26 janvier 2013

Sainte Paresse

C'est avant tout une révolution intime avant d'être une révolution sociale. Ou plus précisément une révolution de l'intime. Une capacité de "ne rien faire", de s'abstraire des multiples activités quotidiennes, de ne plus être possédé par la volonté d'agir, pour se "maintenir dans la quiétude" (Tao Te King 16).
Cela ne veut évidemment pas dire regarder la télévision, lire des romans, sortir avec des amis. Toutes les formes de distraction, de divertissement, participent pleinement à l'agitation générale et sont absolument opposées à la Sainte Paresse.

En revanche, ceux qui ont la capacité de couper le flux des préoccupations, qui aiment regarder l'herbe pousser, contempler l'océan, se perdre dans les nuages, le blanc de la neige ou le bleu du ciel sont sur le chemin de la Sainte Paresse, ils savent naturellement s'ouvrir à cette autre dimension de la vie qui est la Vie dans sa pleine réalité, son intime présence, en dehors de la folie qui pousse à toujours désirer, vouloir. Ils sont aptes à saisir cette simplicité première.

Mais cette faculté qui est naturelle à certains s'apprend.

D'ailleurs, des thérapeutes intelligents enseignent aux personnes atteintes de dépression à devenir attentives à leur environnement immédiat: un chat qui passe, l'arbre au loin, le bruit du vent dans les feuilles, un insecte sur le mur.

Contrairement à ce que fait la psychanalyse qui recherche l'origine d'une souffrance et continue de ce fait l'agitation naturelle à notre époque, cette pratique demande une attention autre, décalée. Il s'agit de se focaliser autrement.

C'est ainsi que certaines personnes vivant dans une ville côtière ont pris conscience de l'omniprésence des oiseaux marins. Une présence qu'elles n'avaient jamais remarquée auparavant, tellement elles étaient prises par l'agitation générale qui régit tous les domaines de notre existence.

En développant cette capacité si simple et pourtant si difficile à réaliser pour certains, on entre dans une relation d'harmonie avec la nature. Car la nature obéit à la Sainte Paresse. Elle en est l'expression. Sans cesse elle "agit sans agir". Elle est la parfaite illustration du Wu Wei.

Ceux qui ont observé les oiseaux savent qu'ils passent beaucoup de temps à "ne rien faire". Ils ne se lissent même pas les plumes. Ils demeurent immobiles ou bien planent très haut dans le ciel sans nécessité, par pur plaisir. S'ouvrir à la Sainte Paresse, c'est devenir un peu oiseau ou un peu taoïste, ce qui est presque la même chose puisque les immortels taoïstes étaient représentés avec des plumes, pour marquer leur affinité avec le ciel.
La perte de cette capacité naturelle qui était générale chez beaucoup de peuples orientaux a amené l'Occident au bord du gouffre.

Notre société débordante d'activités, de mouvements, est à l'image de celui qui "remplit sans cesse" et "ferait mieux de s'arrêter" dont parle Lao Tseu (Tao Te King 9) ou de celui qui, selon une autre image, " sans cesse affûte un glaive" et "dont la lame sera vite usée" [9].
Finalement, le monde moderne ne souffre pas d'un désordre économique ou moral - ce sont des conséquences - mais d'un manque de paresse.

Erik Sablé "Sagesse libertaire taoïste : Introduction à la Sainte Paresse"

Source




10 commentaires:

  1. J'aime assez cette sagesse, d'autant que j'ai largement le temps dans ma situation de chômeur très longue durée...pour ne pas déprimer ou péter les plombs, je suis devenu "saintement paresseux".

    "En revanche, ceux qui ont la capacité de couper le flux des préoccupations, qui aiment regarder l'herbe pousser, contempler l'océan, se perdre dans les nuages, le blanc de la neige ou le bleu du ciel sont sur le chemin de la Sainte Paresse, ils savent naturellement s'ouvrir à cette autre dimension de la vie qui est la Vie dans sa pleine réalité, son intime présence, en dehors de la folie qui pousse à toujours désirer, vouloir. Ils sont aptes à saisir cette simplicité première. "

    La vie et ce monde ne me plaisant décidément pas du tout, et il y a de quoi étant tout de même notablement réveillé, l'alternative est en effet, de s'intéresser aux autres dimensions de la vie...il s'agit bien, en effet, de savoir porter volontairement son attention sur ce qui me plaît, et de savoir placer en arrière plan les horreurs de ce monde, il est vrai qu'elles sont encore pour moi abstraites, et essentiellement "informatives" voire "informatiques" : par le truchement de l'ordinateur.

    "Contrairement à ce que fait la psychanalyse qui recherche l'origine d'une souffrance et continue de ce fait l'agitation naturelle à notre époque, cette pratique demande une attention autre, décalée. Il s'agit de se focaliser autrement. "

    Savoir observer la nature et les choses simples, se donner des objectifs concrets et atteignables, s'occuper de son jardin, de ses animaux domestiques, prier et méditer, voilà les activités qui peuvent soulager les exclus de ce monde, de la société "marchande" et de "consommation" devenue société de l'exclusion et de la crise.

    L'ami Pierrot

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    1. "voilà les activités qui peuvent soulager les exclus de ce monde", étant dans la catégorie des exclus (moins de 1000 euros par mois) j'ai pratiqué de façon assidu la méditation, je dois vous avouer que le bien-être qui en découle est tout relatif, un beau paysage avec des montagnes et des animaux, la nature en somme est plus efficace que n'importe quel psy ou thérapeutes...
      Ce qui n'empêche pas la finance de continuer son avancée, il faudrait une paresse mondiale pour stopper le n o m!!!

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    2. Eh bien personnellement, je ne me considère pas comme une exclue, même si ce que je gagne mensuellement à la sueur de mon front (c'est bien le cas de le dire) totalise une somme inférieure à 1000 euros.
      Vrai qu'en rentrant de travailler, je suis atteinte de paresse, tout simplement. Je dois m'astreindre aux travaux ménagers qui ne me plaisent pas, mais qu'il faut bien faire si l'on ne veut pas vivre dans un environnement sale.

      Ma "sainte paresse" à moi : regarder les nombreux oiseaux qui viennent picorer ce que je leur dépose pas loin de ma fenêtre (comme ça, s'il fait froid, je peux les regarder sans sortir... Je vous disais que je suis paresseuse, non ? Et un peu frileuse, en plus de ça ! ^^)
      J'adore ça ! En fait, comme je ne sais pas trop de quelle manière méditer, ça remplace chez moi la méditation.



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    3. chacun vois les choses comme il veut, 1000 euros c'est que dalle!!!
      Il faudrait que les gens se rendent compte que le gratin est loin de gagner cela!!! faudrait ajouter quelques zéro...
      Se "satisfaire de ce qu'ils ont" voilà encore une "sainte phrase" destinée aux bas salaires afin qu'ils ne réclament rien, oui contenter vous de peu, bientôt vous aurez plus rien!!!!

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    4. Bonjour l'ami Pierrot,
      Ne crois-tu pas que la vision du monde que tu as développée, ne soit devenue le principal obstacle à ta qualité de vie et ta ton bonheur "d'être" dans ici et maintenant?
      Bien à toi

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    5. "ici et maintenant" c'est le nom d'une radio, à part ça c'est un concept dont bcp de gens parlent mais très peu y parviennent...

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  2. Le mot paresse a mauvaise presse. Il est aussi l'un de sept péchés capitaux. C'est dire... Mais le listing importe peu. C'est ce qu'il sous-tend qui me gêne.
    Il lui faut toujours un ajout pour qu'il fasse bonne figure : divine paresse, sainte paresse, vertueuse paresse. Dans ce mot en "esse" j'entends aussi faiblesse et mollesse.

    C'est davantage du travail dont il faut parler. De son origine étymologique, de son obligation à le vivre à plein temps, de l'esclave qui en résulte.
    Dans l'antiquité (grecque, latine) le travail était considéré comme une servitude dévolue aux esclaves : le labor.
    Les hommes libres pouvaient se consacrer à l'otium, c'est-à-dire aux loisirs, philosophie, arts...
    Sommes-nous tous devenus des esclaves ?

    Nietzsche écrivait :
    ""Dans la glorification du “travail”, dans les infatigables discours sur la “bénédiction” du travail, je vois la même arrière-pensée que dans les louanges adressées aux actes impersonnels et utiles à tous : à savoir la peur de tout ce qui est individuel. Au fond, on sent aujourd’hui, à la vue du travail – on vise toujours sous ce nom le dur labeur du matin au soir –, qu’un tel travail constitue la meilleure des polices, qu’il tient chacun en bride et s’entend à entraver puissamment le développement de la raison, des désirs, du goût de l’indépendance.
    Car il consume une extraordinaire quantité de force nerveuse et la soustrait à la réflexion, à la méditation, à la rêverie, aux soucis, à l’amour et à la haine, il présente constamment à la vue un but mesquin et assure des satisfactions faciles et régulières. ""

    Le gendre de Marx, Paul Lafargue :
    ""Une étrange folie possède les classes ouvrières des nations où règne la civilisation capitaliste. Cette folie traîne à sa suite des misères individuelles et sociales qui, depuis deux siècles, torturent la triste humanité. Cette folie est l’amour du travail, la passion moribonde du travail, poussée jusqu’à l’épuisement des forces vitales de l’individu et de sa progéniture.""

    Une demi-journée de travail devrait suffire pour chacun. L'avènement des machins et des machines pourrait être une aubaine si les desseins de certains étaient plus humains.

    Ce monde est définitivement sous le signe de l'injustice.

    A la place de "paresse" je tenterais "tranquillité."

    Edouard

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    1. rien ne vous empêche de gérer votre temps comme bon vous semble, de toute façon des gens en haut lieux décident pour vous!!!

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    2. "Dans l'antiquité (grecque, latine) le travail était considéré comme une servitude dévolue aux esclaves : le labor."

      Vous pensez que les temps ont changé, Ami Pierrot ? Il y a toujours eu plus d'esclaves que de 'maîtres'. Est-ce que ça changera un jour ? Je ne sais.

      "Une demi-journée de travail devrait suffire pour chacun. L'avènement des machins et des machines pourrait être une aubaine si les desseins de certains étaient plus humains."
      Effectivement. Et comme il n'y a pas suffisamment de travail pour tout le monde, les machines devraient contribuer à faire en sorte que nous travaillions moins. Ce qui n'est pas du tout le cas. Enfin, pas le cas de tout le monde : il est des gens qui gagnent beaucoup d'argent à ne pas faire grand-chose : juste voler les autres. Grand bien leur fasse.
      Mais sont-ils heureux avec tout cet argent ?

      Et puis seul l'amour vrai rend heureux.
      Et encore : si je regarde tout ce que je dois payer chaque mois, je me rends compte que beaucoup de choses me sont imposées que je ne 'consomme' pas forcément (genre, la TVA, les abonnements divers, les impôts...)

      Quelqu'un qui n'a des amis que pour son argent n'est pas heureux, j'en suis convaincue. Il n'y a qu'à regarder l'expérience de certains.
      http://www.kisskissbankbank.com/georges

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  3. Qu'est ce que tu fais dans la vie ?
    De mon mieux,c'est à dire pas grand chose,je contemple la vie..

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