Des complicités douteuses
A en croire les médias de masse, l’oligarchie est à la Russie ce que la dissidence est à la Chine ou les droits de l’homme à la France. Lors des élections présidentielles de 2007, la "soirée du Fouquets" a pourtant mis en lumière des liens étroits entre le monde de la politique et celui des grandes entreprises, de la finance et des médias. Sarkozy a par la suite suffisamment été qualifié de "Bling Bling" ou encore de "président pour les riches" à l’opposé du "président normal" Hollande, pour que l’on puisse penser que son cas est exceptionnel et justement pourfendu par les contre-pouvoirs démocratiques. Mais en critiquant à tout va "le style présidentiel", les commentateurs de presse ont pris soin d’éviter le problème de fond, celui de l’atteinte à l’intérêt général.
La question principale n’est pas de savoir si le président aime les Mannequins, les Rolex ou les Yatchs, mais plutôt d’estimer les possibles conflits d’intérêts lorsque quatre de ses amis proches (Lagardère, Dassault, Bouygues et Bolloré) détiennent à eux seuls l’écrasante majorité des médias. Quand on sait de plus que Dassault est aussi un groupe d’armement, Bouygues de BTP et que Bolloré dispose du premier réseau de logistique en Afrique, on peut alors imaginer du copinage dans la commande publique, la politique néocoloniale ou les marchés obtenus à l’étranger grâce à l’aide publique au développement. Dans tous les cas, de l’argent prélevé de la poche du contribuable pour finir dans celle des grandes entreprises ...
Le financement des élections
Dans l’autre sens, les politiques lorgnent sur l’argent du privé pour financer leur parti politique (surtout en période électorale). Depuis 1988, la législation a évolué au rythme de nombreux scandales politico-financiers qui ont éclaboussé la droite comme la gauche : marchés publics truqués (Urba, marchés publics d’Ile de France), rétrocommissions (frégates de Taïwan, Karachi), emplois fictifs (mairie de Paris), valises de billets des dictateurs Africains ... Et qu’il s’agisse d’argent liquide ou de versement sur des comptes offshore, la dépense ne se limite pas toujours aux stricts besoins du parti politique (billets d’avion de Chirac payés en liquide ...). Actuellement, la mode est aux micro-partis : "Association de soutien à l’action de Nicolas Sarkozy", "France.9" (François Fillon), "Association nationale des amis de Nicolas Sarkozy", "Nouvel oxygène" (Laurent Wauquiez), "Besoin d’optimisme" (Manuel Valls), "Association de soutien à l’action d’Eric Woerth" (évoquée dans l’affaire Woerth Bettencourt) ... Au nombre de 28 en 1990, ils sont presque 300 aujourd’hui. Alors que les dons de personnes physiques sont maintenant limités à 7.500 euros par an et par parti, ces micro-partis offrent un contournement "légal" de l’esprit de cette loi. Les généreux donateurs peuvent ainsi verser ces 7500 Euros non seulement au parti principal mais aussi à l’ensemble des micro-partis affiliés qui font ensuite remonter l’argent au besoin.
Le consulting et le lobbying
"Je fais ça [président] pendant cinq ans, et ensuite, je pars faire du fric comme Clinton, 150.000 euros la conférence." Sarkozy (cité par Le Point) a tenu sa promesse : 100.000 Euros pour sa participation à une conférence pour la banque Goldman Sachs, 250.000 euros les 45 minutes de conférence pour la banque Morgan Stanley. Puis la Russie, la Chine, le Brésil, la Libye, le Qatar, le Canada, la Grande-Bretagne, Israël, etc ... La presse évoque le "tour du monde des conférences". D’une manière générale, le recyclage du politique en consultant semble lucratif, au point que certains créent leur propre cabinet. Citons par exemple les députés et anciens ministres : François Fillon qui a créé sa société "2F Conseil", Rachida Dati qui a créé "La Bourdonnais Consultants" et Christian Jacob qui possède "CJCSE". D’après un rapport de la commission des lois, 60 députés disposaient de leur propre cabinet de Consulting en 2011. Le conflit d’intérêt n’est pas très loin. Citons Kouchner et ses missions de conseils auprès des dictatures Gabonaises et Congolaises alors qu’il présidait le réseau public de solidarité internationale ESTHER, Longuet et ses missions de conseils auprès de GDF-SUEZ alors qu’il défendait au Sénat des positions favorables à ce groupe ... C’est d’ailleurs ce même groupe qui avait invité des parlementaires UMP et PS à la finale de la coupe du monde à Berlin dans un voyage en avion. Si le lobbying ne va pas forcément jusqu’à la corruption, il reste quand même une dérive oligarchique. Où est l’intérêt général quand le privé (qui a ses entrées à l’assemblée nationale) peut influencer les commissions ou les votes parlementaires ? A Paris comme à Bruxelles, certains excès remontent parfois à la surface : complicités politiques de Servier dans l’affaire du médiator, retour des farines animales ...
Le pantouflage
D’autres politiciens (ou hauts fonctionnaires) obtiennent un poste dans la grande entreprise, c’est ce qu’on appelle le "pantouflage". Le carnet d’adresse semble souvent un atout essentiel. Bernadette Chirac (épouse d’un ancien Président de la république), Hubert Védrine (ancien ministre et membre du parti Socialiste) ou Renaud Dutreil (ancien ministre et membre de l’UMP) sont par exemple tous les trois administrateurs à LVMH, le groupe d’Arnaud Lagardère (première fortune de France). Et lorsqu’il s’agit de postes de direction (Christine Albanel chez France Télécom, Michel Pebereau à la BNP), c’est généralement que l’état a pris part au capital de l’entreprise ; Chef de l’état ou ministres peuvent alors fortement influer sur les nominations (Stéphane Richard, PDG d’Orange récemment ...). Il n’est donc pas étonnant de compter des PDG de banques aussi bien de gauche que de droite. L’esprit de corps des grandes écoles est par contre toujours manifeste (ENA, Polytechnique ...). Et Lorsque hommes politiques, grands entrepreneurs et banquiers appartiennent à la même caste, on peut se poser beaucoup de questions, à commencer par la faramineuse dette de l’état (presque 1900 milliard d’euros).
La convergence des politiques de droite et de gauche
Si on ne vit pas en dictature, c’est à priori que nous sommes en démocratie. En pratique, il s’agit plutôt d’une "démocratie accompagnée". Depuis des décennies, chaque élection nous ressert les mêmes partis avec ses mêmes représentants. In fine, cela revient souvent à choisir entre un candidat du géant de gauche (PS) et un autre du géant de droite (RPR puis UMP). Cette binarité pourrait être acceptable si elle conduisait à une véritable alternance politique. Malheureusement, il ne s’agit que d’une façade. Les valeurs traditionnelles de la gauche et de la droite deviennent complètement galvaudées quand on constate la convergence de leur politique réelle. Qu’en est-il de la gauche quand ses gouvernements successifs privatisent à tour de bras (le gouvernement Jospin est un de ceux qui a compté le plus de privatisations) ou quand un Président Socialiste a maintenu en Afrique la politique néocoloniale de ses prédécesseurs (Mitterand a une responsabilité directe dans le génocide au Rwanda) ? Qu’en est-il de la droite quand elle renfloue par milliards des entreprises qui auraient dû disparaître dans une logique de libéralisme économique ou quand elle favorise l’immigration pour maintenir une pression basse sur les salaires alors que ses leitmotivs restent l’identité nationale et les problèmes d’immigration ? Jusque dans les idées, gauche et droite sont devenues les deux faces d’une même pièce. Que l’état relance l’économie par la création d’emplois stables donc favorisant la consommation, ou bien par une diminution des charges aux entreprises donc favorisant l’embauche, le modèle économique reste toujours celui d’une croissance illimitée (produire plus, consommer plus) dans un monde où les ressources naturelles sont pourtant limitées.
L’illusion démocratique
Essentielle au bon fonctionnement de la démocratie, la séparation des pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire) ne semble plus très nette aujourd’hui. Qu’en est-il de la représentation nationale quand deux partis seulement se partagent les deux premiers pouvoirs. Qu’en est-il de l’indépendance de la justice quand le parquet, soumis au politique, passe son temps a étouffer les scandales (le Procureur Courroye a par exemple été mis en cause pour son attitude dans les affaires Chirac ou Woerth-Sarkozy-Bettencourt) ? Avec la mondialisation et au sein d’une Union européenne dictant ses règles en matière de concurrence économique sous la pression des lobbies, l’état-nation s’en trouve encore plus affaibli. Mis à l’écart de cette collusion économico-politique, le peuple reste pourtant maintenu dans l’illusion démocratique grâce à la complicité des médias de masse. Les responsables politiques y sont régulièrement invités pour déverser leurs effets d’annonce (une gauche qui va diminuer les avantages des patrons et aider les gens en difficulté, une droite qui va récompenser le travail et augmenter la sécurité ...), mettre la pression sur le "vote utile" ou évoquer le danger des extrêmes devant des journalistes qui évitent les questions gênantes ou les sujets trop profonds. En 2005, lorsque le traité de Lisbonne est venu contredire des référendums souverrains, ce "hold-up démocratique" fût pratiquement ignoré par les médias.
Le dictat de l’économie et de la finance
La souveraineté populaire est devenu un mythe à une époque où la France est endettée à hauteur de 1900 milliards d’Euros, soit à peu près l’équivalent de son PIB. Des créanciers tels que le FMI et le FESF conditionnent d’ailleurs leurs prêts à des politiques publiques (la Grèce, pays le plus endetté de l’UE, a dû augmenter la TVA, geler les salaires ou augmenter des cotisations retraites etc ... ). Quand des agences de notation (Standard & Poor’s, Moody’s ...) estiment la capacité des états à rembourser leur dette, celle-ci devient alors un objet de spéculation (entre fin 2009 et fin 2011, le taux des obligations Grecques a été muliplié par dix) et les conseils Européens ou sommets mondiaux (G8, ...) ont ensuite la vocation de "rassurer les marchés". Le célèbre "There Is No Alternative" de Thatcher semble désormais planer autours de chaque nouvelle fuite en avant (le "Grand emprunt de 2010" en est un exemple récent). Plus besoin d’évoquer une quelconque théorie du complot, la gouvernance politico-économico-financière affiche même sa complicité avec les médias. Symbole de l’oligarchie Française, le Think Tank "le Siècle", compte ainsi des politiciens de gauche comme de droite, des dirigeants d’entreprises et d’établissements financiers, des éditeurs, des journalistes, des syndicalistes (CGT, Medef)... Et ce n’est qu’une composante de la gouvernance mondiale dont le groupe Bildeberg, la Commission trilatérale et le Sommet de Davos constituent le sommet de l’iceberg...
Des masses malléables
"Nous sommes les 99%", scandaient les activistes du mouvement Occupy Wall Street. Puisqu’une minorité de personnes compose l’oligarchie, pourquoi la majorité se laisse t-elle faire ? La question n’est pas récente. Dans son "discours de la servitude volontaire" Etienne de La Boétie, soulevait en 1549 la question suivante : comment un peuple peut-il accepter la domination d’un tyran, lequel n’a de puissance que celle qu’on lui concède ? Il avance alors plusieurs explications. La première est l’habitude : "les hommes servent volontairement parce qu’ils naissent serfs et sont élevés dans la servitude" ... "on ne regrette jamais ce que l’on n’a jamais eu". Vient ensuite l’engourdissement du peuple par des drogueries : "Les théâtres, les jeux, les farces, les spectacles, les gladiateurs, les bêtes curieuses, les médailles, les tableaux et autres drogues de cette espèce étaient pour les peuples anciens les appâts de la servitude, la compensation de leur liberté ravie, les instruments de la tyrannie." Mais ces passe-temps ludiques ne peuvent pas endormir les hommes bien nés et cultivés : "il faut alors par la cupidité et le désir d’honneurs rendre ces gens complices du tyran, les asservir en leur donnant l’occasion de dominer d’autres à leur tour". Ainsi se dessine la pyramide sociale qui permet au tyran d’"asservir ses sujets, les uns par le moyen des autres". Ce discours étonne encore aujourd’hui par sa pertinence, même il faut l’adapter au monde moderne.
Le pouvoir des médias
Ainsi, la notion d’"habitude" évoquée par La Boétie pourrait correspondre aujourd’hui au phénomène de "reproduction sociale" (bien décrit par Pierre Bourdieu). Quant à l’"engourdissement du peuple", ce sont les médias qui jouent aujourd’hui un rôle prépondérant. Quand l’immense majorité des chaînes de télé et des journaux appartiennent à quelques grands groupes industriels, peut-on encore imaginer une information impartiale ? Dans le documentaire "la fabrique du consentement", Noam Chomsky décrit ainsi comment les médias de masses sont devenus des outils de propagandes : en écartant l’opinion publique de certaines informations importantes (les massacres de l’Indonésie pro-américaine au Timor oriental ont par exemple été considérablement moins évoqués que ceux des Khmers rouges au Cambodge communiste) ou au contraire en la mobilisant par des informations orientées (l’absence de débats sur les solutions de paix est manifeste à l’approche des guerres), en encadrant les sujets traités (l’impérialisme des puissances occidentales n’est par exemple jamais remis en cause), en imposant la concision des explications (les opinions se fabriquent et s’entretiennent ainsi avec des raccourcis) et enfin en canalisant les esprits sur des sujets sans importances (les jeux, les fêtes, le sport, les faits divers).
Ne pensez plus, consommez
La dépendance accrue des médias (chaînes télé ou presse écrite) sur les revenus publicitaires favorise cet abrutissement. Patrick Le Lay, ancien PDG de TF1 expliquait ainsi : "à la base, le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit. (...) Or pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible". En gros, il s’agit de remplacer l’instruction par la consommation. On consomme pour se faire accepter, on consomme pour se démarquer, on consomme pour s’affirmer socialement. La mode du moment ? Ma coupe de cheveu et mes fringues. Mon statut social ? Cette voiture. Ma personnalité ? Les applications de mon Iphone. Mon passé ? Mes tatouages. Quand la mode change chaque année, que le yaourt se réinvente tous les trois mois et que les magasins de café ressemblent à des bijouteries il faut comprendre que la consommation est devenue un grand projet société. C’est bon pour l’économie. Quant à la démocratie, il vaut mieux éteindre sa télé et commencer à s’instruire ...
Jérôme Henriques
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CHAPEAU BAS !!! tout y est , j'm'en va épingler ça dans mon usine , et balancer dans les boîtes au lettres !
RépondreSupprimerl'ours