On ne saurait évoquer la théorie de la désintégration positive sans évoquer préalablement l’homme que fut Dabrowski. Car si son parcours de vie fut à l’origine de sa théorie, c’est sa façon de vivre, en adéquation totale avec sa théorie, qui lui a insufflé sa force.
Kazimierz Dabrowski est né le 1er septembre 1902 en Pologne, deuxième enfant d’une fratrie de 4. Sa petite sœur meurt d’une méningite alors qu’il n’a que 6 ans – expérience qui influencera sa vision de la mort. Il ne perçoit pas cette dernière comme étant seulement quelque chose de menaçant et incompréhensible, mais comme étant une des plus fortes expériences émotionnelles et cognitives[1]. La première guerre mondiale, qui le touche directement dans ses jeunes années, renforcera cette conscience de la mort : une bataille a lieu près de chez lui. Alors qu’il défile au milieu des cadavres, il essaie de trouver un sens à la guerre et aux brutalités qui en découlent.
Issu d’une famille aisée, il étudie à Lublin dans des instituts catholiques et se retrouve très jeune exposé aux livres et à la musique. A l’université de Lublin, il étudie la psychologie, la philosophie et la littérature, avant de poursuivre son cursus à Varsovie et Poznan. Au cours de ses études, son meilleur ami se suicide. Dabrowski qui souhaitait devenir professeur de musique entre alors en médecine et étudie le comportement humain. Il part étudier à Genève auprès du neurologue et psychologue pour enfants Edouard Claparède et du philosophe et psychologue Jean Piaget. En 1929, il présente sa thèse de médecine : « Les conditions psychologiques du suicide ». Il poursuit ses études à Vienne, en psychanalyse, avec Wilhelm Stekel, puis à Paris, en pédopsychiatrie avec George Heuyer, et en neurologie/psychologie avec Pierre Janet. En 1931, il soutient à Poznan un doctorat de psychologie sur l’automutilation. En 1935, il retourne en Pologne où il met en place l’Institut de santé mentale et d’hygiène qu’il dirigera jusqu’en 1948. En parallèle, il continue d’étudier et se penche sur le cas du polymathe Rudolf Steiner et de l’anthroposophie. La parapsychologie a toujours intéressé Dabrowski. Il pratiquera quotidiennement la méditation tout au long de sa vie.
La 2ème guerre mondiale fut difficile pour Dabrowski : il perd son jeune frère et sa mère est déportée. Son institut est fermé et il en ouvre secrètement un autre dans les forêts de Zagorze dans lequel il accueille des orphelins, des prêtres, des soldats polonais, des membres de la résistance et des enfants juifs. En 1942, il est emprisonné par les Nazis, accusé de complicité avec la résistance polonaise. Sa femme négocie sa libération et Dabrowski récupère son poste à l’Institut de Varsovie. Il témoigne qu’au cours de cette guerre, il a été confronté aux pires bassesses dont l’homme est capable, aussi bien qu’aux actes les plus élevés. En 1948, il obtient une spécialité en psychiatrie et part étudier aux Etats-Unis la santé mentale, la neuropsychiatrie et la pédopsychiatrie. En 1949, sous Staline, le gouvernement polonais ferme l’Institut et déclare Dabrowski persona non grata. Il fuit avec sa femme avant d’être emprisonné en 1950 pour 18 mois. Il est ensuite autorisé à reprendre ses activités mais sous surveillance du régime. Autorisé à voyager, il participe quand même à plusieurs congrès internationaux de psychiatrie.
Au début des années 60, il rencontre Jason Aronson, éditeur du International Journal of Psychiatry qui l’aidera à la traduction de son premier ouvrage en anglais : Positive Disintegration. Dabrowski refuse de rejoindre les Etats-Unis car il doit pour cela renoncer à sa nationalité polonaise. Il accepte alors un poste à l’hôpital de Montréal, au Canada, où la double nationalité ne pose pas problème. Il s’installe à Edmonton où il dispense des cours à l’université d’Alberta, en parallèle de ceux donnés à l’université de Laval (Québec). Des étudiants le rejoignent, et plusieurs d’entre eux deviendront ses co-auteurs, tels Dexter Amend, Michael Piechowski et Marlene Rankel. Dabrowski passera ses dernières années à enseigner et écrire, partageant son temps entre Alberta, Québec, et la Pologne. Plusieurs publications polonaises et anglaises voient le jour comme Mental Growth though Positive Disintegration (1970), Psychoneurosis Is Not an Illness (1972), The Dynamics of Concepts (1973), et les deux volumes Multilevelness of Emotional and Instinctive Functions (Dabrowski, 1996a : Dabrowski & Piechowski, 1996).
Il est important de noter que l’anglais constitue la dernière langue apprise par Dabrowski. La majorité de ses écrits polonais demeurent non traduits en anglais. Toutefois, une bonne partie de ses écrits polonais les plus importants ont été publiés en France et en Espagne. De grands centres sur Dabrowski ont été mis en place en Espagne et au Pérou.
En 1979, il est victime d’un infarctus à Edmonton, mais il est résolu à ne pas mourir en terre étrangère. Il retourne en Pologne et meurt le 26 novembre 1980. Il est inhumé, à sa requête, près de son ami Piotr Radlo, dans la forêt près de Zagorze. Sa femme et ses 2 filles lui survivent. Avant sa mort, il a demandé à ses étudiants que lui survive sa théorie. William Tiller a mis en place un site internet permettant une plus vaste diffusion de la théorie et sur lequel on trouve une mine d’informations : http://positivedisintegration.com/
Les bases de la théorie :
La théorie de la désintégration positive (TDP) est issue des observations réalisées par Dabrowski au cours de sa vie, tant auprès de ses patients que de son entourage. Son expérience de la guerre, les emprisonnements, le suicide de son ami, la mort de sa sœur, sont autant de jalons qui ont marqué sa conception du monde. Il a vite constaté que les émotions prédominaient sur l’intelligence, et essayé de comprendre ce qui faisait que certains êtres humains pouvaient être capables des pires bassesses alors que d’autres étaient portés par des valeurs morales élevées, près à se sacrifier pour les autres. La TDP est une théorie très complexe et ce résumé ne pourra qu’en proposer une version simplifiée. La lecture des écrits de et sur Dabrowski reste essentielle pour celles et ceux qui voudraient approfondir leurs connaissances en la matière, de même que les textes de Platon, Kierkegaard et Nietzsche.
Sa théorie est aujourd’hui très utilisée au Canada et aux Etats-Unis, ses équipes ayant continué à développer des outils pratiques, à travailler sur sa théorie. On retrouve des centres d’études au Pérou, en Espagne, en Turquie aussi bien qu’en Australie, la plupart consacrés aux enfants et adultes surdoués. Les notions de surexcitabilité, de potentiel de développement, de dynamisme entrent en effet en forte résonnance avec la notion de douance. Cet aspect sera abordé dans un prochain article. Il est nécessaire de se familiariser au préalable avec la théorie de la désintégration positive, de faire un retour sur la terminologie et sur les conceptions de personnalité et de santé mentale chez Dabrowski.
Les types de développement :
Dabrowski identifie trois types de développement, à savoir la détermination biologique, l’autonomie mentale et le développement unilatéral.
La détermination biologique, comme son nom l’indique, est associée au cycle de vie ontogénétique (intégration et progression des fonctions à travers les différents âges de la vie). La détermination biologique inclut une conformité à l’environnement social : les individus ajustent leurs comportements afin qu’ils entrent en concordance avec leurs conduites biologiques ; les normes sociales contrôlent les conduites.
Dans l’autonomie mentale, les forces mentales propres à l’individu se combinent à des valeurs positives pour conduire au développement direct. Ce type de développement transcende les dictats de la biologie et de la société et est souvent marqué par des désintégrations / réintégrations ainsi que par les (in)adéquations positives et négatives, concepts qui seront abordés ultérieurement.
Dans le développement à niveau unique, les fonctions et structures mentales sont intégrées à une vision du monde égocentrique et antisociale. Ce type de développement se manifeste dans des états mentaux tels la paranoïa ou les comportements criminels. L’inadéquation négative est typique de ce développement : les individus régulent leurs comportements afin de parvenir à leurs propres fins, sans s’occuper de ce que cela peut coûter aux autres. Le rejet des valeurs de la société est négatif puisque seule importe la gratification des besoins primaires et égocentriques.
Pour Dabrowski, le développement avancé de l’humain ne consiste pas à réussir les différentes étapes de sa vie en obtenant des biens matériels ou des gratifications sociales. Cela consiste à transcender les instincts et conduites biologiques et le besoin de se conformer inconsciemment aux normes de la société. Un humain développé se caractérise par des traits tels que l’autonomie, l’authenticité, l’altruisme.
Les facteurs de développement :
En sus de ces types de développement, Dabrowski identifie trois facteurs de développement.
Instinct de développement et potentiel de développement
Ils constituent le premier facteur et sont héréditaires. Le premier est lié à l’instinct de survie et constitue la force initiale permettant de transcender certaines conduites primaires, notamment si l’auto-préservation est en jeu. Le potentiel de développement, c’est la dotation constitutionnelle, héréditaire, qui détermine le caractère et l’extension possible de la croissance mentale d’un individu donné. Le potentiel de développement est notamment puissant chez les personnes dotées de ce que Dabrowski nomme l’excitabilité accrue, une propriété du système nerveux central. Les individus dotés d‘hyperexcitabilité perçoivent la réalité d’une manière différente, plus intense.
5 formes d’excitabilités accrues ont été identifiées, et il est possible de les combiner.
L’hyperexcitabilité psychomotrice. Elle se caractérise par une grande énergie, de la curiosité, la difficulté de rester assis, le besoin constant de changer.
L’hyperexcitabilité sensuelle se traduit par une sensibilité aux perceptions sensorielles.
L’hyperexcitabilité imaginative se traduit par une inclinaison à la rêverie, par la présence d’une vie intérieure riche, fantasque, et par une grande créativité.
L’hyperexcitabilité intellectuelle se caractérise par une habileté pour les analyses et synthèses, par des questionnements pertinents et par un besoin d’apprendre par soi-même.
L’hyperexcitabilité émotive concerne les individus sensibles qui vivent des émotions intenses et prennent les choses à cœur. Ils sont empathiques et ressentent un fort besoin d’avoir des relations exclusives.
L’environnement social :
Les effets de l’environnement social sur l’individu dépendent de sa dotation, en amont, en potentiel de développement : si un individu possède un potentiel de développement fort, la qualité de l’environnement social sera de seconde importance. Ces individus ont une résilience innée et une large imperméabilité à leur environnement social. La qualité de l’environnement social est un facteur important lorsque le potentiel de développement est faible.
Le dynamisme :
Le 3ème facteur n’apparaît que lorsque les 2 autres facteurs ont été activés. Ce que Dabrowski nomme le dynamisme, c’est la force par laquelle un individu devient davantage autodéterminé, et qui lui permet de contrôler ses comportements en fonction de ses propres valeurs. Une fois le 3ème facteur activé, les individus ne restent plus longtemps à la merci des besoins biologiques et des conventions sociales. Ils conduisent leur vie de manière consciente et délibérée, en fonction des valeurs qu’ils souhaitent suivre. A ce niveau de développement, les individus prennent en charge leur propre éducation et leurs propres souffrances. En effet, la conscience de soi implique la conscience de son propre fonctionnement mental, de son identité personnelle et unique, de la stabilité différentielle des caractéristiques personnelles : certains traits de personnalité ne sont pas plus stables que d’autres, mais certains sont considérés comme plus importants. La conscience permet à l’individu de s’engager dans cet autocontrôle. Le dynamisme conduit à un fonctionnement mental complexe qui sera développé à la fin de la partie consacrée à la désintégration positive.
Les principes d’intégration et de désintégration :
En se basant sur les postulats de développement préalablement évoqués, Dabrowski élabore une théorie de la personnalité dans laquelle les individus oscillent tour à tour entre intégration et désintégration. Il dégage ainsi 5 niveaux de développement personnel[2]. Les niveaux ne sont pas réels dans le sens où il n’y a ni début ni fin dans la manière d’évoluer. Chaque individu possède un « centre de gravité » ou niveau dominant dans lequel il fonctionne émotionnellement et intellectuellement. Les dynamismes ne sont pas tous activés uniformément. Il existe 2 types d’intégration – primaire et secondaire – et 4 types de désintégration – positive, négative, partielle et globale. Les émotions négatives constituent la clé permettant d’évoluer entre intégration et désintégration, de cheminer intérieurement.
L’intégration primaire (niveau I) :
L’intégration primaire caractérise les individus qui sont largement sous influence du 1er facteur (biologique) et du 2nd facteur (environnement). L’organisation mentale est dédiée à la gratification des instincts biologiques de l’individu, y compris les besoins sociaux. Les attributs, telle l’intelligence, sont mis au service d’un intérêt personnel. Les réponses comportementales sont généralement automatiques : la prise de conscience est faible, éphémère, voire inexistante. On parle d’état de semi-conscience. Le conflit est typiquement ciblé sur le monde extérieur et reflète la frustration liée aux besoins primaires, au manque de reconnaissance sociale. Au niveau le plus basique de l’intégration primaire, se situent les individus qui ne sont influencés que par le facteur biologique et qui n’ont aucune conscience de leurs actes. Ce sont des sociopathes : seule compte la gratification de leurs besoins, les autres n’étant considérés que comme objet permettant d’arriver à leurs fins. A l’autre extrémité du niveau, se situent les individus qui sont influencés par le 2nd facteur, l’environnement. Ils sont extrêmement socialisés : leur façon d’être au monde est hautement sociale, conforme. Ils ont besoin de l’approbation des autres.
Pour Dabrowski, ce premier niveau n’entre pas dans le cadre du développement psychologique puisque qui dit développement implique une désintégration de l’organisation mentale de cette intégration primaire, prise de conscience de ce qui est. Mais ce niveau est important puisque c’est dans l’intégration primaire qu’apparaissent les symptômes psychonévrotiques, lorsque l’individu prend conscience de la différence existant entre ce qu’il souhaite être et la réalité.
La désintégration à niveau unique (niveau II) :
Il s’agit de la première instance de désintégration. Elle est provoquée par un élément marqueur (puberté, ménopause, échec scolaire ou professionnel, problèmes relationnels, rupture sentimentale, décès d’un proche, etc.) qui génère d’intenses émotions négatives conduisant à l’incertitude. Pour Dabrowski, les individus ne peuvent effectuer la transition des bas niveaux de fonctionnement mental aux niveaux plus élevés que par l’expérience de leurs propres conflits internes. L’identité devient confuse, changeante, mais le sens du moi n’est pas encore complètement développé. La désintégration s’effectue sur un mode horizontal : l’individu est tiraillé dans un sens, puis dans l’autre, mais se perçoit toujours en adéquation avec la société. Les personnes qui évoluent au sein du niveau II sont soumises à une autorité extérieure par laquelle elles se caractérisent (je suis la femme de…, le fils de…, le chef de…, le subalterne de…, etc). Une crise survient lorsque l’autorité est jugée mauvaise, trompeuse, abusive.
La plupart des individus chercheront une autre autorité sous laquelle se placer, qui soit davantage en accord avec leurs valeurs et par rapport à laquelle ils pourront se redéfinir. Dabrowski nomme cela l’intégration partielle ou adaptative. Toutefois, la désintégration à niveau unique ne doit pas être négligée : les personnes qui n’arrivent pas à retrouver de nouvelles valeurs ne peuvent soutenir émotionnellement cette perte de repères. La prolongation d’un tel état conduit le plus souvent à des tendances suicidaires ou à la psychose. Les individus se tournent vers l’automédication, l’alcool, les drogues, afin de faire taire ces émotions négatives. Dabrowski insiste fortement sur la nécessité de ne surtout pas nier ou balayer ces émotions négatives lors d’une thérapie. Il est important, au contraire, d’aider les personnes à comprendre et accepter ces émotions négatives afin qu’elles puissent évoluer.
La désintégration stratifiée spontanée (niveau III) :
Ce niveau requiert une dotation en potentiel de développement et plus spécifiquement un haut niveau d’excitabilité accrue, ainsi que la présence du 3ème facteur, le dynamisme. La perte de l’intégration primaire, amorcée au niveau II, est transformée en un examen spontané et involontaire des croyances, attitudes et émotions, suivi d’une répudiation des valeurs antérieures. Diverses formes d’émotions négatives et d’attitudes d’autocritique, propres aux dynamismes de dissolution, initient le processus de création d’un milieu intérieur propre, accroissant ainsi la prise de conscience. L’émergence du niveau III résulte d’une révolution de la perception de soi et du monde. Les individus ne se satisfont plus des besoins primaires et de l’adhésion automatique aux normes de la société. Commence alors un processus de transformation afin de concilier ces nouvelles valeurs personnelles avec celles de la société. Le dynamisme de développement joue un rôle fondamental dans les processus d’évolution de l’individu. Dabrowski distinguent ceux qui n’en sont pas dotés – les conserveurs – de ceux chez qui le dynamisme est présent – les transformeurs. Les concepts de hiérarchie des valeurs peuvent être présents chez les deux, mais les sujets conserveurs ne possèdent pas la transformation psychique permettant de transformer les idéaux en action. Ce concept de transformation psychique est le processus par lequel le travail spécifique de restructuration personnelle s’exécute.
La désintégration stratifiée organisée (niveau IV) :
La principale caractéristique de ce niveau est que la conscience individuelle contrôle le cours du développement. Alors que le niveau III est dominé par les dynamismes de désintégration, le niveau IV voit croitre les dynamismes de développement, comme l’autonomie, l’authenticité, l’auto-éducation et l’auto-psychothérapie, liés au 3ème facteur. L’individu développe un sens élevé de responsabilité envers lui-même et envers les autres. Le niveau IV initie l’intégration secondaire au fur et à mesure que l’individu devient auto-éduqué et qu’il s’auto-améliore. L’auto-psychothérapie est un processus d’éducation et de conduite personnelle des épisodes de stress, l’habileté à prendre en charge sa souffrance, qu’elle soit d’origine interne ou externe.
La responsabilité envers soi-même et envers les autres consiste à prendre la responsabilité de ses propres actions, pensées et désirs, en fonction du contexte de sa propre vie et en relation avec les autres. L’autonomie est le dynamisme par lequel les individus s’affranchissent consciemment de leurs conduites sombres et des aspects de l’environnement social qui s’opposent à leurs valeurs positives. L’authenticité, basée sur la conscience de soi, est l’expression des émotions, réflexions et attitudes. Cela consiste à être en adéquation avec sa propre échelle de valeurs. Un centre attentionné et responsable détermine le comportement de l’individu, aussi bien à court terme qu’à long terme, et travaille à harmoniser la personnalité. La personnalité idéale est le standard à l’aune duquel l’individu évalue sa propre personnalité.
L’intégration secondaire (niveau V) :
Au sommet du développement humain, la personnalité est achevée. L’individu expérimente l’harmonie et est en paix avec lui-même. Il vit selon sa personnalité idéale, son comportement étant dirigé par la construction d’une hiérarchie de valeurs. Virtuellement, aucun conflit intérieur n’est expérimenté depuis que les formes inférieures de motivation ont été détruites et remplacées par des formes élevées d’empathie, d’autonomie et d’authenticité.
Les différentes désintégrations :
L’individu peut passer d’un niveau à un autre via des processus que Dabrowski nomme désintégration et intégration. La désintégration est un processus double : la dissolution des structures et fonctions mentales inférieures amène à la création de formes plus élevées. Pendant la dissolution, les individus expérimentent des conflits internes et externes qui génèrent d’intenses émotions négatives. Une telle expérience peut être provoquée ou déclenchée par des jalons dans le développement, comme la puberté, ou des crises suite à la mort d’un être cher. A ce stade, il convient de bien différencier les phases de développement des états de développement qui sont séquentiels, relatifs à l’âge et universels. Dans la théorie de la désintégration positive, il n’y a pas de critère d’âge associé à chaque niveau. Les niveaux ne sont pas non plus universels. Un individu ne passe pas par les différents niveaux de développement au cours de sa vie : un niveau domine, et seul un conflit intérieur majeur peut permettre la désintégration permettant d’accéder – si les conditions s’y prêtent – à un autre niveau. De telles expériences détruisent l’organisation mentale préexistante qui guidait le comportement de l’individu.
La désintégration est dite positive quand l’individu adhère, en toute conscience, à des valeurs morales élevées, correspondant à sa personnalité idéale.
La désintégration est dite négative quand l’individu n’expérimente qu’une partie de la désintégration, la partie de dissolution, et se retrouve piégé, incapable de retourner à un état d’intégration antérieur. L’individu ne se reconnaît plus dans les valeurs qui étaient siennes avant mais ne parvient pas à en créer de nouvelles qui lui sont propres. Les maladies psychotiques chroniques et suicides constituent des expressions communes de désintégration négative.
La désintégration partielle permet une sortie moins dramatique et résulte de plusieurs conséquences : un retour à un niveau de fonctionnement inférieur, une intégration partielle à un niveau plus élevé, ou une transformation vers une désintégration globale.
Désintégration positive et concept de santé mentale :
Il ne faut jamais perdre de vue, quand on étudie cette théorie, que Dabrowski était avant tout un praticien. Psychiatre et psychologue, il a été amené à réfléchir sur le concept de santé mentale et sur l’importance des conflits intérieurs. Rappelons que pour lui les émotions priment sur l’intelligence dans le développement de la personnalité. La santé mentale, perçue comme absence de désordres mentaux jusque dans les années 60-70, laisse peu à peu place au concept de bien-être, de satisfaction de vie. Dabrowski conteste ces définitions qui ne font que décrire les individus des niveaux I et II[3].
Définitions de santé mentale contestées par Dabrowski :
La santé mentale comme absence de désordre mental.
Pour Dabrowski, beaucoup de soi-disant états mentaux ou désordres pathologiques ne tiennent pas de la maladie mais sont des processus nécessaires au développement personnel. Des états mentaux comme l’excitabilité accrue et la majorité des névroses et psychonévroses constituent « une condition nécessaire au développement clair et multipartite et sont l’une des conditions basiques de santé mentale, non des désordres ».
La santé mentale comme état d’intégration psychologique.
L’état d’intégration psychologique, dans lequel les facultés mentales fonctionnent en douceur, sans disharmonies ou interruptions, est fréquemment perçu comme condition nécessaire de santé mentale. Dabrowski s’oppose à cette idée, rappelant que les disharmonies et désintégrations constituent le noyau des hyperexcitabilités : sans ces formes de développement positif des névroses et psychonévroses, le développement de la personnalité à multiples niveaux serait impossible. L’excitabilité accrue, qui est associée à une asynchronie de développement comme la douance ou la créativité, introduit par sa seule présence disharmonie et chaos, en augmentant dans le même temps les dynamismes qui guident et accélèrent le développement. C’est en rencontrant des obstacles et frustrations dans la réalisation de ses buts que l’individu expérimente les conflits internes et externes. A cause de ces conflits, un individu doté d’un haut potentiel de développement devient plus introspectif, davantage capable de faire des choix et par conséquent plus conscient de la hiérarchisation de ses sentiments, pensées et comportements. Un individu mentalement sain possède la capacité de subir une désintégration positive ainsi que des intégrations secondaires partielles dans les hauts niveaux de développement, qui peuvent conduire à la formation d’une personnalité au niveau de l’intégration secondaire globale.
Santé mentale et réalisme :
Dabrowski souligne l’importance de l’imagination et de l’intuition dans le développement accéléré. Il note que beaucoup de traits humains et de comportements associés à l’efficacité et à la productivité sont souvent des indicateurs d’un ajustement stéréotypé et indifférencié aux conventions sociales et impliquent une intégration primaire à niveau unique. « Efficacité et productivité comme traits permanents de caractère dans son ensemble ne peuvent être harmonisés au développement positif et accéléré, à la créativité, à l’originalité. Ces traits sont souvent rencontrés chez les individus primitifs, stéréotypés, exhibant de fortes réactions automatiques, lesquelles sont fréquemment l’expression de caractéristiques pathologiques »[4].
Afin de décrire les différentes variantes d’adaptation d’un individu à la société, Dabrowski introduit 4 concepts :
- L’inadaptation positive (inadaptation aux tendances des bas niveaux dans son propre comportement et dans les influences avec l’environnement).
- L’inadaptation négative (maladies mentales et désordres).
- L’adaptation positive (ajustement dynamique aux hauts niveaux dans la hiérarchie de valeurs, de buts, de réalité, exprimé à son extrémité par la personnalité idéale. Ajustement « à ce qui doit être »).
- L’adaptation négative (ajustement à la réalité, aux valeurs et buts des bas niveaux de la norme statique, ajustement « à ce qui est »).
Le critère de l’ajustement effectif à la réalité, comme signe de santé mentale, est typiquement utilisé pour décrire un ajustement négatif, basé sur l’acceptation des normes sociales et comportements. C’est une attitude de compromis, souvent adoptée sans réflexion, de statu quo, dans lequel l’individu manque d’habileté à créer ses propres réalités et convictions et se soumet facilement aux idéologies afin d’assurer son statut ou ses biens matériels. A l’extrémité de l’ajustement négatif se situent les psychopathes qui mettent leur intelligence au service de leurs besoins primaires.
Santé mentale et équilibre psychologique :
L’équilibre psychologique, concept populaire dans les approches biologiques et psychanalytiques de la santé mentale, est un état de balance entre les forces majeures qui gouvernent le comportement – ajustement aux conditions changeantes – et le fonctionnement psychologique effectif. Cette idée de balance comme état optimal et désirable de fonctionnement psychologique trouve de nombreux supports dans la sagesse commune, qui défend l’approche de vie de l’homme doré, caractérisé par l’harmonie et l’absence d’excès. Pour Dabrowski, cette approche reflète le niveau horizontal, une vie humaine centrée sur des activités destinées à combler les impératifs biologiques, sans tensions majeures ou bouleversements. Il y a de fait incompatibilité avec la conception des niveaux multiples du développement humain présentés dans la TDP, laquelle postule que développement de la personnalité, créativité, authenticité, progresse au travers de conflits personnels, de graves expériences émotionnelles, de dépressions, anxiétés, obsessions, inhibitions, efforts pour transcender son propre cycle biologique et son type psychologique, via la désintégration positive. L’état d’équilibre psychologique prolongé est considéré, par Dabrowski, comme symptomatique de psychopathologies. Dans les hauts niveaux de développement, l’équilibre psychologique est qualifié de « déséquilibre modéré ».
Le concept de santé mentale selon Dabrowski :
La définition de la santé mentale par Dabrowski : « Capacité de développement vers les hauts niveaux – multidimensionnels – de hiérarchie de réalité, de compréhension, d’expérience, de découverte, de création et d’élévation des valeurs, pour atteindre tant la personnalité idéale que l’idéal social ». La santé mentale n’est pas un état mais un processus. La personnalité constitue le but ultime et résulte du développement issu de la désintégration positive. Il existe pour lui 3 types de développement :
- Ordinaire, basé sur un bas potentiel de développement.
- Partiel / unilatéral, basé sur un fort talent ou sur une attribution particulière d’habilités.
- Accéléré, associé à un fort potentiel de développement.
Dabrowski évoque la santé mentale de personnes normales, d’individus éminents et de personnalités engagées.
L’homme normal :
La santé mentale de l’homme normal est caractérisée par un ajustement relativement aisé aux changements de conditions de vie (adaptation négative). Si d’occasionnelles périodes d’inadaptation touchent ces individus, elles ne sont guère intenses ou longues, et ne laissent le plus souvent pas de marques permanentes sur la psyché. Les individus ordinaires sont en général efficients, efficaces et productifs dans leurs activités, capables de surpasser leurs difficultés et de se focaliser sur leurs besoins primaires. Le but de leur vie est souvent caractérisé par une carrière réussie, une richesse matérielle, un statut social élevé, et un degré d’influence sur les autres. Leur vie émotionnelle est caractérisée par l’équilibre. S’ils expérimentent la tristesse ou de dépression, par exemple, ces expériences tendent à être modérées et ne conduisent pas à des efforts d’auto-transformation. Leur vie spirituelle est en cohérence avec les normes sociales et est typiquement définie par les stéréotypes religieux.
Les individus éminents :
Les individus éminents exhibent une forte ambition concernant la réalisation de leurs talents particuliers. Leur croissance psychologique est limitée à ce développement unilatéral de leur talent, et les domaines de vie sont étroitement associés à cette réalisation. Dans leur maquillage psychologique, on peut observer quelques divergences de développement significatives autour de certaines fonctions. C’est particulièrement évident que le talent dominant, ou les habiletés, concernent les mathématiques, la physique, les habiletés techniques ou politiques. Ces individus, comme l’observe Dabrowski, n’exhibent pas ou peu de désir de réveiller ou développer leur milieu intérieur, et ne sont pas intéressées par l’auto-transformation. Ils montrent un manque d’empathie dans leurs relations avec les autres, et parfois sont agressifs, voire peuvent faire preuve de cruauté. Il existe un petit risque de désordres mentaux.
Les individus engagés :
Les individus engagés dans le développement accéléré, ou fonctionnant au niveau de la personnalité, illustrent sur un plan hiérarchique, multipartite, stratifié, ce que doit être la santé mentale. Ils se focalisent sur le développement de leur propre milieu psychique et consacrent autant d’efforts à aider les autres. Ils se dévouent à la réalisation de leurs valeurs hiérarchiques exponentielles et réalisent de gros efforts afin d’accroître et affermir les parties sous-développées de leur personnalité. Ils exhibent des signes d’excitabilités psychiques croissantes – en particulier en ce qui concerne les excitabilités émotionnelles, imaginatives et intellectuelles – et visent à transcender les approches stéréotypées des différentes aires de vie, comme l’éducation, la sociologie, la psychologie, la psychopathologie, la philosophie. Leur histoire est emplie d’expériences difficiles associées à des besoins de transformation intérieure et d’auto-perfectionnement. Ces expériences incluent souvent névroses et psychonévroses, nécessaires dans cette tentative toujours plus poussée de compréhension de la réalité, de création de la réalité. Leur attente envers leur propre personne et envers les autres est basée sur une perception claire de l’idéal de personnalité, autant vis-à-vis des individus que de l’essence sociale. Seul ce dernier groupe, porté par la désintégration positive, correspond à la définition de ce qu’est la santé mentale. Ces individus servent de modèle au reste de la population afin de montrer ce qui devrait être.
Dabrowski met en garde contre le fait d’utiliser les critères basiques, comme l’utilité ou l’efficacité, pour évaluer les phénomènes multiples : créativité, développement de la personnalité, santé mentale, sont autant d’éléments qui ne peuvent être appréhendés à partir de ces critères basiques. Promouvoir les standards basiques de santé mentale permet aux individus psychotiques d’acquérir pouvoir et proéminence, qu’ils utilisent de manière destructrice dans la poursuite de leurs buts primitifs et souvent inhumains. En pathologisant les expériences désintégratives associées à la création et à l’auto-transformation, on stigmatise les individus se dirigeant vers une croissance accélérée, et on ajoute une couche à leur accablement au lieu de les aider à se lever. On réduit également la possibilité d’avancement de la société de la platitude et de la complaisance hédoniste vers les hauts niveaux de développement, ou tout au moins vers leur reconnaissance et leur appréciation.
Les données issues de cet article sont toutes tirées de l’ouvrage collectif : Sal Mendaglio (ed.). – Dabrowski’s Theory of Positive Disintegration. Great Potential Press, Scottsdale, 2008.
[1] Dabrowski, K. Préface. In M. M. Piechowski, A theorical and empirical approach to the study of the development. Genetic Psychology Monographs, 92, p 233.
[2] Pour un descriptif plus détaillé des différents niveaux : http://www.adulte-surdoue.org/2011/articles/traductions/le-conflit-interieur-comme-voie-vers-un-developpement-avance/
[3] Dabrowski. A la recherche de la santé mentale (ouvrage en polonais), 1996.
[4] Dabrowski, 1996b, p 14.
Source
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