Le nombre de cancers de la thyroïde a triplé aux Etats-Unis depuis quarante ans. Il a été multiplié par 2,4 en Suisse depuis 1975. En France, il progresse de 2 à 6 % par an, selon Martin Schlumberger, chef de service de médecine nucléaire de l’Institut de cancérologie Gustave Roussy à Villejuif [2].
Ce ne sont pas des personnes qui vont mourir du cancer de la thyroïde. Les chiffres de décès ne bougent pas : ils restent stables et faibles.
Ce sont des personnes qui se sont fait diagnostiquer un cancer. Elles se croient cancéreuses. Elles sont inquiètes, elles pensent qu’elles vont mourir, elles se font opérer, elles subissent toutes sortes de séquelles.
« Un tsunami de cancers de la thyroïde »
Déjà il y a deux ans, le 27 août 2013, le British Medical Journal, une très prestigieuse revue scientifique, avait tiré la sonnette d’alarme [3].
Il expliquait que l’introduction des nouvelles techniques d’imagerie médicale dans les années 80 avait conduit à une multiplication des « surdiagnostics » de cancers de la thyroïde.
Les nouveaux examens de la thyroïde (à l’ultrason) sont si perfectionnés qu’ils détectent de minuscules tumeurs, qui passaient inaperçues autrefois.
Le résultat a été une apparente épidémie de cancers de la thyroïde. Elle débouche sur une très forte augmentation des interventions médicales et chirurgicales, avec toute l’angoisse, les coûts et les séquelles que cela entraîne.
Car un nombre incroyable de gens ont une tumeur de la thyroïde : « Si l’on soumettait toute la population à un examen de la thyroïde par ultrasons, par exemple, on trouverait vraisemblablement un nodule chez 50 % des gens – nodule qui, dans plus de 80 % des cas, s’avère être une tumeur bénigne », selon Nicolas Rodondi, médecin-chef de la Policlinique médicale de l’Ile à Berne (Suisse) [4].
Il vaudrait bien mieux ne rien faire !
Quand la tumeur est détectée, la tentation est grande d’intervenir. Car le patient est inquiet. Et le médecin craint que son patient ne se retourne contre lui s’il ne fait rien et que la tumeur prolifère anormalement.
« Si le résultat n’est pas vraiment rassurant, ce qui arrive souvent, on est tenté de traiter ou d’opérer bien que le risque de voir la tumeur évoluer vers un cancer soit finalement très faible », explique Idris Guessous, médecin à l’Unité d’épidémiologie populationnelle des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) [5].
Et en effet, dans la très grande majorité des cas, il vaut bien mieux ne rien faire.
Lorsqu’on pratique des autopsies, on s’aperçoit qu’au moins un tiers des gens ont de petits cancers de la thyroïde qui n’ont pas été détectés de leur vivant [6]. Pour d’autres la tumeur peut même régresser naturellement !
La médecine institutionnelle est d’accord !
Contrairement à ce qui se passe parfois avec ce type d’études allant contre la pensée médicale dominante, les faits sont désormais si clairs qu’ils sont admis par la plupart des instances officielles.
Par exemple, vous pouvez lire ceci sur le site de la très officielle Fondation Contre le Cancer :
« L’incidence des cancers de la thyroïde a fortement augmenté au cours de ces dix dernières années. On a d’abord pensé qu’il s’agissait d’une conséquence des catastrophes de Tchernobyl et Fukushima. Mais on sait aujourd’hui que si le diagnostic de ces cancers est devenu plus fréquent, c’est surtout grâce aux progrès réalisés en imagerie médicale.
Ces techniques récentes permettent de dépister de petites tumeurs, qui n’étaient pas détectables autrefois. Or, beaucoup de ces petites tumeurs évoluent très lentement, voire pas du tout. Même sans être traitées, elles n’auraient pas provoqué de symptômes ou problèmes. [7] »
Et la chose vient d’être confirmée une nouvelle fois.
Une nouvelle étude le confirme
Une nouvelle étude très intéressante vient de paraître dans le New England Journal of Medicine sur le cancer de la thyroïde [8].
Elle indique que le nombre de cancers de la thyroïde a été multiplié par 15 en Corée du Sud depuis que le dépistage généralisé a été introduit, en 1993.
Pourtant, la mortalité par cancer de la thyroïde, elle, est restée stable.
Les experts du cancer s’accordent à dire que la raison de cette augmentation n’est pas une vraie augmentation du nombre de cas de cancers de la thyroïde.
Le problème vient du dépistage qui a été généralisé en Corée. Cela a conduit à trouver chez un grand nombre de gens des petites tumeurs inoffensives. Il aurait mieux valu ne jamais les trouver, et les laisser tranquilles. Mais une fois détectées, ni le médecin ni le patient ne veulent prendre le risque de les laisser. On les opère agressivement.
Le résultat est qu’un très grand nombre de personnes souffrent des complications causées par des traitements inutiles.
Le traitement du cancer de la thyroïde est très coûteux, et il implique de retirer la thyroïde, qui est une glande vitale pour la régulation des hormones.
Les patients doivent prendre des hormones thyroïdiennes pour le restant de leur vie. Pour beaucoup, le traitement est efficace, mais l’équilibre hormonal est si fragile qu’un sentiment de mieux-être ne s’installera pas avant des années de modifications dans les dosages du traitement, jusqu’à trouver le bon. En attendant, les variations de poids, la dépression, la fatigue, la chute des cheveux ou l’ostéoporose se manifesteront.
Il arrive aussi que le chirurgien abîme les cordes vocales au passage. Cela s’est produit chez 2 % des Coréens qui ont été opérés, débouchant sur une paralysie des cordes vocales. Ils endommagent aussi parfois les glandes parathyroïdes qui sont juste à côté et qui contrôlent le niveau de calcium dans l’organisme.
Lorsque les glandes parathyroïdes sont abîmées, ce qui est arrivé chez 11 % des patients traités en Corée du Sud, le patient souffre d’hypoparathyroïdisme, une maladie difficile à traiter.
Interdire le dépistage du cancer de la thyroïde
Des médecins coréens appellent donc aujourd’hui à interdire le dépistage du cancer de la thyroïde, à la suite du Dr Hyeong Sik Ahn du Collège de Médecine de l’Université de Séoul, qui est le principal auteur de cette nouvelle étude.
Mais leur appel a été ignoré jusqu’à présent par les autorités.
Aux Etats-Unis, les experts de la thyroïde appellent également à limiter le dépistage du cancer de la thyroïde et le traitement des petites tumeurs.
Bien entendu, si quelqu’un remarque une boule dans sa thyroïde, il est important de l’examiner.
Mais les experts estiment aujourd’hui que, si tout paraît normal, il est absurde d’aller essayer de rechercher un problème et de créer potentiellement des complications inutiles.
Une nouveauté médicale : les « Vomit »
Ce problème des surdiagnostics, je vous en avais déjà parlé au sujet du cancer de la prostate et du cancer du sein.
Les techniques d’imagerie médicale ont fait tant de progrès que, si vous vous faites dépister, il y a un risque important qu’on vous trouve, quelque part, une tumeur.
Mais comme il est impossible de savoir comment cette tumeur va évoluer, ces diagnostics aboutissent à un grand nombre d’opérations qui n’auraient jamais eu lieu autrement.
Et les experts estiment aujourd’hui que la somme des accidents, complications, effets indésirables et désagréments des surdiagnostics n’est pas compensée par une réduction du nombre de décès par cancer.
Au point qu’aux Etats-Unis un nouvel acronyme a été inventé : Vomit, pour « victim of modern imaging technology » (victime de la technologie d’imagerie moderne) [9].
Ce sont toutes les personnes qui ont été opérées inutilement. Si elles n’avaient pas fait de dépistage, elles ne se seraient jamais aperçues de rien, leur tumeur n’aurait jamais évolué, leur vie n’aurait jamais été ni gênée ni menacée.
Pression sur les médecins pour multiplier des examens
Certains accusent les médecins de vouloir se « faire du fric » en multipliant les examens et les opérations.
Mais je suis convaincu, pour ma part, que ce n’est pas la cause principale de cette évolution.
Il faut penser au médecin français Pierre Goubeau qui a été attaqué en justice par l’un de ses patients à qui il n’avait pas prescrit de test de dépistage sanguin du cancer de la prostate – cancer que le patient a développé par la suite.
Aux Etats-Unis, les médecins sont constamment menacés de poursuites judiciaires pour les mêmes raisons. À partir du moment où un médecin sait qu’un examen ou un traitement existe, il prend un risque à recommander à son patient de ne pas le faire. Car si les choses tournent mal, c’est à lui que cela sera reproché.
Au contraire, le médecin sage et prudent qui juge qu’il vaut mieux laisser son patient tranquille, lui éviter des examens ou une opération inutiles, est aujourd’hui menacé.
Selon le Dr Emanuel Christ, président de la société suisse d’endocrinologie, « On prescrit et on fait trop d’examens. » Et pourquoi ? « Des confrères me confient parfois que cela leur prendrait moins de temps de faire un examen que d’expliquer à certains de leurs patients pourquoi ce n’est pas nécessaire. » explique-t-il au journal Le Temps [10].
C’est donc à nous aussi, patients, d’être raisonnables et… patients.
Même s’il est parfois difficile de résister à l’hystérie des médias et des campagnes de « sensibilisation » sur le dépistage, sachons garder la tête froide.
La surmédicalisation, c’est de plus en plus clair, coûte cher et provoque plus de méfaits que de bienfaits.
Et le meilleur service que vous pouvez vous rendre, pour éviter le cancer, c’est d’essayer de vivre sainement… naturellement.
À votre santé !
Jean-Marc Dupuis
PS : Si vous n’êtes pas abonné à La Lettre Santé nature Innovation, je vous invite à faire l’essai ci-dessous en inscrivant votre adresse de messagerie électronique dans la case prévue à cet effet.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.