17 octobre 2014

Angkor, perdue et retrouvée

Dans la profonde jungle cambodgienne reposent les restes d'une vaste cité médiévale restée cachée pendant des siècles. De nouvelles techniques archéologiques révèlent aujourd'hui ses secrets – dont un réseau élaboré de temples et de boulevards et une architecture sophistiquée.

En avril 1858, Henri Mouhot, jeune explorateur français, embarqua à Londres pour l'Asie du sud-est. Il passa trois ans là-bas à voyager, à la découverte des insectes tropicaux, qui portent toujours son nom.

Il serait aujourd'hui parfaitement inconnu s'il n'y avait eu son journal, publié en 1863, deux ans après avoir succombé au Laos à des fièvres, à l'âge de 35 ans.

Le récit de Mouhot a captivé l'imagination du public, mais pas pour ses découvertes de scarabées et d'araignées.

Les lecteurs étaient fascinés par ses descriptions saisissantes de vastes temples dévorés par la jungle : Mouhot fit découvrir au monde la cité médiévale perdue d'Angkor au Cambodge et son impressionnante splendeur romantique.

"L'un de ces temples, qui rivalise avec celui de Salomon et qui semble conçu par un Michel-Ange du passé, pourrait figurer à une place honorable à côté de nos plus beaux édifices. Il est plus grand que tout ce que nous a laissé la Grèce ou Rome", écrivait-il.

Ses descriptions ont fermement ancré dans la culture populaire le rêve envoûtant d'explorateurs bravaches qui découvrent des temples oubliés.

Le Cambodge est aujourd'hui célèbre pour ces édifices. Le plus grand, Angkor Vat, construit aux alentours de 1150, reste le complexe religieux le plus vaste sur Terre, couvrant une surface quatre fois plus grande que la cité du Vatican.

Il attire deux millions de touristes par an et occupe une place de choix sur le drapeau du Cambodge.


Drapeau du Cambodge

Mais dans les années 1860, Angkor Vat n'était virtuellement connu que par les moines et villageois du lieu. La notion de ce grand temple autrefois au cœur d'une cité de presque un million d'habitants était totalement inconnue.

Il fallut plus d'un siècle de travaux archéologiques ardus sur le terrain pour établir une carte. La cité perdue d'Angkor commençait lentement à réapparaître, rue par rue. Mais malgré tout d'importants manques subsistaient.


Ensuite, l'année dernière, des archéologues ont annoncé une série de nouvelles découvertes – à propos d'Angkor et d'une cité encore plus ancienne enfouie derrière dans la jungle.

Une équipe internationale, dirigée par le Dr Damian Evans de l'université de Sydney, a cartographié avec des détails inédits une surface de 370 km² autour d'Angkor – pas une mince affaire étant donnée la densité de la jungle et la subsistance de mines terrestres depuis la guerre civile au Cambodge. L'étude toute entière n'a pourtant demandé que deux semaines.

Le secret ?

Lidar – une technologie de télédétection sophistiquée [scanner 3 D) qui révolutionne l'archéologie, surtout dans les pays tropicaux.

Capture d'écran de la vidéo de la BBC qui montre le balayage laser au-dessus de la jungle

Installé sur un hélicoptère qui quadrille le paysage, le lidar a projeté un million de rayons laser toutes les quatre secondes au-dessus de la canopée, enregistrant les moindres variations de la topographie à la surface du sol.

Capture d'écran de la vidéo

Les découvertes furent stupéfiantes.



La technologie Lidar a révélé la cité originale d'Angkor
 
 – les lignes rouges indiquent les caractéristiques récentes comme des routes et des canaux

Les archéologues ont découvert des paysages urbains matérialisés sur le sol de la forêt, avec des temples, des routes et des voies d'eau élaborées réparties à travers le paysage.

"On ressent cette sorte de 'moment eureka' quand on porte la première fois les données à l'écran et la voilà – cette ancienne cité très clairement étalée devant nos yeux", dit le Dr Evans.

Ces nouvelles découvertes ont profondément transformé notre vision d'Angkor, la plus grande cité médiévale sur Terre.

Phra Sav Ling Povn, le palais du roi lépreux, près d'Angkor Wat, aux environs de 1930

À son apogée, à la fin du 12ème siècle, Angkor était une métropole animée d'une superficie de 1000 km². (Il faudra encore attendre 700 ans pour que Londres atteigne une taille similaire)

Angkor était autrefois la capitale du puissant empire khmer qui, gouverné par des rois guerriers, domina la région pendant des siècles – couvrant la totalité des actuels Cambodge, majorité du Vietnam, Laos, Thaïlande et Birmanie. Mais son origine et son berceau primitif ont longtemps été entourés de mystère.

Quelques maigres inscriptions suggéraient que l'empire avait été fondé au début du 9ème siècle par un grand roi, Jayavarman II et que sa capitale d'origine, Mahendraparvata, se trouvait quelque part dans les collines de Kulen, un plateau boisé au nord-est du site sur lequel Angkor serait plus tard bâti.

Mais personne ne le savait avec certitude – jusqu'à ce que l'équipe lidar arrive.

L'étude lidar des collines a révélé sur le sol de la forêt des contours fantômes de temples inconnus et un réseau élaboré et hautement inattendu de boulevards cérémoniels, de digues et de bassins artificiels – une cité perdue, et retrouvée.




Le plus saisissant a été la mise en évidence d'une architecture hydraulique à grande échelle, signature caractéristique de l'empire khmer.

Quand la capitale royale se déplaça au sud vers Angkor vers la fin du 9ème siècle, les architectes khmers gardaient en réserve et distribuaient de vastes quantités de la précieuse eau saisonnière de la mousson à l'aide d'un réseau complexe d'immenses canaux et réservoirs.

La maîtrise de la mousson procurait une sécurité alimentaire – et enrichissait de manière fantastique l'élite gouvernante. Pendant les trois siècles suivants ils firent passer leur richesse dans la plus grande concentration sur Terre de temples.

L'un des temples, Preah Khan, construit en 1191, contenait 60 tonnes d'or. Sa valeur aujourd'hui serait d'environ 3,3 milliards de dollars.

Mais malgré l'immense richesse de la cité, des difficultés s'annonçaient.

À l'époque la plus active du programme de construction du temple d'Angkor, son réseau hydraulique vital se délabra – au pire moment possible.

La fin de la période médiévale vit de dramatiques changements climatiques dans l'Asie du sud-est.

Les anneaux d'arbre ont enregistré de soudaines fluctuations entre d'extrêmes conditions de sécheresse et d'humidité – et la carte lidar révèle des dommages catastrophiques au réseau hydrique vital de la cité en raison d'inondations.

Cette bouée de sauvetage hors d'usage, Angkor entra dans une spirale descendante dont elle ne se remit jamais.

Au 15ème siècle, les rois khmers abandonnèrent leur cité et déménagèrent vers la côte. Ils bâtirent une nouvelle ville, Phnom Penh, l'actuelle capitale du Cambodge.

La vie à Angkor déclina lentement.



Quand Henri Mouhot arriva, il ne découvrit que les grands temples de pierre, dont beaucoup présentaient un dangereux état de délabrement.

Presque tout le reste – des maisons ordinaires aux palais royaux, tous construits en bois – avait pourri.

La vaste métropole qui entourait autrefois les temples avait presque été entièrement dévorée par la jungle.

BBC News Magazine
Traduit par Hélios


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