06 juin 2015

Assurément ce royaume ne peut pas être le nôtre

Le président Georges W. Bush n’est pas un converti au sens paulinien du terme. Il ne prend pas conscience de l’erreur mortelle que constitue la loi positive, celle que la puissance du diable, du raïs ou de l’empereur impose aux peuples soumis. Tout au contraire, il crée du droit par la force des armes. Il renie l’esprit d’amour absolu qui constitue le sens d’un christianisme bien compris. Il puise dans la Torah les justifications que l’apôtre dénonce. La conversion vraie est un renversement de perspective, par lequel l’homme prend conscience que l’esprit en lui porte une loi dont l’amour témoigne. Cette loi est contraire à cette autre loi qui tombe comme une gifle, sinon comme une bombe, envoyée par un autre, au nom d’un ordre qui se donne Dieu pour père.

Georges W. Bush est ce que l’on appelle en Amérique a born again christian, un chrétien re-né après une vie de mécréant. Un humain normalisé par le moule idéologique ambiant. C’est ainsi que le protocole du cabinet veut que chaque réunion soit précédée d’une prière laissée à l’inspiration de chaque membre, à tour de rôle. Chaque jour, le président s’entretient avec Dieu de la politique américaine. Il ne manque pas de ponctuer tout discours du God bless America, qu’il faut entendre au sens judéo-chrétien : Que Dieu accorde la fécondité, la prospérité, le bonheur et la puissance au peuple élu d’Amérique ! En témoignage de sa confiance en le Très-Haut, le Congrès vient d’imposer un jour d’humilité, de prière et de jeûne, au peuple américain, nouvel Israël et Fils de Dieu.

Le président est probablement plus près d’être proclamé messie ou berger de Dieu qu’il ne l’est de recevoir le prix Nobel de la paix.

Référons-nous à l’histoire : Lorsque Cyrus le Grand, roi de Babylone, s’avance de l’Orient pour soumettre les rois les plus puissants et les nations les plus éloignées, c’est nécessairement Yhwh, le dieu d’Israël qui le conduit, puisque le cours de l’Histoire lui appartient : « Ainsi a dit Yhwh à son messie, à Cyrus que j’ai saisi par la main droite, pour soumettre devant lui les nations et détacher la ceinture sur les reins des rois, pour ouvrir devant lui les deux battants et pour que les portes ne restent pas fermées. Moi, j’irai devant toi et j’aplanirai les pentes, je fracasserai les battants de bronze et je briserai les verrous de fer (voir l’image des guerriers américains enfonçant la porte du palais à Bagdad). Je te donnerai les trésors des ténèbres et les dépôts cachés, afin que tu saches que je suis Yhwh, celui qui t’appelle par ton nom, le Dieu d’Israël. » (Is. XLV, 1-3) Les décisions géostratégiques du roi de Babylone l’amènent à rassembler le peuple d’Israël (déporté en Chaldée 70 ans auparavant) et à le renvoyer en Judée. Proclamé messie, pour mener une politique aussi conforme au destin que Yhwh envisage pour son peuple, ce grand roi, qui adore Marduk (le dieu créateur concurrent), devient paradoxalement le berger du dieu d’Israël : « Moi qui dis à Cyrus : mon berger ! tandis qu’il fera aboutir toute ma volonté, en disant de Jérusalem : qu’elle soit rebâtie ! et du temple : tu seras fondé. » (Is. XLIV, 28)

Assurément, le président américain, judéo-chrétien fondamentaliste, qui cherche à remettre chaque peuple à sa place selon l’ordre divin, ne peut trouver meilleure source d’inspiration que la lecture du Livre d’Isaïe ! Sa politique atteint au sublime. Il est le bras armé de Dieu, le messie et le berger qui protège tout à la fois le vieux peuple élu et le nouvel Israël.

Essayons de nous retrouver dans le labyrinthe des sectes protestantes américaines. Le président est membre de l’Eglise méthodiste unie des Etats-Unis. Le vice-président Dick Cheney l’est également. Cela crée bien sûr des liens. De même, son chef du personnel à la Maison Blanche, Andrew Card, qui veille au bon grain. Donald Rumsfeld semble se contenter de la prière au cabinet.

L’on évalue à quelques 70 millions ces néo-fondamentalistes issus du protestantisme américain. Ils sont les nouveaux élus de Dieu. Ils constituent le parti des bons, qui s’oppose à celui des méchants, pour refaire le monde selon la volonté de Dieu. Dénommés évangélistes ou pentecôtistes, ces idéologues courent la terre pour y semer leur mauvaise foi. Ils lisent la Bible sans esprit critique, comme un livre sans histoire, jeté du ciel feuille à feuille par une main divine. Ils croient que Dieu lui-même en est l’auteur. Ils ne voient pas l’horreur d’un tel livre de lois, de guerres, de sang et de larmes. Ils ne saisissent pas l’originalité spirituelle de l’évangile du Christ qui vient bouleverser la vision hébraïque du monde pour proposer l’amour universel et la paix sans les armes.

Les prédicateurs fous retournent vers les musulmans les thèmes de malédictions qui agrémentent les prophéties bibliques : « Voici que je vais étendre ma main contre les Philistins, je retrancherai les Keréthiens et je ferai périr ce qui reste sur le littoral de la mer (Gaza, Ashdod). J’exercerai contre eux de grandes vengeances, avec de furieuses remontrances et ils sauront que je suis Yhwh lorsque je leur appliquerai ma vengeance. » (Ezéchiel XXV, 16-17) L’islam est diabolisé. Il est perçu comme l’adversaire majeur de la fin des temps. Les prédicateurs évangélistes appellent à la conversion des musulmans et retrouvent en Israël leurs frères d’élection, alliés d’une même bataille. Eux-mêmes se convertiront, tout juste à la fin des temps. Cela est écrit !

Les sectes baptistes (Convention baptiste, Eglise fondamentaliste baptiste, Coalition chrétienne, etc.) ont poussé le président américain à porter la guerre en Irak, à l’exception, peut-être, de l’Eglise méthodiste unie à laquelle participe Georges W. Bush. Elle lui demandait de prier encore avant de décider. Un vent de folie idéologique tournoie dans le ciel des Etats-Unis. Les enquêtes d’opinion assurent que près de 50 % des américains se proclament évangélistes. Près des trois quarts attendent la fin des temps. Les plus avertis situent la grande bataille à Megiddo (l’Armageddon du Livre des révélations de Jean). Ils voient dans les événements contemporains, et dans l’opposition du Conseil de sécurité de l’ONU, les signes précurseurs de l’apocalypse : « Car la nation et le royaume qui ne te serviront pas, périront, et les nations seront vouées à la ruine. » (Is. LX, 12). Richard Perle : « Le règne de terreur de Saddam Hussein prend fin. Son gouvernement baasiste ne coulera toutefois pas seul. De manière ironique, les Nations unies sombreront avec lui. » (Le Figaro 11/04/03)

Une fracture se creuse entre les Eglises instituées (catholique, orthodoxe, anglicane, protestantes…) et les sectes évangélistes ou apocalyptiques qui revendiquent l’irrationalité du discours. Les premières appellent à la paix entre les peuples. Elles semblent s’accrocher à l’esprit universel, dont les œuvres fleurissent au cœur de la société mondiale, comme autant de contrariétés à l’encontre des puissances et des archontes qui dirigent le monde. Le pape a lancé un appel aux consciences et envoyé le cardinal Etchegaray à Bagdad pour transmettre au président irakien son message de paix. Le Conseil œcuménique de Genève a jugé cette guerre immorale. Le Conseil national des Eglises des Etats-Unis (NCC) a soutenu le peuple irakien et envoyé des représentants dans le pays. L’intention, bien utopique sans doute, consistait à former les Irakiens à des actions de « désobéissance civile », dans le prolongement des enseignements de Gandhi et de Luther King. Le NCC regroupe aussi bien des croyances qui théorisent les guerres justes que d’autres, comme celle des Quakers, qui professent un pacifisme absolu.

Les sectes évangélistes se figent sur des mythes sans mystères et prennent encore le diable pour le père. Elles appellent à la guerre messianique du bien contre le mal. Mais il ne faut pas entendre ici l’expression d’un dualisme vrai qui saurait reconnaître le drame cosmique, l'asservissement de la création et la souffrance des hommes. Il faut voir l’expression toute bête d’un slogan démagogique issu d’un catéchisme pour enfants.

Après avoir poussé à la guerre, les missionnaires américains s’apprêtent à venir accomplir leurs œuvres pieuses en Irak. La Convention baptiste du sud et la Bourse du Samaritain attendent de l’armée américaine l’autorisation d’engager leur prédication, avec les arguments que confère l’aide humanitaire. Dans cet Irak dévasté, ils croiseront les Mandéens disciples de Jean-Baptiste, baptistes s’il en est, que l’histoire a déposé comme derniers témoins du schisme fondateur qui opposa le prophète au Nazaréen. Ils découvriront encore les communautés nées de schismes avortés, tels les Nestoriens, opposants du concile d’Ephèse, et les Monophysites, opposants du concile de Chalcédoine.

Les vieilles croisades trouvaient leur justification dans la libération du tombeau du Christ. Elles connurent leur limite dans l’affrontement de l’Occident avec Saladin l’Arabe, qui finit par reprendre Jérusalem. Aujourd’hui, il s’agit de libérer le peuple irakien d’un Saddam moins héroïque. Il vit curieusement le jour en cette même cité de Takrit, huit cents ans plus tard que Saladin (1137-1937). L’on sait que pour Dieu, mille ans c’est comme un jour, et la bataille reprend où elle s’est arrêtée. Le Jour venu, les rois se prosterneront devant Sion et le Messie de la fin des temps inaugurera le Royaume de Dieu… Assurément ce royaume ne peut pas être le nôtre.

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