On ne commente pas les décisions de justice, parait-il. Toutefois,
certaines invitent néanmoins à la réflexion. La Cour d’Assises du Tarn
vient de condamner à sept ans de prison un buraliste qui avait tué en
2009 un cambrioleur qui s’était introduit chez lui durant la nuit. Cette
condamnation est d’autant plus surprenante que le Parquet avait requis
la légitime défense et considéré que le comportement de Luc Fournié
avait été adapté à la situation.
L’effraction et la nuit créent en effet les conditions stipulées par
l’article 122-6 du Code Pénal pour justifier la légitime défense.
Pourquoi le Jury n’en a-t-il pas tenu compte ? Il a jugé que la
présomption de légitime défense n’était pas vérifiée. D’abord, parce que
la préparation de l’effraction avait été constatée quatre jours avant
les faits par la victime de la tentative de cambriolage. Ensuite, parce
que celle-ci avait préparé l’accueil des voleurs avec un dispositif
artisanal d’alarme, et une arme chargée dans l’intention de l’utiliser
contre les intrus. Enfin, au lieu de prévenir et d’attendre les
gendarmes, le buraliste a fait feu dans l’obscurité, tuant l’un des
cambrioleurs et a tiré une nouvelle fois sur le second qui s’échappait.
On devine la pensée qui a dominé la délibération du jury et explique la
sévérité exemplaire de son verdict. Le buraliste avait « prémédité »son
geste et agi dans l’intention de tuer, sans proportion avec le danger
couru, ce qui est aussi une condition de la légitime défense. On espère
évidemment que l’aspect sociologique du drame n’a joué aucun rôle.
Lorsqu’un petit commerçant blanc tue un voleur noir, on rencontre une
situation propice aux interprétations idéologiques, même lorsque cela se
produit en France et pas aux Etats-Unis.
Néanmoins, le bon sens appelle plusieurs remarques. La première porte
sur la lourdeur de la peine. Plus de quatre ans après les faits, un
commerçant qui a cru défendre ses biens et sa famille va se trouver
incarcéré, hors d’état de travailler et de contribuer à la vie des
siens. Cet homme ne présente aucun danger pour la société, sauf pour les
voleurs. Il y participe honnêtement. Même si l’on accepte sa
culpabilité, on ne peut que s’étonner de l’inadaptation de la peine.
S’il a utilisé des moyens disproportionnés pour défendre ses biens, une
peine touchant ceux-ci ne serait-elle pas, elle-aussi, plus
proportionnée ? S’agit-il d’exemplarité pour dissuader de se faire
justice soi-même ? Mais dans ce cas, l’exemplarité a deux faces. Punir
le propriétaire qui se défend trop vigoureusement sous prétexte de ne
pas délivrer un permis de tuer revient à encourager les atteintes aux
biens et à décerner un permis de voler ! Une peine avec sursis ou un
Travail d’Intérêt Général au profit de la société et à la mesure de
l’infraction ne seraient-ils pas plus intelligents ?
En second lieu, la condamnation du buraliste de Lavaur soulève la
question cruciale du trouble que notre société connaît dans le domaine
des valeurs. On pourra dire qu’ici, elle a préféré la vie à la
propriété. Mais, face à deux grands gaillards vêtus de sombre, M.
Fournié devait-il attendre que ceux-ci tirent les premiers ? Un citoyen
banal doit-il vaincre une peur manifestement légitime en présence
d’intrus non-identifiés et que la nuit rend plus redoutables ? Pour
avoir rendu visite à l’hôpital à deux personnes âgées torturées pendant
toute une nuit par des voleurs, je comprends cette réaction. Avant la
connaissance des faits, quelle était la vie menacée ? D’ailleurs, si la
vie avait atteint un tel prix dans notre société, comment comprendre la
condamnation, par la Cour d’Assises des Bouches-du-Rhône, à cinq ans
dont trois avec sursis d’une mère ayant tué son nouveau-né, alors que le
Parquet avait requis dix ans ? Ou la peine plus que légère infligée par
le tribunal pour enfants de Béziers au meurtrier mineur d’une
collégienne ? Agé de 14 ans au moment des faits, il a été placé en
Centre Fermé, et jugé à 17 ans (?), n’a fait l’objet d’aucun mandat de
dépôt, malgré une condamnation à cinq ans de détention. Il avait envoyé
un SMS à sa mère lors de l’agression disant qu’il ne risquait rien,
puisqu’il était mineur… Les messages de notre société sont de moins en
moins clairs. L’instigateur du cambriolage de Lavaur, déjà « pincé »
sans suite six semaines auparavant, n’est-il le vrai responsable de la
mort de son complice et de l’acte commis par M. Fournié ? Il confiait
qu’il avait été fasciné par le personnage de Mesrine. Sans doute doit-on
féliciter les auteurs qui, à travers leurs écrits ou leurs films, ont
mis ce criminel en vedette ?
A la fin des années 1970, les idées semblaient plus claires. En 1979,
la Cour d’Assises de Moselle avait acquitté l’auteur d’un tir mortel
sur un garçon de 13 ans qui s’enfuyait après une tentative de vol, et en
1978, l’affaire « Legras »avait marqué les esprits. Poussé à bout par
de multiples cambriolages, le propriétaire d’un garage de Barbuise avait
disposé dans celui-ci un transistor piégé qui avait tué l’un des
intrus. Il avait été acquitté par la Cour d’Assises de l’Aube. A cette
époque, le bon sens invitait à ne pas sévir contre le citoyen honnête
conduit à commettre un acte répréhensible en réponse à une action
initiale foncièrement condamnable. Sans cambrioleur, pas de meurtrier !
L’évolution actuelle est préoccupante. Avec quelques collègues
parlementaires, j’avais plaidé avec succès auprès de Nicolas Sarkozy,
l’extension du rôle des jurys populaires. Ceux-ci me semblaient plus à
même de maintenir la cohésion sociale en répondant de manière
satisfaisante aux blessures ressenties par la conscience collective à
l’occasion d’un crime, pour employer le langage de Durkheim. Des
décisions comme celle d’Albi soulignent son incertitude sur l’évaluation
des « blessures ». Mais, c’est peut-être là un signe de
l’affaiblissement de la cohésion sociale.
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