10 mars 2015

L’unité 731 ou le camp de la mort à la sauce japonaise

Je l’ai sans doute écrit trois mille fois ici, les Japonais sont un peuple à l’imagination débordante – un détour sur n’importe quelle plateforme de porno en libre accès avec les mots-clés adéquats constituant probablement un exemple bien plus fort que n’importe quelle histoire de robots lubriques ou de poupées en silicone. Pourtant, il est un épisode de l’histoire contemporaine qui a montré que – lorsque utilisé à mauvais escient et mis au service de la destruction – ce génie créatif de tous les instants peut engendrer des atrocités dignes d’un Mengele et de sa clique de petites salopes de nazis. Il était une fois l’histoire d’un homme, Shiro Ishii, et d’une structure au service de la mort en masse, l’Unité 731, quelque part en Asie, au XXe siècle.

La victoire coûte que coûte

Avant d’en arriver aux faits, prenons quelques instants pour contextualiser notre histoire. Après des années de prise de tête, d’occupation partielle de territoire, de conflits larvés et d’embrouilles récurrentes avec les voisins chinois, Hirohito, l’empereur japonais décide sous l’impulsion de plusieurs idéologues militaires que les préliminaires et autres touche-pipi avec la Chine ont assez duré et qu’il est temps de passer à la sodomie finale. Le Japon envahit donc l’Est de la Chine en 1937 dans le cadre d’un grand délire expansionniste visant à prendre le contrôle de tous les pays de la région, sous couvert d’indépendantisme pan-asiatique. A la lecture de telles théories, c’est sans grande surprise que le Japon conclue une alliance avec l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste en septembre 1940, qui conduit fort logiquement l’Empire du Soleil Levant à entrer dans la grande et vile mascarade humaine de la Seconde Guerre Mondiale au cours de l’année suivante. Si les Japonais remportent rapidement plusieurs victoires en Malaisie, aux Philippines ou en Birmanie, un peu à l’image de l’Allemagne au début de la guerre, les choses se gâtent pourtant après quelques temps euphoriques. Les Chinois résistent plutôt bien, et les Britanniques et Américains, pas du genre à se laisser casser les couilles longtemps ripostent et foutent cette baltringue d’Hirohito dans une merde sans nom. Les moyens important peu, seule la victoire étant digne d’intérêt, c’est ici que les recherches de l’Unité 731 de Shiro Ishii deviennent primordiales dans notre affaire.

Shiro Ishii, itinéraire d’une sale crapule

Né en 1892, Shiro Ishii – un fils de bourgeois du genre individualiste et arrogant – suit des études de médecine à l’Université impériale de Kyoto puis s’engage dans la Garde impériale, en qualité de chirurgien militaire. A partir de 1924, il se spécialise dans la sérologie, la médecine préventive et la pathologie. Or l’année en question, le Japon connait une épidémie d’encéphalites particulièrement graves qui fait plus de 3500 morts, à raison d’un taux de mortalité dans 60% des cas. Ishii est alors dépêché sur place pour étudier le phénomène, compiler des informations et isoler le virus. Cette expérience singulière a une profonde influence sur le jeune médecin et lui file l’idée tordue que les agents pathogènes du type de ce virus pourraient avoir un rôle énorme s’ils étaient utilisés comme des armes de guerre. En médecin-soldat profondément nationaliste, il théorise et expose son projet diabolique à ses supérieurs et les convainc de l’envoyer deux années durant, entre 1928 et 1930, faire un tour de l’Europe pour étudier ce qui se trame en la matière de l’autre côté du globe. Au retour de ce voyage d’études en Europe, il se retrouve intégré comme commandant au sein du service de la prévention des épidémies de la nouvelle école de médecine de l’armée.


Shiro Ishii

Ishii se met alors à travailler, officiellement en tout cas, à l’invention d’un filtre à eau révolutionnaire capable de débarrasser une eau croupie de tous ses bacilles et le perfectionne jusqu’à le voir adopté en 1936 par l’Armée et la Marine japonaises. Pourtant, selon certains historiens, comme Patrick Berche, doyen de la fac de médecine de Paris Descartes et auteur de « L’histoire des guerres biologiques secrètes », cette mission lui sert en fait de couverture pour étudier des bacilles dangereux. Couvert par ceux qui le dirigent, Ishii se dédie sans relâche et en secret à sa petite culture de bactéries malfaisantes. Il installe alors un laboratoire secret dans les faubourgs de Harbin en Mandchourie en 1933 – un territoire occupé par le Japon depuis 1931, suite à une vicieuse manœuvre – et poursuit un objectif unique, à savoir foutre au point une arme bactériologique. Ishii a trouvé sa guerre et se fait affecter les tout meilleurs chercheurs japonais en la matière pour l’assister. A partir de 1936 ou 1938 – les versions divergent – Ishii et son unité s’installent à Pingfang, un autre bled pas loin d’Harbin. Considéré comme un éminent chercheur de l’empire, le nombre de collaborateurs qu’on lui octroie explose rapidement pour atteindre le millier – ce nombre montera même jusqu’à 3000 – alors que leur première bombe biologique a déjà vu le jour. Si elle n’en porte pas encore le nom, l’essence de l’Unité 731, elle, est bien née.

Camps de la mort à la sauce Teriyaki

De 1933 à 1945, Ishii dirige son camp d’une main de fer et met en place une structure qui n’a même à pas à rougir face l’atrocité des camps d’extermination allemands. Dans ce camp qui aurait comporté près de 150 bâtiments – sans compter les cinq autres camps satellites répartis sur le territoire chinois – Ishii et ses hommes se livrent à toutes sortes d’expérimentations sur des prisonniers, souvent des soldats russes, américains, chinois, coréens, mongoles mais aussi des intellectuels, des ouvriers ou simplement des personnes soupçonnées de ne pas partager les intérêts de l’Empire. Le camp devient un théâtre de l’Horreur humaine. Des individus sont enterrés vivant; d’autres se font injecter de l’air, de l’eau de mer ou du sang de cheval dans les veines; certains sont enfermés dans des chambres à hautes pressions jusqu’à en crever ; et puis il y a ceux qui sont bouillis ou vivisectés vivant, brûlés au lance-flamme, congelés, électrocutés, cramés aux rayons X, déshydratés à l’extrême, privés de sommeil, affamés ou projetés dans des centrifugeuses, jusqu’à la mort, bien entendu. Et quand bien même, ils survivent, ce n’est que le temps d’être soumis à l’expérience suivante. Les gardiens, eux, quand ils ne sont pas parties prenantes des expériences ont tout le loisir de contempler les marutas – ces cobayes humains – par le judas de leur cellule pour voir ces corps décharnés et leurs membres en décomposition avec parfois des bouts d’os sortant de chairs décomposées, noircies et nécrosées. Selon certaines sources, encore une fois difficilement vérifiables, trois mille individus, hommes, femmes et enfants laissèrent leur peau dans les laboratoires de l’Unité 731 à Pingfang, et certains parlent même de dix mille victimes au total entre 1933 et 1945.


Seule photographie supposément existante de l’unité 731

Plus grave encore – si tant est qu’on puisse établir une échelle de la gravité à ce niveau-là – Ishii ne perd à aucun moment son obsession de vue, à savoir développer des armes bactériologiques capables de mettre une armée, un pays à genoux en un temps record. Afin de répandre la peste par exemple, Shiro Ishii a l’idée d’utiliser des puces comme agents d’infection, après l’avoir testé sur des prisonniers au début des années 30. Afin d’en élever un grand nombre et de les nourrir, Ishii fait capturer et se reproduire des quantités astronomiques de rats visant à « héberger » les puces. Jamais à court d’idée, le Mengele japonais et ses hommes mettent également au point d’autres techniques pour propager les maladies telles que l’utilisation de bombes sales bien entendu, mais aussi de bombes en papier qui libèrent des rongeurs ou des plumes infectés. D’autres essais les conduisent également à contaminer des légumes, des gâteaux ou des bouteilles lâchés dans la nature. La population chinoise est la principale victime des intentions machiavéliques de Ishii. Ainsi le 4 octobre 1940, des grains de blé et de riz mélangés avec des puces porteuses de peste sont disséminés par avion au dessus de Chu Hsien dans Chekiang. La même chose se produit une vingtaine de jours plus tard sur le port de Ningpo, et d’autres épidémies de peste éclatent dans d’autres provinces chinoises sans pouvoir établir de manière certaine si les travaux d’Ishii en sont directement responsables. D’autres provinces chinoises sont également victimes de tentatives de contamination de la population à l’aide de bacilles d’anthrax ou de la typhoïde. La Chine dut ainsi lutter contre de nombreux foyers de peste, bien après la fin de la seconde guerre mondiale alors même que le virus avait été éradiqué avant le début du conflit. Selon Patrick Berche, il est avéré que les Japonais ont eu recours à de telles pratiques sur douze champs de batailles entre 1940 et 1942 et d’après les travaux publiés en 2002 par le Symposium International sur les Crimes de la Guerre Bactériologique, le nombre de personnes décédées en Chine suite aux expérimentations et à l’usage des armes bactériologiques par l’Armée impériale japonaise s’élèverait à plus de 580 000.

Et vas-y qu’on s’en sort…

Après l’invasion en août 1945 de la Mandchourie et de la Corée par l’Armée Rouge, pris de panique, Otozo Yamada, commandant de l’armée nipponne ordonne à l’autre taré de tout détruire avant que les Soviétiques ne ramènent leurs gros zgegs de communistes. Tous les marutas sont exécutés et les six-cents travailleurs chinois subissent le même sort. Une brigade est en charge de faire péter l’Unité 731 et le personnel se voit évacué en Corée, au sud de Séoul, avec une dose de poison en poche, histoire de pouvoir se foutre en l’air en cas de capture. Finalement arrêté dans la foulée par l’armée US, Ishii se voit en position de négocier sa liberté auprès d’Américains particulièrement intéressés par les résultats de ses « travaux ». A raison d’un accord entre le général Douglas Mac Arthur et Hirohito, une grande partie des officiers de l’unité 731 ne comparaissent devant aucune cour de justice, les cahiers de l’Unité 731 et les secrets des armes biologiques mises sur pied – allègrement utilisés ensuite dans le cadre du renforcement du potentiel d’armes biologiques de Fort-Detrick aux Etats-Unis – leur conférant une amnistie complètement hallucinante.

Finalement, il fallut attendre près de trente ans pour que l’Unité 731, restée très secrète – notamment en raison de l’obligation des participants à cette entreprise de fermer leur gueule – arrive jusqu’aux oreilles de l’opinion publique japonaise et mondiale. La diffusion en 1976, par une chaine japonaise de télévision d’un documentaire intitulé « A Bruise – Terror of the 731 Corps » et les publications en 1981 d’un rapport scientifique ainsi que d’un ouvrage de Seichi Mrimura contribuèrent à populariser très légèrement les atrocités japonaises au sein de la population locale sans pour autant soulever de véritable vague d’indignation.

Pas vu, pas pris

Plus récemment, en 2002, un tribunal japonais a reconnu l’existence de cette unité morbide, sans pour autant se prononcer sur la réelle nature de ses agissements, entretenant l’hypocrisie ambiante. Concernant l’utilisation d’armes chimiques, le Japon en a également reconnu l’utilisation implicitement et finance d’ailleurs des opérations de déminage d’anciens sites de stockage de bombes en Mandchourie. En février dernier, le journal anglais The Telegraph révélait que le Japon pourrait bien se décider à enfin affronter son passé en ouvrant une enquête concernant des ossements retrouvés en 1989 sur un chantier à Shinjuku (Tokyo) et qui, aux dires d’une infirmière en poste en 1945 proviendraient de corps brûlés et enterrés avant l’arrivée des alliés. Or les corps en question auraient fait partie d’un lot de cadavres et d’organes liés à l’Unité 731 et conservés dans du formol à des fins scientifiques.

Mais aujourd’hui encore, la mention même de l’Unité 731 fait tâche au Japon et le ministre de la santé a plusieurs fois refusé à des citoyens chinois – dont des proches seraient morts sous les expériences de Ishii – que les ossements en question soient soumis à des tests ADN. L’extrême droite japonaise – qui d’autre de toute façon – va même bien plus loin et refuse d’envisager que les actions de l’Unité 731 aient pu être d’autre nature que sanitaire. De nombreux scientifiques ayant exercé au sein de l’Unité 731 ont d’ailleurs eu de grandes carrières dans tous les domaines de la société japonaise et la jeunesse, à l’instar de ses ainés, n’a souvent jamais entendu parlé de l’Unité 731, et ne veut tout simplement rien en savoir. Longue et heureuse vie aux ignorants.

Cette pute d’Ishii, lui, vécut tranquillement et libre après la guerre, bien entouré par sa famille et ses amis. Convaincu d’avoir agi pour le bien du Japon, il demeura impuni jusqu’au bout. Toujours mu par une xénophobie et un nationalisme furieux, il salua même le travail de l’Unité 731 sans jamais exprimer le moindre regret, un an avant sa mort au cours d’une petite sauterie entre anciens, organisée en souvenir du bon temps. Il s’éteignit finalement d’un cancer de la gorge en 1959, à l’âge de 67 ans. L’histoire ne dit pas s’il donna son corps à la science.

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