13 juillet 2015

Un « samouraï » chez les Cigognes


Si, au cours de la Première Guerre Mondiale, l’histoire de ressortissants américains ayant formé, en 1916, l’escadrille La Fayette est connue au point d’inspirer le cinéma (« C’est la guerre » en 1958 et « Flyboy » en 2006), celle d’une poignée d’aviateurs japonais engagés dans l’armée française l’est beaucoup moins.

Le plus « célèbre » d’entre eux, si l’on peut dire, est sans doute Kiyotaké Shigeno. Né le 6 octobre 1882 et issu d’une famille de l’aristocratie militaire japonaise, ce dernier fut contraint de choisir le métier des armes alors qu’il se rêvait musicien.

À l’âge de 14 ans, sous la pression familiale, il intègre une académie militaire qu’il quittera finalement pour étudier la musique et se marier. Seulement, sa jeune épouse décède en 1910 et il décide alors de partir en France pour continuer ses études musicales. Là, il va se découvrir une autre passion : l’aviation.

Fin 1911, le baron Kiyotaké Shigeno obtient ainsi son brevet civil de pilote et se lance dans la mise au point d’un avion avec l’aide de Charles Roux ingénieur français. Appelé « Shigeno Wakadori-go », le biplan effectue son premier vol en avril 1912.

Un an plus tard, Shigeno, revenu au pays avec son avion, bat le record d’altitude japonais en volant à 300 mètres d’altitude et devient professeur à l’école militaire d’aviation du Japon. Alors qu’il est de retour en France pour acheter un nouvel appareil, la guerre éclate. Il s’engage dans l’armée française le 20 décembre 1914 dans la Légion étrangère – étape obligée pour les volontaires étrangers – avec les galons de capitaine. Affecté dans l’aviation, il ne tarde pas à décrocher son brevet de pilote militaire, qu’il passe à Avord.

En mai 1915, il rejoint l’escadrille V24, équipée de Voisin LAS de bombardement. Trois mois plus tard, il se distingue lors d’un vol de reconnaissance au-dessus des lignes allemandes, dans la région de Reims. Dans le quotidien La Croix, un soldat raconte :

« Vers cinq heures un quart du soir, arrive un aéro[plane] français survolant de droite à gauche le Bois-en-Potence qui nous fait face et les tranchées que nous surveillons. Pendant une demi-heure, volant à une hauteur moyenne, le pilote, que nous soupçonnons être un capitaine aviateur japonais rencontré à Rosnay et réputé pour son audace, manoeuvra avec une habileté incroyable qui enthousiasme tous les braves fantassins des tranchées. Dans son vol sur un front très restreint, où il dut photographier et repérer bien des travaux ennemis, l’aviateur navigua dans un véritable fleuve d’obus : on en compta un minimum de 562, de divers calibres, qu’on estima à une valeur de 20.000 francs, et pas un soubresaut de l’appareil ne permit de supposer que le moindre éclat avait atteint l’aviateur ni endommagé l’appareil qui n’était pas blindé. Quand le travail sembla terminé, l’aéro évolua avec grâce entre les deux lignes, comme pour narguer ses impuissants ennemis et s’en retourna salué par nos applaudissements. »

Quelques jours plus tard, le capitaine Shigeno est victime de problèmes de santé. Hospitalisé, il est fait chevalier de la Légion d’honneur et cité à l’ordre de l’armée pour sa mission réalisée dans le secteur de Reims.

Revenu au sein de son escadrille en décembre, il se signale une nouvelle fois en mai 1916 en affrontant deux appareils ennemis pendant 45 minutes. Puis, après quelques affectations éphémères, le pilote japonais rejoint l’escadrille N26 (future SPA 26) et le Groupe de chasse (GC) 12, c’est à dire les « Cigognes » du commandant Brocard et de Guynemer. En coopération avec ce dernier, sur SPAD VII, il obtient sa première victoire homologuée en envoyant au tapis un biplan allemand.

En avril 1917, toujours aux commandes d’un SPAD VII, il abat un monoplace ennemi. Mais, n’ayant pas pu suivre sa proie jusqu’au sol, sa victoire n’est pas homologuée. Plus tard, blessé et malade, le capitaine Shigeno est de nouveau hospitalisé jusqu’à la signature de l’armistice. Et en mars 1919, il est démobilisé.

S’étant remarié avec une jeune française, le capitaine Shigeno quitte la France en 1920 pour retrouver son pays natal, où il s’attache à développer l’aviation commerciale et à organiser des meetings aériens. Mais, en octobre 1924, il s’éteint des suites d’une pneumonie.

« Le parcours de Kiyotaké Shigeno est exemplaire des liens privilégiés qui unissent la France et le Japon dans le domaine militaire au début du xxe siècle. C’est ainsi que, avant d’apporter au second son savoir-faire en matière d’aviation, le premier de ces pays l’a soutenu dans le secteur naval, avec la construction de l’arsenal de Yokosuka. Dès 1910, des avions français sont acquis par l’empire du Soleil Levant qui, avec la Grande Guerre, découvre l’intérêt stratégique de la puissance aérienne. C’est ainsi que, en 1919, une mission militaire est expédiée sur place afin de prendre part à la création d’une aviation équipée de matériels français », peut-on lire dans une chronique du Centre d’études stratégiques aérospatiales (CESA).

Outre le capitaine Shigeno, l’on trouve aussi, parmi ces volontaires japonais ayant servi les armes françaises, le lieutenant Onokichi Isobé, les sergents Goroku Moro et Shukounosouké Kobayashi ainsi que le caporal Tadao Yamanaka.

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