'Allemagne, pas à un scrupule près, embauche, à des salaires proches de l'esclavage, de la main d'œuvre des anciens pays de l'Est grâce à cette convention et qu'elle peut ainsi proposer du porc 15 à 20% moins cher que le moins cher des porcs armoricains. Ainsi les grandes surfaces de Quimper, Saint-Brieuc, Brest et Rennes peuvent-elles proposer du cochon allemand à un prix qui condamne à mort la filière bretonne. Les consommateurs des Côtes-d'Armor financent leur propre déclin en mangeant du cochon d'outre-Rhin. Tout cela sous le regard hébété de nos élites, de nos princes, de nos banquiers, qui se disent que, quand même, il y a quelque chose qui flanche dans leur montage européen mais qu'il faut continuer comme ça, car il est interdit de remettre en cause l'hégémonie de Berlin. En l'occurrence l'agression n'est ni mongole, ni moldave, ni bolivienne, mais signée par notre principal partenaire, notre rempart, notre gouvernante en matière de bonne éducation européenne: l'Allemagne.
La production agricole et les exportations agroalimentaires allemandes dépassent celles de la France depuis 2007. Plus compétitive, l'Allemagne domine dans le secteur du porc, du bœuf, de la volaille, des œufs, du lait et même des fraises. L'Espagne a pour ambition de devenir le leader dans la production de porcs en Europe. La concurrence se fait surtout sentir au sein même de l'UE… Les salaires des agriculteurs en France devront-il s'aligner à la baisse sur ceux de nos voisins?
Les salaires agricoles français sont déjà au plus bas, nous en savons quelque chose, et ne permettent plus aux
Le paysan français veut vivre de son travail. Il ne demande ni l'aumône, ni un poumon artificiel, mais que le lait et la viande qu'il produit en trimant et en respectant des règles drastiques de production lui donne de quoi vivre.
exploitations de vivre de leur travail. Car en plus le paysan français, ce fainéant qui tire au flanc et passe sa journée à gémir, c'est bien connu, est assisté par les subsides versés par le contribuable allemand, via la PAC. Le paysan français, cela est dit et répété depuis des jours sur tous les médias audibles de ce pays, veut vivre de son travail. Il ne demande ni l'aumône, ni un poumon artificiel, mais que le lait et la viande qu'il produit en trimant et en respectant des règles drastiques de production lui donne de quoi vivre. Quel scandale! Et là, on lui explique que s'il ne s'aligne pas sur le néo-esclavagisme né des traités européens et appliqué par des institutions non élues, il n'a plus qu'à mourir. Produire de la saloperie ne suffit pas, il faut aussi vivre dans la misère. C'est ça la concurrence libre et non faussée du rêve européen?
Depuis dix ans, à l'exception des caprins, l'évolution des cheptels français est à la baisse. Comment l'expliquer?
Normal. Tout est fait pour éradiquer l'élevage français. La filiérisation de l'agriculture est une aberration. Races à viande, races à lait. C'est stupide. La solution est dans la mixité, comme cela a toujours été le cas du temps où l'agriculture française était la plus performante du monde. Une vache donne naturellement du lait pour nourrir son veau, un lait que l'on transforme en beurre, en yaourt, en fromages, etc. Quand la vache a fini sa «carrière» de laitière, qu'elle est «tarie», pour utiliser l'expression consacrée, il suffit de la mettre à l'herbe durant quelques mois pour obtenir une viande de très grande qualité. Pour cela il faut remettre des millions d'hectares de pâturages en valeur. Or aujourd'hui une viande bovine bouchère est obtenue en nourrissant la bête avec des céréales très coûteuses, du maïs qui nécessite un arrosage calamiteux pour nos réserves d'eau, ou au tourteau de soja OGM importé en masse d'Amérique du Sud. Tout ce qui va dans le sens contraire de la logique et du bon sens. Résultat: l'élevage français est dans l'impasse pendant que nos concurrents européens, Irlande, Grande-Bretagne, Allemagne et Espagne déversent sur le marché des millions de tonnes de viandes meilleures et moins chères car eux ont conservé la pratique du pâturage. Quant à l'élevage laitier, il est concurrencé par des laits industriels infâmes importés souvent de très loin et vendus en brique UHT. Allez chercher un litre de lait frais dans une supérette de village, en pleine région laitière, on vous regarde avec des yeux ronds comme si vous débarquiez d'Uranus. La publicité a lavé les cerveaux et la grande distribution finit le travail en gavant le consommateur de produits sans âme et sans saveur. Et le consommateur joue les moutons de Panurge, par paresse, facilité, ignorance et conformisme. Sublime paradoxe, la patron de la FNSEA, premier syndicat agricole, Xavier Beulin, qui discute avec le ministre, est président de la multinationale Sofiprotéol, propriétaire de plusieurs marques agro-alimentaires, dont l'une des filiales à 100%, la société Farmor (Glon-Sanders), à Guingamp, importe des centaines de milliers de tonnes de poulets industriels brésiliens produits dans des conditions ignobles. D'une main j'envoie mes éleveurs de volailles faire des actions commandos, d'une autre j'importe en masse ce qui les conduit à la ruine. Tout un symbole des aberrations de notre époque. Une question historique se pose alors, qu'est-ce que ce monsieur fait à la table des négociations? Stéphane Le Foll est un grand ministre de l'Agriculture, dommage qu'il n'ait pas le pouvoir de faire ce qu'il sait devoir faire.
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