10 août 2014

Fontaine bleue




Alors que les guerres sèment la mort et le chaos un peu partout dans le monde, que l’Afrique de l’Ouest est en proie à la pire épidémie du terrible virus Ebola de son histoire et que l’Europe a les pieds dans l’eau au sens propre comme au figuré, la France vit depuis quelques jours une histoire pour le moins étrange.

Le maire de Hayange - une petite commune de quelque quinze mille habitants située dans la Moselle - a eu une drôle d’idée de faire repeindre une fontaine en bleu avec le seul objectif « d’égayer » la ville qu’il qualifie lui-même « d’assez lugubre et sinistre ».

Or il n’est un secret pour personne que l’enfer est pavé de bonnes intentions, dont visiblement fait partie celle de M.Engelmann, maire de Hayange. Sinon comment expliquer cette colère (digne de dieu) de la mininstre de la culture Aurélie Filipetti qu’elle a déversée sur la municipalité de cette petite ville du Nord-Est de la France? Si ce n’est pas le fait d’être l’une des 14 mairies Front National ou tout simplement le fait d’avoir oublié de demander l’avis de l’artiste... Car il s’est avéré que la fontaine en question était bel est bien une œuvre d’art.

« Cet incident est un appel à la vigilance ». Un tweet et un communiqué de la ministre de la Culture Aurélie Filippetti pour dire sa "stupéfaction" en apprenant qu’une œuvre d’art a été repeinte à l'initiative de la mairie Front national de Hayange, sans autorisation de l'artiste.

La municipalité FN de la ville de Moselle a décidé de repeindre en bleu une fontaine en granit réalisée par le sculpteur et plasticien Alain Mila, jugée "sinistre". La mairie s'est attirée les foudres de l'artiste qui s'étonne de ne pas avoir été prévenu et entend porter le litige devant les juridictions administratives.

L’œuvre, une fontaine en métal et pierre, avait été achetée en 2001 par la municipalité socialiste de l'époque à cet artiste local, qui a depuis quitté la région.

Le maire frontiste de Hayange, Fabien Engelmann, a dit assumer son choix et "ne pas comprendre qu'on fasse tout un pataquès" pour une œuvre, selon lui, "dont on peine à appeler ça de l'art". "Il n'y avait rien de mal à faire ça. On a une ville assez lugubre, sinistre, on a voulu l'égayer. On a repeint le fond en bleu piscine, le reste en bleu turquoise... Ça n'était en aucun cas pour détériorer la fontaine", a-t-il expliqué.

Du fait de cette polémique, le maire souhaite d'ailleurs "revendre la fontaine à M. Mila", en rappelant qu'elle avait été achetée en 2001 "près de 9000 euros, sans le moteur et la tuyauterie".

La ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, a dénoncé dans son communiqué "une violation manifeste du droit moral et des règles élémentaires du code de la propriété intellectuelle et de la protection du patrimoine".

Voici ce que dit à propos de ce scandale Maître Frédéric Bélot Docteur en Droit et Avocat au Barreau de Paris:

La Voix de la Russie. Je vous appelle pour en savoir plus sur cette affaire, ce scandale, que la municipalité FN de la ville de Moselle a décidé de peindre en bleu une fontaine en granite réalisée par le sculpteur et plasticien Alain Mila, jugée « sinistre ». La mairie s’est attirée les foudres de l’artiste qui s’étonne de ne pas avoir été prévenu et entend porter le litige devant les juridictions administratives. Ma question est de savoir quel est votre opinion sur ce dossier en général, de quoi il s’agit et est-ce que dans ce cas précis la mairie FN, en l’occurrence, risque des poursuites judiciaires pour avoir violé la loi ?

Frédéric Bélot. Le cas est un cas qui doit être vu sous deux angles. Tout d’abord sous un angle juridique, qui est ma spécialité et sous un angle politique. Alors pour ce qui est de l’angle juridique il y a une chose qui est très clair en France, c’est qu’il y a un respect du droit d’auteur, et surtout un respect du droit moral. Puisque en matière de propriété intellectuelle et en matière de droit d’auteur, il y a deux types de droits : il y a le droit patrimonial et le droit moral. Le droit patrimonial est appliqué dans le monde entier sous le terme de « copyright », et le droit moral est une spécificité française. Vous savez on parle souvent de l’exception culturelle française et bien nous sommes dedans. L’auteur a un droit moral sur son œuvre, son œuvre ne peut être modifiée, altérée, changée sans son autorisation. Et là en l’espèce, tel a été le cas puisque nous avions une œuvre d’artiste qui a été modifiée, la couleur a été changée. La couleur originale était une couleur un peu kaki, plutôt vert foncé tirant vers le noir, avec une forme d’œuf, si on peut appeler ça comme ça, et une fontaine, et cet œuf étant baigné dans une fontaine elle aussi de la même couleur. C’est un choix qui a été fait par l’artiste et ce choix a été délibérément modifié par le maire, qui a certainement dut recevoir l’accord, plus ou moins j’imagine, du conseil municipal, ça sera vérifié. Pourquoi ? Parce que cette fontaine a été jugée « affreuse » par le maire. Alors bon, le problème c’est qu’en matière de goûts et de couleurs il est extrêmement difficile de juger, peut être effectivement cette fontaine est laide, peut-être elle ne l’est pas, chacun doit s’en faire son opinion. Mais toujours est-il qu’il y a des règles, et que ces règles doivent s’appliquer à tous et à toutes, c’est les règles de la loi civile. La loi civile étant été votée par un législateur donc par le peuple, donc elle doit être appliquée, c’est le principe de la démocratie. Et donc à partir de ce moment-là il aurait fallu que l’auteur, c'est-à-dire le créateur soit consulté et que son autorisation eut été demandée par ceux qui voulaient altérer son œuvre. A partir du moment où le droit moral de l’auteur n’est pas respecté, et où l’œuvre est modifié sans son accord, et bien il ne peut y avoir que condamnation, bien entendu.

La Voix de la Russie. Est-ce que l’implication de la ministre de la culture Aurélie Filippetti va influencer cette affaire ?

Frédéric Bélot. Là vous parlez de la partie plus politique. Le problème,[c’est que] la réaction du ministre est totalement disproportionnée. Je pense qu’il est inquiétant d’ailleurs d’agiter certaines idées du passé faisant l’amalgame entre l’art qui était visée à une certaine époque, une époque sombre de l’histoire, puisque vous savez que les mouvements politiques les plus extrêmes considéraient qu’il y avait plusieurs types d’art, alors que l’art il n’y en a qu’un seul type. Et je trouve extrêmement dangereux d’agiter ce chiffre rouge à des fins politiques. Parce que c'eût été une mairie de droite, une mairie de gauche, une mairie communiste, surtout une mairie de gauche et une communiste qui eût changé une œuvre, le ministre n’aurait pas réagi. Là c’est une mairie Front National bien entendu le ministre réagit, et tente de faire des comparaisons que je trouve extrêmement hasardeuse, voilà pour ma part. Je crois qu’il faut tout simplement rester sur le plan du droit : il y a une œuvre qui est une œuvre qui a été modifiée sans l’accord de l’artiste, et bien entendu cela n’est pas possible au regard du droit français. Il aurait fallu que la mairie prenne la précaution de demander l’accord de l’artiste, peut être que l’artiste lui-même aurait donné son accord, peut-être pas. Alors maintenant dire que le bleu qui a été choisi était le bleu du Front National, et de dire qu’il y ait différentes catégories d’œuvre acceptable ou non acceptable, moche, laide, je ne pense pas qu’il faille entrer dans ce genre de débat.

La Voix de la Russie. Et alors dernière question Mr Bélot, du fait de cette polémique, le maire souhaite d’ailleurs revendre la fontaine à Mr Mila, le sculpteur, le plasticien. Rappelons qu’elle a été achetée en 2001 près de 9000 euros sans le moteur ni la tuyauterie. Alors dites-moi, est-ce que c’est possible de revendre la fontaine ?

Frédéric Bélot. L’artiste lui a fait une œuvre d’artiste, il n’a pas fait une fontaine. L’objet de l’œuvre n’est pas quelqu’un qui est spécialiste des tuyaux, des canalisations, c’est une personne qui est un artiste donc qui fait de l’art, l’art est inutile c’est pour cela qu’il est beau comme vous le savez. Et donc lui, il a fait ce que la mairie socialiste à l’époque, qui était élu par la population, qui donc était tout à fait légitime, est bien lui a proposé de faire. Il y avait un cahier des charges, ce cahier des charges a été inspecté, l’œuvre a été reçut, elle a été réceptionnée, elle a été acceptée par une majorité, un conseil municipale, un maire qui a été élu par la population, les électeurs de la commune, donc cette œuvre a été installée en toute légalité. Maintenant pour ce qui est de revendre la fontaine, là on rentre dans un débat qui est plus politique, parce qu’il est impossible de revendre une œuvre puisque cette œuvre a été commandée, a été livrée. Là c’est un argument politique de la part du maire Front National de cette ville, qui tente de montrer que cette fontaine a été vendue à un prix excessif par l’auteur à la commune. Et que ce sont les contribuables de la commune, j’imagine que c’est une commune qui doit être endetté ou en difficulté puisqu’elle est en Moselle, qui est une zone qui connait des difficultés économiques, qui tente de montrer donc qu’elle a été vendu à un prix excessif à la commune. Mais la revente n’est absolument pas possible, sauf accord de l’artiste qui là accepterait de résoudre volontairement son contrat : il reprendrait son œuvre et il restituerait le prix de l’œuvre, c’est une résolution conventionnelle. Mais je pense que nous en sommes très très loin. »

La Ministre a demandé à ses services d'élaborer une circulaire à destination des préfets pour leur demander d'être attentifs à ces points de droit et de rappeler, au besoin, aux collectivités propriétaires leurs devoirs de surveillance et de conservation des œuvres placées sous leur garde. A bon entendeur salut!

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