26 mai 2015

Britania for ever


Au milieu de tous nos malheurs et déconvenues de janvier/février, la perfide Albion en a profité pour nous passer devant dans le fameux classement des nations les plus puissantes : elle a raflé la 5ème place, et voici la France reléguée au 6ème rang mondial. Ce qui entérine les conclusions de la réunion de Davos.
Il faut avouer, cependant, que les bagages économiques et financiers de la Grande Bretagne sentent un peu le linge sale puisque sont inclus dans ce dispositif comptable des trafics (drogue, prostitution) que la morale réprouve.
Même si l’on préfère ne pas trop tenir compte de ces statistiques basées sur des critères essentiellement atlantiques, il ne faut pas oublier qu’ils contiennent une part d’évidence car les Britanniques sont avant tout des commerçants et des financiers…et ensuite, seulement, en fonction de cette basique réussite économique, des théoriciens de la démocratie. Un peu de rafraichissante histoire pour commencer:

En 1824, Louis XVIII Bourbon restauré, renoue la tradition monarchique des découvertes maritimes en commandant à Hyacinthe de Bougainville (fils de l’illustrissime Louis Antoine et bien meilleur marin) de diriger un prestigieux tour du monde. Mais il est trop tard : Pendant que la France changeait 7 fois de régime politique, et s’enlisait dans une interminable épopée européenne, les Britanniques se sont emparés des océans : là est la base du gigantesque empire économique et financier que le Royaume Uni maintiendra ("je maintiendrai") jusqu'à la Grande Guerre.
Après, c'est moins net.
Exsangue au sortir de la 2WW qu'elle a tenu à bout de bras et de volonté pendant 5 ans, la Grande Bretagne mettra 2 décennies à remonter la pente, taraudée par l'effondrement de ses industries et les mouvements indépendantistes : l'Empire s'effondre, vive le Commonwealth !

David Cameron a été un bon Premier Ministre. La Reine l'a reconduit pour 5 années avec bonheur et sourire ; elle le connait bien, et il est bien élevé. Il avait été élu sur un programme clair et précis : réduire le secteur public et son déficit, relancer le travail en défiscalisant et réduisant les zones de chômage, repenser et réformer l'éducation. Tout a été fait, ou du moins bien avancé : l'emploi fonctionne plutôt bien, même avec des bas salaires, l'Etat et les collectivités ont sacrifié plus de 400.000 postes en les transmettant souvent au secteur privé ou associatif, l'éducation également tout en restant gratuite pour les cycles élémentaires. Le slogan de Cameron pour sa réélection a été "gardons notre économie forte" : ça a marché : les Britanniques sont avant tout soucieux de leur argent et d'un élan vers un nouveau bien être : leur ambition est de continuer, après des années de vaches maigres. Cameron est une sorte de Thatcher affable, mais tout aussi obstiné, enrobé d'une bienséance que la Dame de fer n'avait pas : il a - de plus – des côtés sympa : sa femme est très mal habillée, il oublie ses enfants dans les auberges de campagne, il peuple le 10 de marmaille et arbore parfois un polo décontracté.

Le nouveau mandat devra continuer sa trajectoire avec 3 préoccupations : rester ou quitter l'Union Européenne ? En 2017, c'est promis, il y aura référendum. Question reliée aux Indépendantistes écossais très "européanistes"; enfin la question poignante (et générale à l'Europe) de la maitrise de l'immigration. De fait, c'est assez simple : Cameron respectera la promesse de cet encombrant référendum : il fera campagne avec les arguments "pour" et "contre", sans prendre vraiment parti et cela se terminera par un "oui, on reste" massif car c'est l'intérêt de tout le monde, sans pour autant rentrer dans la Zone Euro (surtout pas) ; cela résoudra du même coup la question écossaise car ces gens en kilt n'ont pas non plus intérêt à quitter le Royaume Uni ; et on ne va pas recommencer la lutte entre les Stuart et les Tudor !
Les questions les plus préoccupantes auront été au préalable négociées avec Bruxelles : Il a 2 ans pour négocier, plus de 700 jours, c'est bien assez. Cameron tiendra ses promesses, en les aménageant ; la politique britannique joue toujours sur tous les tableaux à la fois, avec de complexes méandres : la diplomatie la plus hypocrite de la planète, uniquement tournée vers le résultat escompté, même s'il faut céder sur les détails philosophiques.

Pour les Britanniques l'essentiel n'est ni l'Union Européenne ni la Zone Euro, dont ils ne veulent absolument pas : ce qui importe avant tout, c'est le Commonwealth et la Zone Sterling, laquelle a mis ses pas dans le dollar US.
Le Commonwealth : les Français n'y ont jamais rien compris (c'est bien dommage). Il est l'union - informelle - des Etats ou formations gouvernementales indépendantes qui ont fait partie de l'Empire : il est un "club" présidé par le monarque depuis 1947 ; en effet, après environ un siècle (pas plus) d'active occidentalisation et exploitation, les Britanniques se retirèrent presque partout sans résister (sauf au Kenya), offrant même aide et assistance aux jeunes indépendants. Leur préoccupation première fut de ne pas "couper" les liens financiers et commerciaux avec ces places ex-coloniales. Ils laissèrent les peuples s'écharper entre eux, contribuant parfois, comme ce fut le cas pour l'Inde, la Malaisie, Brunei, à rétablir de bien précaires créations. Les autochtones en restent le plus souvent reconnaissants, et il n'y a pas (ou peu) comme de nombreuses ex colonies françaises cette rancœur, cette haine rentrée et ce sentiment d'abandon, résidu malencontreux d'un passé sanglant et d'une décolonisation ratée. Au surplus, les Britanniques ont appris l'institution militaire à tous leurs peuples soumis : il est parfois troublant, en Jordanie, à Singapour, en Inde ou au Soudan, de voir ces défilés militaires de fêtes nationales, à l'anglaise, au pas "glissé", avec tartans et cornemuses.

A ce jour 53 États composent ce "club" de culture et langue anglaise (c'est énorme : un quart des Etats) : sauf urgence, le souverain anglais les réunit tous les 5 ans dans une capitale différente (la Reine y délègue depuis peu son héritier le prince Charles). C'est informel, sans statut écrit : on parle entre soi des affaires communes, en robe du soir et en smoking, on papote, on boit du thé et du sherry, et on fait le bilan de l'état du monde ; le droit d'entrée est l'établissement d'un "vrai" système parlementaire assorti du respect des principes des Bills of Rights. La pratique de l'apartheid fut une cause d'exclusion. Les signes de reconnaissance sont la langue anglaise, le rattachement à la zone sterling, une masse significative d'échanges avec le système britannique, des liens éducatifs, culturels, militaires et universitaires : Oxford, Cambridge, Sandhurst restent les fleurons du système.
Si, par mégarde, les Ecossais obtenaient un statut d'indépendance, l'Ecosse resterait membre du Commonwealth, intégrée ainsi au vaste système financier du Royaume Uni avec son whisky, ses bières, ses gigantesques élevages de poissons et crustacés, ses laines, ses universités, sa littérature et sa bourse des thés informatisée. Une kyrielle de conventions bilatérales serait alors organisée, atténuant fortement le désaccord politicien. Dans un autre registre les Jeux du Commonwealth ont eux aussi lieu tous les 4 ans, intercalés entre les J.O., utilisés comme un nouveau ciment d'appartenance, ils bétonnent avec les différents sports l'esprit de clan du système. Les deux dernières éditions en 2010 et 14 furent de splendides fêtes auréolées d'une pub touristique très efficace : ils diffusent ces sports mystérieux que sont le cricket, le badminton, le polo, le hockey sur gazon et autres amusements hermétiques tels que les cuites à la Brune Guiness et les concours de scones aux raisins secs.

A part une maigre minorité républicaine la Royauté est un lien fort, respecté : l'effigie de la Reine figure encore sur de nombreux timbres, et même sur les bank-notes ; la famille royale est très présente dans les informations, la presse, la télévision. La BBC entretient efficacement cette flamme même si ses moyens sont plus limités depuis quelques années. Les différentes versions locales du Times aussi. Les Windsor ont fait de la monarchie un "métier" copié par les autres monarques constitutionnels. Alors que les Républiques d'Europe ou américaines voient "passer" d'éphémères locataires présidentiels sans ancêtres ni succession, les Britanniques savent qui les confortera dans leur identité pendant les 100 prochaines années à défaut de les gouverner. C'est peut-être cela la solidité institutionnelle et morale.

Au-delà du folklore, le plus important, politiquement, est le solide "réseau" financier, bancaire, portuaire, maritime, aéronautique et d'assurances qu'entretient le Commonwealth, même s'il a été quelque peu grignoté par de nouvelles puissances (mais avec lesquelles on s'empresse d'être allié) : La Lloyd tentaculaire continue d'assurer et réassurer tout ce qui bouge, navigue, vole sur la planète ; ses annexes, ses investissements très variés en font un outil maître des marchés essentiels, notamment ceux des métaux précieux, des produits exotiques (partagés avec les Hollandais). En fait Albion n'est que d'un pied prudent dans l'Union Européenne (même si ses administrateurs sont nombreux à Bruxelles), et elle se garde bien de rentrer dans le facétieux Euro. Ce qui fait le socle de sa prospérité c'est la zone sterling, l'ex-Empire, le monde entier, le commerce et la banque, pas du tout la turbulente Europe. L'Anglais a toujours la tête tournée vers le monde, et pas du tout vers le mouvant ventre continental.
Pour résumer, dans l'esprit britannique, l'Union Européenne est "intéressante", mais le Commonwealth est "vital" ; lorsqu'on a intégré cela on comprend que la diplomatie officielle - de surface – n'intéresse plus vraiment le Royaume Uni : ce qui lui importe c'est la "diplomatie" économique et financière. En 1730 Montesquieu, en séjour à Londres, écrivait déjà "ces Anglais, qui ne vivent que pour eux-mêmes"...
Rule Britania...

THIBAUT Françoise
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