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La nouvelle loi antiterroriste est liberticide et inefficace !
La loi « renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme » vise à répondre aux nouveaux parcours de radicalisation et aux nouvelles formes de terrorisme auxquels ne serait plus adaptée la législation actuelle, en particulier à la multiplication de « loups solitaires » se formant individuellement sur Internet. Plus concrètement, ce texte veut conjurer la menace représentée par l’augmentation des départs de djihadistes vers la Syrie et l’Irak, notamment dans les rangs de l’Etat islamique – l’effectif recensé des Français impliqués dans ces filières, qu’ils soient sur place, en transit ou déjà revenus, a bondi de 75% depuis le début de l’année et atteint aujourd’hui 930 personnes – tout en donnant des moyens supplémentaires pour surveiller les djihadistes de retour en France. « Le texte vise à répondre à l’évolution de la menace en intensité, car le creuset syrien alimente une menace sans commune mesure avec ce qu’on a connu, par le nombre, par la façon d’agir diffuse et par la prégnance du numérique », explique-t-on au ministère de l’Intérieur. La raison avancée peut surprendre quand on connaît par ailleurs le soutien politique et l’aide militaire que le gouvernement français a apporté en sous-main aux rebelles combattant le régime de Damas, véritables alliés diplomatiques de la France – celle-ci fournit d’ailleurs le plus gros contingent de djihadistes occidentaux, près d’un tiers du total. La cible djihadiste semble bien n’être qu’un nouveau prétexte pour renforcer les dispositifs sécuritaires en vigueur dans un contexte d’aggravation de la crise et de montée en force de la contestation sociale, d’autant plus que la plupart des attentats sur le sol français ou européen ne sont pas le fait des islamistes mais des séparatistes régionaux. Mais si les lois antiterroristes déjà promulguées ont fait la preuve de leur inefficacité pour combattre le terrorisme, la preuve en est qu’il en faut une de plus, elles ont en revanche permis aux différents gouvernements de renforcer la surveillance et le contrôle des populations.
Porté par le Ministre de l’Intérieur, alors qu’il aurait dû l’être en principe par celui de la Justice, et voté en procédure accéléré, ce projet de loi est le plus liberticide que la France ait jamais connu. Il restreint de façon drastique la liberté de circulation, d’information, d’expression et de communication.
La liberté d’aller et venir propre à toute démocratie vole en éclat avec la création par l’article 1 d’une interdiction administrative de sortie du territoire. Les services administratifs pourront confisquer le passeport ou la Carte Nationale d’Identité d’un individu pour lequel ils ont « des raisons de croire qu’il projette des déplacements à l’étranger (…) dans des conditions susceptibles de le conduire à porter atteinte à la sécurité publique lors de son retour sur le territoire français. La mise en œuvre de cette procédure suppose en amont une surveillance et un « profilage » massif des populations.
Mais, en plus d’être liberticide en créant un « délit d’intention », cette mesure paraît inadaptée à la réalité du phénomène : comment prouver, avant même le départ, que la personne sera un danger au retour ? Comment contrôler le déplacement des ressortissants français à l’intérieur de l’espace Schengen où une simple carte d’identité suffit ? L’escapade est facile : il suffit de prendre un bus à la porte de Bagnolet à destination d’Istanbul, où les Européens ne sont pas astreints à visas, avant de rejoindre la frontière syro-turque et les nombreuses infrastructures mises en place par les rebelles. Et si l’apprenti-djihadiste est surveillé, il pourra toujours éviter les transports en commun en prenant la route. Rien donc qui puisse freiner les déplacements de djihadistes vers la Syrie. Et pour ce qui est du retour en France, la situation est aussi à l’avantage des djihadistes : considérant qu’il faut mobiliser quinze personnes pour suivre un suspect 24 heures sur 24, les 3000 fonctionnaires français du contre-espionnage n’y suffiront pas. Les défaillances policières dans le suivi de Merah avant les tueries de Toulouse et Montauban rappellent à quel point la surveillance des djihadistes est de toute façon délicate.
Pour faire face au risque de passage à l’acte de la part d’individus isolés, le texte prévoit par son article 5 la création d’une nouvelle incrimination "d’entreprise terroriste individuelle ayant pour but de troubler l’ordre public par l’intimidation ou la terreur". Elle est censée répondre à l’individualisation des parcours de radicalisation rendant difficile l’incrimination des terroristes pour « association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste ». La détention de substances dangereuses, la simple consultation de certains sites Internet réputés djihadistes, la collecte d’informations destinées à préparer un attentat suffisent pour tomber sous le coup de cette inculpation (seuls deux critères doivent être satisfaits dans cette liste). Malheur à l’innocent chercheur qui ne fait que se renseigner aux fins d’une simple étude scientifique sur la question… Cet article de loi est sans doute le plus liberticide du texte, condensant à lui seul les logiques de surveillance et de suspicion généralisées qui imprègnent l’ensemble de la loi. Identifier les internautes apprentis-djihadistes suppose une surveillance massive des connexions et un filtrage des communications que l’internaute aguerri pourra d’ailleurs déjouer en anonymisant sa navigation (notamment avec le logiciel TOR). Et en créant de toutes pièces une infraction virtuelle (entrepreneur terroriste) pour éviter la commission d’une infraction réelle, on fabrique une incrimination préventive : une personne pourra donc être poursuivie non pas pour des crimes ou des délits qu’elle aura commis mais pour ceux qu’elle sera supposée pouvoir commettre. Avec cet article de loi, c’est la totalité de la population française qui devient potentiellement suspecte.
Le volet numérique a concentré l’essentiel des critiques des défenseurs de la liberté sur Internet, en particulier son article 9 qui autorise sans l’aval d’un juge le blocage administratif des sites faisant l’apologie du terrorisme ou incitant à commettre des actes terroristes. Les services de police pourront donc demander aux Fournisseurs d’accès à Internet la suspension de certains sites jugés dangereux sans passer par une procédure contradictoire. Quelque 160 sites signalés en 2013 pourraient être concernés par cette mesure. Déjà présenté dans le cadre de la LOPPSI 2 pour lutter contre les sites pédo-pornographiques, cette mesure avait été combattue en son temps par l’ensemble du Parti Socialiste, Bernard Cazeneuve compris, et à juste titre. Outre le risque de sur-blocage (beaucoup de sites non-djihadistes pourraient être des victimes collatérales), elle suppose un filtrage massif des réseaux sociaux (par lesquels passe 80 % du contenu échangé par les internautes) difficile à mettre en œuvre et violemment liberticide. De plus, elle considère que la lutte contre l’embrigadement et l’auto-radicalisation sur Internet est prioritaire alors que la formation des djihadistes se fait souvent dans les réseaux locaux de quartier ou en prison – Mehdi Nemmouche en est un vivant exemple. Elle est donc inutile et n’est pas dénuée d’effets pervers car en officialisant les sites djihadistes elle fournit une information cruciale aux candidats au départ…
Mais la mesure la plus lourde de conséquences pour les libertés publiques est sans doute celle qui crée un délit d’opinion : l’apologie du terrorisme (voir l’article 4). Comme l’apologie des crimes de guerre, l’apologie du terrorisme était jusque-là réprimée par la loi sur la presse de 1881 qui encadre la liberté d’expression en France. Le texte fait sortir de ce périmètre législatif les délits de « provocation aux actes de terrorisme » et d’« apologie du terrorisme », pour les intégrer dans un article spécifique du code pénal, considérant qu’il ne s’agit pas «d’abus de la liberté d’expression mais de faits qui sont directement à l’origine d’actes terroristes», afin de faciliter le travail des enquêteurs travaillant sur ces dossiers, notamment pour infiltrer les réseaux. Pour ce faire, ils se verront dotés de nouveaux pouvoirs d’investigation par les articles 10 et 11, pour fouiller les ordinateurs à distance, perquisitionner du matériel informatique, requérir des personnes pour déchiffrer des données cryptées et avoir recours à des écoutes et des sonorisations (dont la durée de conservation est augmentée) et le tout sans autorisation judiciaire spécifique.
Le contrôle d’Internet est une constante préoccupation des gouvernements qui se succèdent depuis 10 ans car cet espace de liberté et aussi souvent un espace de contestation. Mais jamais on n’était allé aussi loin dans les mesures liberticides. Le « loup solitaire » tombe à pic. La menace réelle ou imaginaire qu’il représente est bien utile pour justifier un flicage du Web sans précédent et renforcer le pouvoir exécutif en installant une justice administrative expéditive. Utile aussi comme outil de communication pour faire diversion et resserrer les rangs dans un moment de crise économique, sociale et politique sans précédent.
Nicolas Bourgoin
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