26 juillet 2014

Yats et Pinochenko sont dans une barque, Yats tombe à l’eau, qui reste-t ’il ?


Mercredi 23 Juillet une vidéo largement reprise nous a régalés du spectacle d’un débat au parlement de Kiev se tenant sous la forme d’une mêlée ouverte (quasiment une bagarre), spectacle non-inhabituel dans divers parlements démocratiques (Corée du Sud, Taïwan, ébauche à l’Assemblée, etc.), mais qui, dans le cas de Kiev n’était accompagnée d’aucun commentaire ni d’aucune explication.
Ce prologue musclé a trouvé une suite logique et parfaitement claire dans la démission annoncée de Arseni Iatseniouk, le « Yats… our man » de Victoria « f**k the UE » Nuland. D’après des articles du Monde, du Guardian et de Libération, reproduisant des bribes des débats au Parlement, nous pouvons dégager brièvement le déroulement et les faits saillants de cet épisode de la vie démocratique ukrainienne.

Le Premier ministre, Arseni Iatseniouk, se serait fait mettre en minorité par le refus de deux groupes de sa coalition de voter un projet de loi concernant l’application de mesures plus strictes de contrôle du secteur énergétique, mesures qui semblent amener à privatiser les revenus du réseau de gazoducs ukrainiens.

Le calme et pondéré Yats s’est enflammé dans un discours passionné lançant de nombreuses accusations. « … l’histoire ne nous pardonnera pas », a-t’il dit au Parlement, « des millions de gens ont fait cette révolution. Nous n’avons pas décidé du choix de l’Europe, mais des centaines d’Ukrainiens sacrés et des milliers l’ont fait » dit-il se référant à ceux tués surtout par des snipers durant les protestations.

Pour Yatseniuk, en bloquant les nouvelles lois proposées, dont celle destinée à contrôler plus strictement le secteur de l’énergie face à une diminution des livraisons de gaz de la Russie , le parlement mettrait l’Ukraine en danger. Et si le Parlement ne serrait pas les dépenses budgétaires, il mettrait aussi les soldats ukrainiens en danger : « Notre gouvernement maintenant n’a pas de réponse à la question : comment allons-nous payer les salaires, comment allons-nous demain envoyer du carburant pour les blindés, comment allons-nous payer ces familles qui ont perdu des soldats, prendre soin de l’armée ? (…) Ces gens qui attendent sous les tirs, pouvons-nous arrêter de penser à eux ? »

Tout au contraire, le Président exemplairement élu Poroshenko (prononcé Pinochenko) accueillit avec bonheur la décision de deux partis de se retirer de la coalition majoritaire au parlement : celui du nationaliste Svoboda (vous savez, ce parti pas nazi, d’après BHL, qui n’avait obtenu que 1 % aux élections, mais avait 30 sièges au Parlement), et Udar (punch), celui de l’ancien champion de boxe Vitaly Klitschko, devenu maire de Kiev.

« La société veut un complet changement des autorités de l’État », affirma Poroshenko dans une déclaration, ajoutant que ce changement montrait que ceux qui avaient décidé de quitter la coalition suivaient la volonté du peuple. Les politiques et les activistes se sont plaint d’avoir encore à élire un nouveau parlement, alors que l’Ukraine a un nouveau Président depuis le renversement de Viktor Yanukovych en février, et ont accusé les supporters de celui-ci de saboter leur travail.

Valdimir Groïsman (un oligarque très proche de Petro Poroshenko et des Polonais), qui était jusqu’alors Vice-Premier ministre, est le nouveau Premier ministre par intérim. Il aura un mois, suivant la constitution pour former une nouvelle majorité. Ce qui parait peu probable.

Les conséquences de ces fractures au sein du Parlement de Kiev devraient donc amener à des élections parlementaires anticipées dans un délai de 2 mois maximum, après le premier délai d’1 mois, avant que la dissolution puisse être annoncée officiellement et devenir effective. Les élections législatives devraient être organisées dans le délai tout aussi constitutionnel de deux mois.

Munis de préservatifs caoutchoutés solides, revenons sur cette séquence tout à fait prévisible et largement anticipée, car elle s’inscrit dans un enchaînement (chrono)logique, en explorant et sondant les motivations de cet étonnant et détonnant corps protoplasmique.

Yats est membre du parti Batkivchtchina de Ioulia Timochenko (la fée aux jolie tresses blondes), la plus importante force de la coalition, et qui est opposée à des législatives anticipées. Dans les faits, sinon officiellement, élu par les USA et l’Union européenne, totalement conforme à leur vœux de libéralisme économique réformateur, il est CIA et FMI compatible.

C’est donc, comme son parti, un farouche propagateur du cahot par une guerre forcément juste dans notre ordre mondial néolibéral, puisqu’à buts lucratifs.

C’est peut-être son manque de nationalisme réel donc outrancier, ses costumes gris, sa fragilité physique, qui ont, encore une fois obligatoirement, provoqué le lâchage de Yats par le parti Svoboda, lequel est solidement ancré dans le Banderisme et les nostalgies nazies. Il peut aussi y avoir un petit malentendu sur la répartition du butin de guerre, les miliciens de Svoboda et de leur associé Pravy Sektor s’étant investis dans les nettoyages ethniques en cours dans le sud-est.

Pinochenko, dont personne ne peut dire s’il est bique ou bouc, mais qu’on peut affirmer doué d’un solide appétit, vise prioritairement le statut de Capo de tutti capi (chef de tous les chefs, ce qui est la pente naturelle d’un Oligarque (avec un grand O, comme pour une institution) ou d’un Capitaliste moderne (idem). Ce rôle souhaité de parrain s’accommoderait assez bien de la défaite, voire de l’élimination de certains concurrents importants à Odessa ou dans la région de Donetz. Une fois élu Président lors d’élections qualifiées forcément d’exemplaires et démocratiques, son projet reste la centralisation de son fief de Kiev et le maintien de l’unité (sic) Ukrainienne, donc la persistance des espoirs et l’attente de la manne du FMI (17 Mds $ US).

L’alliance avec le parti Udar semble assez solide, mais il n’est pas certain qu’elle pourrait résister au projet d’un Maidan 3, tel que souhaité par Ioulia Timochenko.

Enfin la crise dans la crise provoquée au sein même de l’Ukraine par l’attentat contre le vol MH17 de la Malaysian Airlines et ses 298 victimes civiles pèse de tout son poids, telle un enfant naturel et légitime de la démesure et de l’orgueil habituels au bloc américaniste-occidentaliste (alias BAO, expression empruntée à Philippe Grasset/Dedensa).

L’épisode actuel ukrainien se nourrit des appétits manifestés par les acteurs locaux, qui en cela sont reconnus comme bons par les ménestrels médiatiques du bloc BAO. Il est facile d’y voir plusieurs strates et fractions, que l’on devrait plutôt qualifier de « centres d’intérêts » :

La privatisation du réseau de gazoduc, qui rapportait près de 4 Mds $US à l’Ukraine en droits de passage. Rappelons à cette occation que le fiston de Joe Biden, rien moins que le Vice-Président des États-Unis, a pris des participations dans la société gérant cette manne. Le refus de voter cette loi peut donc être vu d’abord comme une surenchère venant de parties insatisfaites par la répartition de cette cagnotte.

L’absolue obligation de respecter le credo libéral des restructurations, des privatisations, de l’austérité, des mesures anti-sociales diverses, condition sine qua non pour correspondre aux normes UE-FMI, peut aussi être la raison du refus par les partis activistes qui ont accaparé Maidan.

La condition impérative imposée par le FMI que l’Ukraine soit unie si elle veut recevoir la suite des aides prévues entraîne de facto qu’il faut reconquérir les régions dissidentes. Ici une autre ligne de fracture est visible entre la grande majorité belliciste et le maire de Kiev, sans parler de tous ceux qui souhaitent réduire les dépenses militaires pour continuer à manger goulûment.

Enfin, il peut y avoir, soigneusement et pudiquement non-évoqué, quelques soupçons sur les réels coupables du massacre du col MH17, générant l’envie de se désolidariser des ceux qui l’ont perpétré et qui ont confisqué les bandes d’enregistrements de la tour de contrôle de Kiev. Sur ce point-là des rumeurs ont accusé des sbires de Yatseniuk.


Dans une exemplaire synchronisation de son élan vital pour un maximum d’autodestruction, la succursale Union européenne (UE) du bloc américaniste-occidentaliste votait le soir même de nouvelles représailles contre la Russie et son incarnation archi-maléfique.

L’UE tenait à ne pas manquer cette occasion de contribuer au grand fracassement de sa représentation unitaire, pourtant déjà bien ébréchée par la recomposition erratique de ses Conseils, de sa Commission et de son Parlement.

Comme déjà relevé, ce vote a confirmé une « dés-Union » de l’UE en trois blocs :

1- les Anglais, les Scandinaves et les ex-pays de l’Est inféodés ou hypnotisés par l’Otan,

2- l’Europe du Sud des cigales détruites par la Troïka, augmenté de l’Autriche signataire du projet de gazoduc South Stream,

3- le club des modérés qualifiés d’hésitants, mais que l’on peut penser plutôt tout à fait fourbes, donc plus rationnels, à savoir l’Allemagne et la France, plus la Roumanie.


Cette évolution semble conduire inexorablement à une implosion du bloc américaniste-occidentaliste , assez semblable finalement au processus de glaciation de l’ère Brejnev ou à sa copie en France des politiques du « ni-ni » de Mitterrand, ou du « rien-rien » de Chirac, avec leurs avatars Sarkozy et Hollande.

Charles pour vineyardsaker.fr
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