13 mars 2014

Ardisson sent-il le vent tourner ?

Mais que s’est-il passé dans la tête de Thierry Ardisson sur Canal+, ce samedi 8 mars 2014, journée de la Femme, dont il n’a visiblement rien à battre, alors que Giesbert au même moment invitait un bataillon de féministes sur France 5 ?
 
L’animateur reçoit pourtant le lobbyiste Jacques Attali, qui a son rond de serviette dans Salut les terriens, émission qui en est à sa 8ème saison. Alors que Thierry s’était calmé sur l’antisionisme depuis 2004, voilà soudain qu’il se moque ouvertement du « conseiller » des trois derniers présidents de la République française, Chirac mis à part ! Folie, ou calcul ? Et si cette girouette avait senti le vent tourner ?

Bien sûr, nous ne sommes pas en mars 1933, en Allemagne, juste avant les élections législatives, que le parti d’un certain aventurier gagnera, à la surprise générale. Nous sommes en France, en mars 2014, le pays des médias verrouillés par un pouvoir que nous sommes obligés de nommer, par respect pour l’intelligence de chacun : sioniste. Ceci étant dit, il est intéressant de noter les petits changements qui annoncent un printemps, c’est-à-dire une déglaciation. Déjà, dans les journaux télévisés, le peuple français n’est plus traité comme avant, c’est-à-dire en bétail passif, ou vociférant. Il pense, parle, et parfois, on l’écoute. Pas pour des raisons démocratiques, allons. Comme le quotidien Le Monde, qui découvrira le « peuple de France » à l’occasion des présidentielles 2012. Cela donnera lieu à une série de papiers relativement comiques dans une Pravda aussi stupéfaite que dépassée.

Chacun sait, ou sent, même si c’est peu écrit, en tout cas pas aussi brutalement, que le rapport de forces est en train de basculer. Mais parmi la caste médiatique, malgré la crainte qui commence à suinter des plateaux les plus compromis avec ledit pouvoir, certains, plus lucides que d’autres, ou plus cyniques, ont compris qu’il fallait commencer à donner des gages à la « résistance ». Car les choses peuvent aller très vite, en politique. Nous ne sommes pas en train de crier victoire, car le chemin est rude. Mais les signes se multiplient : le vrai débat, le débat fondamental, fait son chemin, au milieu des crachats, des insultes et des interdictions.

On a ressuscité Thierry Ardisson !


Ainsi, le royaliste Ardisson, qui se permettait d’audacieuses sorties antisionistes dans Tout le monde en parle lors des grandes années de l’émission (2002-2004), en faisant dire par le truchement de ses invités des vérités ou contrevérités dangereuses (nous pensons au producteur de La Passion du Christ, à l’auteur de L’Effroyable Imposture, ou à des spécialistes du terrorisme)… Jusqu’à la reprise en main par BHL, « devenu » le grand copain de Thierry après un voyage dans le palais de Tanger, finissant par s’installer dans l’émission, et donner son avis sur les bons et mauvais invités. Après cela, l’hebdo du samedi soir, ayant perdu son parfum de soufre, mais aussi de liberté, périclitera avant de finir dans les mains de Ruquier, qui en fera un divertissement dévitalisé, malgré la parenthèse enchantée du formidable duo Zemmour/Naulleau. La paire de chroniqueurs ayant été ce que la télé française a fait de mieux en termes de liberté éditoriale, mais aussi de lucidité, de culture, et de finesse d’analyse journalistique. Ah, qu’il était bon, enfin, de voir s’écraser au sol les invités nazebroques composant notre showbiz frelaté, touchés par les missiles précis des talibans Éric & Éric ! Ce n’est pas le garçon coiffeur Caron ou le vaniteux petit Bedos, totalement dénués d’humour sur eux-mêmes, qui vont faire le boulot…
Après cette page nostalgique d’histoire télévisuelle, voyons comment Ardisson est redevenu Thierry, peut-être l’espace d’une émission seulement. Dernier sursaut avant l’engourdissement définitif, pourcentage de pureté inattendu dans la potion magique servie avant l’enregistrement ? Qui sait. En tout cas, on a retrouvé le Thierry des grandes années, poignardant petits et grands cons avec une dextérité florentine. À ce niveau, la télé devient un art, largement devant le cinéma, ce dérivé triste de La Vérité si je mens.

En vérité, ce samedi 8 mars, envoyant valdinguer prudences et soumissions habituelles, Thierry va recréer un TLMP en petit, sans Baffie, mais avec ses pointes sanglantes. À ce niveau de pertinence, ils sont tous enfoncés, les Taddeï, les de Caunes, les Ruquier… Thierry redevenu pour nous l’astre noir de la télé. Animateurs fantoches, prenez-en de la graine !

« Votre vrai nom c’est Kevin Smadja… »

Le premier à morfler, c’est le petit Kev Adams, qui n’a rien pour lui : bébé phoque innocent, pour son premier « Ardisson », il se prend des coups de hache. Tout y passe : son inculture totale, son patronyme juif (une spécialité thierryenne, de balancer le vrai nom, comme en 42), son humour de débile léger, son look afro-tunisien, et sa répartie de patient de dentiste… Un massacre sur la banquise. Pour des raisons de respect humain, nous passerons sur cet épisode, une sorte d’entrée, avant le plat principal : Jacques Attali.

Attali piégé par sa vanité

Pour se « faire » Attali, Thierry va jouer au chat et à la souris, alternant caresses et coups de griffes. L’incroyable vanité du conseiller des princes l’empêchera, pour notre plus grand bonheur, de comprendre le piège à temps : il est tellement habitué à la brosse à reluire en plateau !

Ardisson : « Alors François Hollande président vous écoute beaucoup, il s’inspire du rapport de la commission de libération de la croissance qui vous avait été demandé par Nicolas Sarkozy, le pacte de responsabilité c’est vous ? »

Après la caresse, le coup de griffe. Thierry prépare son premier coup : « Mais en fait, avec François Hollande vous êtes assez complémentaires, hein, lui son ennemi c’est la finance, et vous, vous avez compris comment la finance fonctionne… »

L’animateur lance alors la vidéo où Attali, coiffé d’une kippa, explique la finance : « La deuxième histoire c’est celle qui à mon avis résume mieux que les théories économiques, ce qui se passe aujourd’hui, c’est Shlomo qui téléphone à David en lui disant écoute j’ai une affaire formidable à te proposer, j’ai un camion de pantalons, les pantalons valent 1$ tu les veux ? Formidable, David prend les pantalons et téléphone à Jonathan, écoute j’ai une affaire formidable pour toi, un camion de pantalons, 2$ tu les veux ?... Et l’histoire continue jusqu’à ce que certainement Moshe téléphone à Christian, qui lui dit j’ai une affaire formidable pour toi, des pantalons, 49$. Ah, formidable, 49; formidable je les prends. Le lendemain Christian téléphone à Moshe et lui dit écoute, t’es vraiment un escroc ! Comment ça chuis un escroc ? Mais si tu m’as vendu 49$ des pantalons immettables… Tu sais très bien, j’ai ouvert le camion, les pantalons ils avaient qu’une jambe ! [le scénario justement de La Vérité si je mens 3, NDLR]… T’as rien compris, c’est pas fait pour mettre, c’est fait pour acheter, pour vendre, pour acheter, pour vendre… »

Un extrait sidérant. Shlomo et sa bande qui entubent le pauvre Christian. Thierry a réussi son coup. Il jubile.

Attali confondu par un vrai connaisseur de la Russie

Le coup au but numéro deux, dans la grande tradition du Thierry de TLMP, sera porté par un invité, Michel Grabar, professeur d’histoire de la Russie, d’origine russe.

Thierry lance sa grenade dégoupillée aux pieds du « conseiller », qui va la ramasser, benoîtement : « Est-ce que les médias sont capables, à mon avis non, d’exposer le point de vue de Poutine, clairement, en donnant ses arguments ? Jacques Attali. »

Attali : « Je trouve que ce reportage [de Blakowski], comme cette conversation que nous sommes en train d’avoir, est très grave parce que vous êtes en train de donner le sentiment que tout se vaut, que les démocraties et les dictatures c’est la même chose. »

Ardisson rétorque : « Attendez, Poutine il a été élu au suffrage universel. »

Attali répète : « Que les démocraties et les dictatures c’est la même chose. »

Ardisson enfonce le clou : « C’est vous qui dites que c’est une dictature. 70 % des Russes sont favorables à Vladimir Poutine. Nous, notre président il est à 16 % [rires dans la salle]... Mais est-ce que finalement il ne serait pas temps pour les Occidentaux de comprendre que tout le monde ne pense pas comme nous ? »

Attali dégaine sa brochure habituelle : « Nous avons une conception de la démocratie et de la liberté qui est maintenant à peu près commune à l’échelle de la planète, c’est que l’économie de marché c’est mieux que le Plan, et la démocratie c’est mieux que la dictature, tout le monde est d’accord avec ça. La Chine est encore une dictature, les pays de l’ancienne Union soviétique sont pour la plupart d’entre eux des dictatures, et là où je suis très, très inquiet, c’est quand elles se camouflent sous forme de démocratie, qu’elles font croire qu’elles ont un parlement, qu’elles ont, tout le monde fait croire qu’il est une démocratie, ce qui n’est pas le cas. »

Ardisson laisse Attali proférer cette énormité et se tourne vers Grabar : « Michel, est-ce que Poutine est un dictateur ? »

Grabar : « […] Il propose en fait une intégration de l’espace eurasiatique et de l’Europe. »

Attali : « Là je ne suis pas à convaincre, si je peux me permettre, j’ai créé la seule institution européenne qui rassemble les pays de l’Est et de l’Ouest, et j’ai mis la Russie en Europe… Catherine II déjà disait on est trop grands pour être une démocratie, on peut comprendre ce point de vue, mais qu’on ne nous dise pas que c’est une démocratie. »

Grabar poursuit, sans tenir compte d’Attali qui botte en touche : « Cela dit, ce qui les gêne principalement, c’est que lorsqu’on parle de l’Union européenne on parle assez vite de l’OTAN, pourquoi ? Parce que l’Europe n’a pas eu le courage de construire une défense européenne, et donc pour notre défense européenne on doit faire appel aux Américains, et vraiment le vrai problème avec les Russes, la vraie pierre d’achoppement, c’est lorsque ils pensent que toute adhésion à l’Union européenne va déclencher automatiquement une adhésion à l’OTAN, et l’OTAN de leur point de vue c’est une organisation qui est dirigée contre eux. »

Ardisson, avec bon sens : « Ben oui ! »

Grabar achève Attali : « Alors sur le plan de la démocratie là, parce que c’est un mot qui revient tout le temps dans votre bouche, du point de vue russe, évidemment, c’est pas tout à fait la même chose. La période Eltsine, malheureusement, a dévalorisé ce terme de démocratie, il y avait même un vilain jeu de mots où on faisait rimer démocratie avec diermocratsia, le mot diermo ça veut dire de la merde. La période Elstine a été une période d’effondrement du niveau de vie… »

Attali tente de reprendre la main : « Je crois que la raison pour laquelle la démocratie est mal vue en Russie, c’est que la période démocratique commence en fait avec la perestroïka, avec Gorbatchev, a provoqué la fin de l’Union soviétique, c’est-à-dire le fait que justement existe l’Ukraine et que la Russie soit coupée en morceaux. Et un des grands regrets de Poutine, c’est que la brève période démocratique a conduit à la fin d’un empire. C’est pour ça qu’il faudra du temps avant que la Russie revienne… »

Ardisson tsariste ?
 
Passation de Russie éternelle

Passons sur les raccourcis douteux d’un « penseur » occidental qui jamais ne se met à la place du peuple russe, et qui commet des fautes de débutant (la « Russie coupée en morceaux »). On va voir que, même au pied du mur, Attali est capable de convoquer des arguments étonnants, avec un culot d’enfant.

Ardisson : « Pourquoi Obama se mêle de ce qui se passe en Ukraine ? [...] Poutine se mêle pas de se ce qui se passe au Canada ou au Mexique ? C’est son terrain l’Ukraine, pourquoi venir le faire chier dans son territoire, après on s’étonne qu’il s’énerve, mais tout le monde s’énerverait ! »

Attali : « Est-ce que vous avez vu un film qui s’appelle Deer Hunter ? Le début de Deer hunter [Voyage au bout de l’enfer, NDLR], c’est une longue scène de mariage, un mariage quoi ? Ukrainien. Où ? A Chicago. Ça vous dit rien Chicago ? La ville de Obama, c’est tout simple. Une grande partie de l’Ukraine se trouve aux États-Unis. Et ils ont une raison très profonde de s’intéresser à l’Ukraine, comme ils s’intéressent à la Pologne, parce que les États-Unis d’une certaine façon c’est une Europe qui a réussi, qui a rassemblé tous les Européens, et donc c’est d’une certaine façon une nation européenne et ils ont toutes les raisons de s’intéresser à l’Ukraine. »

D’une certaine façon, cela permet de dire n’importe quoi quand on est coincé. La question d’Ardisson, celle de la sphère d’influence, méritait une réponse plus sérieuse. Même Alexandre Adler s’en serait sorti avec moins de mauvaise foi. Sans aller chercher un spécialiste de la question ruthène, Michael Cimino a filmé les rites d’un mariage lituanien. Les férus de micro-peuples et de langues est-européennes pourront approfondir le débat avec le développement suivant : forum-orthodoxe.com.


Soral, le Poutine français ?


Ardisson, avec un vice consommé, demande alors à ses invités si la Russie est une dictature. Michèle Laroque, d’origine roumaine, a bien compris le message démocratiste du « conseiller » Attali : « À l’Est y a toute une rééducation qui doit, qui qui qui, qui doit s’opérer. »

Kev Adams aussi, avec ses mots d’enfant : « On sait que les les les, le peuple de l’Est a cette manière un peu plus rude de s’adresser aux gens, ce qui fait pas d’eux forcément des gens méchants, et ce qui fait pas des Américains qui sont plus cool quand ils parlent, des gens forcément gentils, moi je me fie pas à ça, je pense simplement, au-delà de Poutine et tout ça, je pense que la démocratie c’est une chance et qu’il faut qu’on se batte pour la conserver. »

Attali opine du chef, rassuré qu’il est de ce côté-ci du showbiz. Même Seth Gueko, le rappeur qui se croit subversif, commence mal mais finit bien, à propos de Poutine : « Il m’fait penser à un rappeur, moi, ouais il exhibe ses muscles, il tire avec son pistolet… Non, pour l’aspect artistique, quand il fait enfermer dans les goulags les Pussy Eliott c’est ça, j’trouve que ça a un peu des allures de de, de dictature. »

Et plaf, Grabar marche dans une grosse flaque, arrosant Attali : « Moi j’ai des étudiants garçons qui aiment bien Poutine. Qui aiment bien son coté viril, macho, sportif. Donc il est assez populaire d’ailleurs dans des milieux sociaux, relativement modestes. »

L’universitaire poursuit sur sa lancée : « D’abord Soljenitsyne l’a reçu. Moi ma garantie morale c’est Soljenitsyne, Soljenitsyne qui a dénoncé le goulag n’était pas obligé, il était vieux, il était pas obligé de le recevoir chez lui, il l’a reçu, c’est-à-dire qu’il a considéré que c’est quelqu’un qui a fait plutôt du bien à son pays, il a renforcé la Russie. »

Ardisson : « Sur le plan économique d’abord, sur le plan du prestige international aussi… »

Grabar : « Sur le plan économique y a eu à peu près entre 2000 et 2010… à peu près 7 % de croissance par an, aujourd’hui ils sont dans la difficulté… »


Attali, retrouvant son sourire : « C’est le moins qu’on puisse dire. »

Grabar, imperturbable : « C’est pour ça que les sanctions c’est pas une très bonne idée, parce qu’ils ont une croissance qui s’effondre, parce qu’ils ont pas fait les investissements nécessaires. Je pense qu’il faut avec eux mener une politique d’investissements croisés. »

De Gaulle, notre dernier président non-aligné, ne disait pas autre chose.

Ultime provocation de Thierry en direction de ses invités, avec Attali dans le viseur : « Alors Michèle, faut-il un Poutine à la France ? Kev ? Un Poutine pour la France ? »

Mais à qui donc en France pense Thierry ?

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