17 août 2014

La Voie du guerrier zen



 
Loin de maîtriser et de comprendre tous les concepts qui constituent le Bouddhisme ainsi que tous les mystères qui entourent le Zen, il est un fait établit qu’à l’époque du Japon féodal, quelle que fût leur voie, un bon nombre de personnes pratiquaient le Zen afin de maîtriser l’essence de leur destin.


Au Japon, Zen et arts martiaux constituent un enseignement traditionnel. Le Zen enseigne force et sagesse, deux voies qui n’en constituent qu’une seule. Le Budo a produit le wasa, un art, une technique transmise de maître à disciple, permettant de s’imposer aux autres et de s’élever au-dessus d’eux. C’est un pouvoir, au-delà de la force propre de l’individu. La Voie du Budo (dô : Voie, bu : arrêter la lutte) consiste à trouver la paix et à apprendre la maîtrise de soi-même.

Yasuo Deshimaru (1914-1982), alias Taisen Deshimaru était un maître zen japonais de l’école Sôtô. Il exposa la vraie filiation entre le Zen et les arts martiaux ; tous deux mènent à l’esprit de la Voie. Qu’il soit intérieur ou extérieur, tout combat est toujours un combat contre soi-même.

Opportunité, tension, apprentissage de la technique, condition du corps, état de conscience, éveil de l’esprit sont des notions fondamentales qui ont été développées par Maître Yuno, 8ème Dans de kendo, concernant le ki. Tous ces principes démontrent que Zen et arts martiaux résultent d’un apprentissage de la vie et de la mort.

« Si tu ignores ton adversaire et que tu te connais toi-même, les chances de perdre et de gagner sont égales ».

Yagyû Munenori et Miyamoto Musashi, tous deux guerriers hors pairs, se sont inspirés d’anciennes techniques éducatives et méthodes pédagogiques afin de les intégrer et de les adapter au sein de la culture nipponne.

Musashi avait-il étudié le Zen pour maîtriser l’art de la guerre ou l’art de la guerre pour maîtriser le Zen ?

Au sujet de la science de la guerre, Musashi centrait sa pensée sur les détails stratégiques et l’approche méthodique comme le prouve son Gorin-no-Shô. Il accordait une attention toute particulière à l’apprentissage en résumant d’une façon simple mais globale un ensemble de principes bouddhistes et confucéens sur un mode facile à retenir.

Pourquoi Musashi accordait-il un tel intérêt aux bases de l’éducation ?

A cela, il répondit : « Toute erreur de jugement, tout égarement dans cette science, si minimes soient-elles, font irrémédiablement tomber dans un mauvais chemin ».

Yagyû accordait à l’apprentissage une grande importance et le distinguait de la Voie en qualifiant sa fonction de préparatoire.

« L’apprentissage est la porte et non la maison. Lorsque vous voyez la porte, ne pensez pas qu’il s’agit de la maison. Pour pénétrer dans la maison, vous devez franchir la porte. Dans la mesure où l’apprentissage n’est que la porte, cette méprise, bien des disciples sont demeurés dans l’ignorance de la Voie, quelles que fussent leurs études et l’étendue de leur vocabulaire ».

Face à l’enseignement originel, l’idée principale du Zen consiste à détrôner le savoir intellectuel de son piédestal, ce qui paraît être à première vue, une idée assez paradoxale, du moins, pour toute pensée occidentale.

Selon le Soutra de l’ornementation fleurie : « Celui qui apprend mais qui ne met point en pratique l’enseignement, celui-là est comparable à un pauvre hère occupé à compter les trésors des autres. Beaucoup de beaux discours, mais pas la moindre vertu intérieure. Voilà la caractéristique de ceux qui oublient la pratique ».

Par conséquent, il n’est point de théorie sans pratique et point de pratique sans théorie.

Le Shintoïsme, la poésie et le Confucianisme visent à l’éclaircissement de l’esprit universel.

Existe-t-il quelqu’un qui connaisse l’esprit en ce monde ?

L’esprit universel apparaît comme étant quelque chose d’abstrait, d’insaisissable et de difficile à comprendre et quand bien même quelqu’un arriverait à le saisir clairement, il serait compliqué de le mettre en pratique.

Décrire n’est pas comprendre nous dit-on !

A quoi servirait un enseignement si on ne le met pas en pratique et comment arriver à le comprendre pleinement en usant de la pratique ?

« Tant que les gens n’investiront pas sérieusement l’origine de l’esprit, tant qu’ils ne percevront pas sa nature innée, ils ne pourront saisir sa clarté ».

Au 17ème siècle, dans le discours que tenaient les grands maîtres tels que Takuan Sôhô (1573-1645), Yagyû Munenori et Miyamoto Musashi, il n’était pas rare d’y retrouver un mélange de Bouddhisme, de Shintoïsme et de Confucianisme, tant ces voies apparaissaient proches et évidentes concernant le point de vue fondamental de l’esprit.

Suivant à la lettre les enseignements du Soutra de l’ornementation fleurie, Yagyû rejeta les approches sectaires du Zen, en affinant ses conceptions de l’universalité et de l’authenticité pour mieux lutter contre le sectarisme et les imitations en tous genres.

D’après Musashi, « l’esprit est vide », certes, mais comment le comprendre clairement ?

Bien que l’esprit apparaisse invisible à l’œil nu, cela ne signifie pas qu’il soit inexistant. Lorsqu’il s’anime, l’esprit est à même de tout accomplir, car tout provient du flux de l’esprit vide, quelle que soit notre dextérité.

« Atteindre le détachement total équivaut à se débarrasser d’un seul coup de toutes les afflictions de l’esprit ».

Afin d’obtenir un cœur léger, il convient de réunir toutes les afflictions en un seul bloc pour s’en détacher.

L’affliction est une fixation de l’esprit, ce que les bouddhistes appellent l’attachement. L’attachement est une chose indésirable. Et si l’esprit se fixe sur un point et s’y attarde, comment voir ce qu’il se passe autour de nous ?

Suzuki Shôsan (1579-1655), samouraï contemporain de Musashi et de Yagyû, montre une compréhension du Zen plus pure et mieux structurée que celle centrée sur l’idée du duel ; Selon Shôsan, l’éveil équivaudrait à un ensemble magique et le Zen à une forme d’entrainement appliquée à la personne. Suivant à la lettre les enseignements classiques, suivant la transformation évolutive de l’individu afin d’imprégner l’ensemble du corps-esprit. Sans une authentique métamorphose interne, la pratique peut exercer une influence désastreuse sur l’ego et développer l’arrogance ou l’insensibilité.

« A trop contempler la lune dans le ciel, tu laisses échapper la perle que tu tiens dans la main ».

Ce proverbe illustre à merveille un des premiers principes du Zen concernant l’acquisition des connaissances, d’où l’aphorisme chinois :

« Se hâter est le plus sûr moyen de ne pas arriver ».

Se rapprochant du poème suivant :

« Creuse un trou pour ton étang

Sans attendre la lune.

Lorsque l’étang sera achevé,
La lune viendra d’elle-même ». Maître Zen Dôgen (1200-1253)

Shôsan définit donc le Bouddhisme comme une pratique de chaque instant, dégagée de tout profit. Le Bouddhisme consiste à utiliser au mieux son esprit dans l’instant afin de pouvoir atteindre l’efficacité immédiate, c’est-à-dire, à se servir de notre esprit avec toute l’énergie possible. Ayant mis en évidence les effets négatifs propres à l’impatience et à l’excès, dans la Voie spirituelle comme dans la vie quotidienne, Shôsan insiste sur l’importance d’une orientation juste dans la pratique des disciplines.

« La seule chose qui compte, c’est de développer sa propre volonté et d’accéder à une authenticité toujours plus profonde ».

La vision du bouddhisme de Shôsan et ses travaux qui en débouchent met en avant une multitude de citations qui s’avèrent être d’une parfaite justesse.

« Redresse-toi et sois responsable de toi-même. Les gens prudents ont l’habitude de dissimuler leurs fautes lorsqu’ils sont confrontés à l’opinion publique et au monde du paraître. Ainsi, même les plus conventionnels cèlent quelque tache au plus profond d’eux-mêmes. Prends garde à ton esprit et accepte les responsabilités qui t’incombent ».

L’enseignement de Shôsan à propos de la connaissance de soi ne constitue pas à distraire le sujet des réalités extérieures, mais plutôt un outil lui permettant d’examiner les racines psychologiques du comportement social.

« La philosophie et la psychologie bouddhistes se fondent sur la relativité logique et expérimentale du couple sujet/objet ».

On retrouve se même rapport au sein du Shintoïsme. L’objectivité entraine une critique analytique par le biais d’exercices intérieurs amenant à une réduction de l’influence de la subjectivité et contribue par conséquent au développement de la capacité à maîtriser nos inclinations.

Shôsan décrivit une forme de self-control qui relève à la fois du détachement et de l’intention. Cela permettrait de surmonter les limitations inutiles imposées à la capacité et au fonctionnement de l’esprit par le flux incontrôlé des pensées. De même, il contribuerait au contrôle de la pensée en oubliant le moi qui équivaut à rejeter tout ce qui est faux, corresponds aux jugements et aux préjugés quant à la signification du monde.

Tout ceci vise au développement du mental afin de rendre l’esprit le plus fort possible. Ainsi, cela nous permettrait de nous délivrer du conditionnement qui nous éloigne de l’esprit originel. Il est donc conseillé de rassembler l’énergie afin de surveiller notre propre esprit. Shôsan démontre que l’esprit zen est un outil pratique révélant son efficacité dans la vie quotidienne.

En suivant la Voie du guerrier zen, le bouddhisme s’avère être une pratique bénéfique pour l’esprit ; pratique qui apporte le bonheur et la paix pour qui élimine les obstacles engendrés par la souffrance. Il permet de supprimer nos attitudes viciées et polluées afin d’atteindre un esprit libre et transparent, de se débarrasser de nos attitudes confuses et ignorantes afin de surmonter l’avidité, la haine et l’illusion ; ainsi la santé mentale est conservée en mettant fin aux afflictions psychologiques.

Dans la pratique bouddhiste, la première étape consiste à saisir les pulsions qui nous rendent vulnérables et à les surmonter afin d’obtenir la liberté en oubliant le moi sans mettre de côté sa conscience, ce qui ne signifie pas d’agir de façon irrationnelle ou impulsive, mais de trouver un juste équilibre entre l’oubli du moi et la conscience.

« Oubliez votre moi, mais sans l’oublier ».

Shôsan se base sur les enseignements traditionnels afin de montrer que l’égocentrisme infeste et pollue les activités que nous considérons comme étant des signes de générosité et de vertu.

Chez les samouraïs, avoir en permanence conscience de la mort inéluctable devait être une exigence, lui proférant un caractère particulier et à travers le bouddhisme, cela permettait de délivrer l’esprit de son attachement compulsif, ce qui permettait aux pratiquants de la Voie de jouir pleinement de la vie et de parvenir à une liberté authentique. C’est ainsi que l’on apprend à affronter la maladie et la mort dans la plus totale sérénité. A l’époque féodale, au Japon, le fait d’appuyer autant sur le concept de mort ne constituait pas l’unique dimension du bouddhisme.

Shôsan met en évidence notre tendance à oublier ou à ignorer le caractère éphémère des choses qui affecte notre état d’esprit et notre conduite dans la vie quotidienne. En oubliant l’idée de la mort, les gens agissent tels des êtres éternels incapables d’apprécier l’instant présent ou le temps qui passe.

« Leurs seules raisons d’être ? Cupidité, colère et mensonge ! Ils confondent bonté et flatterie, sens de l’honneur et cajoleries […] ».

Le Zen selon Shôsan met en évidence tous les aspects pratiques qui constituent la vie quotidienne. Son approche est à la fois intellectuelle et pratique et transmet les enseignements bouddhistes dans son essai, « Sur la vie quotidienne des guerriers », qui s’avère s’adresser à tout un chacun, invitant l’homme responsable à assumer son propre destin.

« Maîtriser le monde, c’est aussi maîtriser l’au-delà du monde ».

Ce dicton nous amène à réduire le champ de confusion. Le champ ainsi réduit permet la délivrance de l’énergie mentale de ses préoccupations matérielles.

Shôsan apporte la preuve que le Voie se fonde sur la raison, introduisant des principes sociaux basés sur l’honnêteté authentique. Ainsi, il souligne l’importance des vertus sociales (qu’il associe aux vertus bouddhistes), en y ajoutant une nuance suivant les différents niveaux de conscience. Sur le plan social, l’honnêteté implique la raison, le sens du devoir et de la justice, la recherche de l’harmonie dans les relations humaines, c’est-à-dire, l’altruisme et la loyauté. Ce qui apporte un élément de compréhension philosophique de l’état d’esprit du guerrier japonais à travers les vertus édictées dans leur code. Pour transcender le monde, nous disposons d’innombrables moyens tels que le courage de l’esprit, l’insouciance au sujet de la vie et de la mort, la gratitude envers les bienfaits que nous apporte la vie, la conscience de la causalité, la juste perception de l’impermanence et de l’irréalité des choses, l’attention accordée à la valeur du temps, la vigilance dans la connaissance de soi, la capacité de l’abandon, le sens de l’autocritique, le respect pour toute chose, pratique de l’équité, l’écoute des maîtres, la bonté, la compassion, la droiture, l’honnêteté, la réflexion, etc.

« Lorsque cette attitude courageuse devient une seconde nature, la citadelle du cœur tient bon, et le pouvoir de la vertu affirme sa souveraineté. Si déroutants soient les phénomènes, ils ne sauraient altérer la fermeté de ce cœur. Qui, parmi les guerriers, pour le comprendre ? »

La prise de conscience du vide ne renvoie pas à un quelconque retrait du monde mais à une capacité de transformation, à un potentiel progrès. Selon Shôsan, l’accomplissement du vide ne constitue pas l’objectif du Zen mais une méthode visant à éliminer la subjectivité ainsi que les complexes psychologiques indésirables enracinés dans la nature de la réalité. Ceux qui maîtrisent la Voie savent utiliser la raison et la justice comme une force de l’esprit, débarrassant ce dernier de toutes ses impuretés.

Dans le Zen, la distinction est faite entre l’homme ordinaire et l’homme éveillé. Le premier n’a pas conscience de son côté spirituel car il est atteint d’une superficialité chronique faisant ressortir un esprit attaché aux apparences des choses. L’homme éveillé s’applique à surmonter l’attachement qu’engendre l’illusion.

Sources : La Voie du Samouraï, pratiques de la stratégie au Japon ~ Thomas Cleary ~ 1992

Zen & Arts martiaux ~ Taisen Deshimaru ~ 1977
Vu ici

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