19 janvier 2013

L'autre mur

Ce blog doit au moins la moitié de son contenu aux échanges verbaux que nous avons, Mme VJ et moi. Si Maupassant définissait le couple comme "un échange de mauvaises humeurs le jour, et de mauvaises odeurs la nuit" (Mademoiselle Fifi - 1882, phrase souvent attribuée à Sacha Guitry), nous nous situons ailleurs. Nul humain ne peut bien sûr échapper à ces deux fléaux, mais notre ciel commun est bien plus clair que cette affreuse vision.

Nous lui préférons, avec quelque réserve, celle bien connue de Saint-Exupéry : "Aimer, ce n'est pas se regarder l'un l'autre, c'est regarder ensemble dans la même direction".

Pourquoi opposer l'une des moitié de la phrase à l'autre ? Telle est notre réserve. Hé, St Ex, tu ne la regardais jamais, Consuelo ? Pour le reste, nous sommes d'accord. Avoir défini un but commun, et s'entraider à le rejoindre.

Tout nous est prétexte à aller de l'avant. Chaque événement, chaque stimulus, chaque mouvement intérieur, chaque production mécanique de l'un ou l'autre, chaque réticence, chaque enthousiasme suspect, tout, nous passons tout au crible.

Ça peut peut-être (nous l'ignorons) paraître fastidieux et tristounet, vu de l'extérieur, mais rien n'est devenu pour nous plus naturel et vivant, rien n'est plus important, plus vital, l'essence de la vie même, que cette inlassable recherche commune de l'adéquation à notre véritable nature.

Je viens de laisser dans un commentaire sur le BBB mon sentiment quant aux FBouc et autres vitrines de l'ego. Sauf dramatique erreur de ma part, ce blog n'a rien de commun (rassure moi, Madeleine) avec ce genre de débauche pornographique.

Voyeurs s'abstenir. Je doute que les lecteurs du JVJ soient des voyeurs. Et si c'était le cas, bienvenue à eux.

Ce midi, en croquant des crevettes à l'ail, nous avons enfin, croyons-nous,identifié le second mur de la prison.

Le premier, à gauche, c'est la peur, et toutes les limitations qu'elle implique. Le sujet est immense, il y a des années que je le traite et que de plus savants que moi en ont étudié tous les impondérables, je n'y reviendrai pas.

Anéantir la peur, c'est un voeu pieux. Pour moi. On en arrache une pousse, il en vient d'autres. J'ai écrit quelque part qu'il faut en arracher les racines, je maintiens.

Continuons, jusqu'à ce que ce qu'enfin toute peur disparaisse.

Mais de l'autre côté de la prison, il existe un autre mur, aussi limitant et tout aussi difficile à réduire : l'orgueil.

Qu' Evagre le pontique donnait en dernier, comme le plus pernicieux, qui découle du sentiment d'être victorieux : " Cette pensée-là, tous les démons vaincus la développent [en faisant croire qu’ils ont été facilement vaincus] et par elle tous trouvent à rentrer dans les âmes, les mettant finalement dans un état pire qu'auparavant".

L'orgueil, pour Mme VJ et moi, ne se limite pas à cela, et peut trouver sa source bien ailleurs. Tout peut être prétexte à se sentir supérieur, mis à part, distingué.

Et se sentir tel, c'est se retirer de l'amour, qui est le ciment des mondes. Il y a même des orgueils bienveillants, ou des bienveillances orgueilleuses, qui ne sont en fait que de luxueuses prisons. Splendide isolement.

"Maître" (je mets des guillemets, parce que, franchement, ça veut dire quoi, "Maître" ?) Philippe de Lyon disait de lui-même qu'il était tout petit, le plus petit.

Plus nous allons, Mme VJ et moi, et plus nous sommes convaincus de ceci : il n'y a d'autre but que de devenir rien. Le plus petit. Si comme je l'écrivais ici (je rappelle qu'en fait JE n'écrit pas. "Je" transcris, ce qui est différent).

Même si en toute modestie, c'est l'ego qui s'attribue le mérite d'être devenu tout petit, rien ou quasi rien, c'est une erreur, il faut rejouer la partie depuis le début.

Les apparences n'ont rien à voir. On peut vivre nu et couvert de poux sur un tas de fumier, et trimbaler des tonnes d'avoirs. Et prince de nombreux royaumes, libre de toute suffisance.

L'autre mur, une fois vaincue la peur, c'est l'orgueil. Le sentiment de sa propre importance, cette tour d'ivoire, tour d'orgueil dans laquelle nous dominons le monde.

Quand Iblis a été chassé, quand Lucifer perdit dans sa chute l' émeraude qu'il portait au front, qu’a-t-il perdu ?

L’amour, bien sûr. Ou, si l’on préfère, le sentiment d’empathie. Il est devenu l’orgueilleux fuyard retranché dans un burg à flanc de montagne, dominant, loin des passions et des malheurs des hommes, ces hommes de boue qu’il méprise et calcine d’un regard flamboyant. Mais il est privé d’amour. Et sa vie n’est qu’une plaie béante, qu’il refuse de voir et de soigner. La haine est le refus de l’amour et du partage. La haine marche avec l’orgueil, sur les sentiers escarpés de montagne qui s’approchent au plus près du ciel, mais en ignorent tout.

La pierre qu’il portait au front, qui faisait déjà son orgueil, lui, le plus beau des anges, qui a refusé de se prosterner devant aussi peu qu’un homme d’argile, cette pierre était convexe.

Dans la légende du Graal, elle a été creusée, évidée en coupe. De yang, elle est devenue yin. Concave.

Le sentiment de sa propre importance est devenu le calice qui recueille le suc, l’élixir des souffrances, pour en nourrir le roi pécheur, qui vit reclus au fond de ses douleurs, sur une terre dévastée (gaste).

Il y a donc là une inversion. C’est à cette inversion qu’il faut parvenir pour retourner. Les anciens appelaient cela « conversion », ou changement du cœur.

Les mots s’usent, d’être rabâchés sans intelligence (l’intelligence du cœur, justement). Et parfois nous jetons le bébé avec l’eau du bain.

Jetons l’eau, oui. L’eau sale des formatages et apprentissages de perroquets. Mais gardons l’essentiel, le feu qui couve.

Parce que jamais rien n’a changé, sauf le décor. Jamais rien ne change, jamais. Quel que soit l’endroit où nous fuyons, notre fardeau est toujours le même, toujours. Un peu de répit, et il revient, demandant toujours : ouvre-moi, regarde-moi.

Si la peur est le mur charnel qui voisine l’animalité, l’orgueil est celui qui nous empêche d’accéder à la spiritualité. C’est un obstacle psychique illusoire qui nous laisse accroire que nous pouvons être auto-suffisants. Un dieu capable de tout.

Sans doute faut-il avoir mangé jusqu’au bout ce fruit hallucinatoire et hallucinogène pour déboucher enfin sur cette découverte : Dieu est le Rien absolu. Croire, se croire quelqu’un ou quelque chose est une maladie dont seul le dépouillement total, l’extinction volontaire est la seule et unique issue possible.

Y a du boulot.

Vieux Jade

4 commentaires:

  1. Quelques trouvailles :

    "...mon sentiment quant aux FBouc et autres vitrines de l'ego."
    En effet, la doctrine de Fesse Bouc est de vous "mettre en avant", signe d'immaturité profonde, et de l'esprit mercantile : "tout s'achète et tout se vend". Vos habitudes sont espionnées pour vous vendre de la publicité, et vos confessions intimes sont vendues aux "autorités" qui vous "aiment tant et vous protègent".

    Plus loin :
    "Ce midi, en croquant des crevettes à l'ail, nous avons enfin, croyons-nous,identifié le second mur de la prison.

    Le premier, à gauche, c'est la peur, et toutes les limitations qu'elle implique."

    En dehors des goûts spéciaux (crevettes à l'ail) je trouve très juste le mur qu'est la peur. Rappelons que la peur est liée à l'Ego, au "mental" qui nous pousse à craindre pour notre "vie terrestre".

    "Et ceci pour le 2° mur d'enfermement:
    Mais de l'autre côté de la prison, il existe un autre mur, aussi limitant et tout aussi difficile à réduire : l'orgueil."

    L'orgueil, c'est aussi très propre à l'Ego, à l'expression de la "personnalité terrestre". C'est ce qui pousse à s'exhiber sur Fesse Bouc aussi, à "acheter" pour "exister", en faisant fonctionner le système "mercantile" qui est la prison dont VJ décrit les murs.

    En fait, si on pousse la pensée, les Oligarques et Elitistes de ce monde, vivent dans la peur (de manquer) et accumulent pathologiquement, et vivent dans l'orgueil, le sentiment d'impunité et d'invincibilité (être des puissants, au-dessus des lois).
    Satan, Iblis, ou Lucifer, les entités démoniaques en fait vivent dans la peur : se couper de l'amour Divin et de la plénitude ne peut qu'être effrayant. Ils vivent aussi l'orgueil, celui de la rébellion et du pouvoir dont ils se croient investis, notamment sur "nous autres".

    Je ne partage pas la conclusion de VJ, que "Dieu est le Rien absolu", je pense le contraire : "Dieu est le Tout absolu", il contient Tout y compris le Mal et se expressions, qui lui servent dans son plan d'expansion.
    En cela, le Mal et les esprits rebelles sont nécessaires pour faire avancer le schmilblique, car pour faire tourner la roue il faut bien un couple moteur, l'opposition Bien/Mal.

    L'ami Pierrot



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  2. "Tout absolu" aussi Ami Pierrot.
    C'est l'humain qui doit évoluer vers le "rien" de son encombrante humanité, se dépouiller de ses peurs et de son orgueil. C'est ma perception, pas un ukase.
    Comme dit VJ "y a du boulot."
    Bon sang où sont les racines ?

    Une fois de plus, un texte lumineux. Merci VJ.
    Edouard

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  3. "Ce blog doit au moins la moitié de son contenu aux échanges verbaux que nous avons, Mme VJ et moi. Si Maupassant définissait le couple comme "un échange de mauvaises humeurs le jour, et de mauvaises odeurs la nuit" (Mademoiselle Fifi - 1882, phrase souvent attribuée à Sacha Guitry), nous nous situons ailleurs. Nul humain ne peut bien sûr échapper à ces deux fléaux, mais notre ciel commun est bien plus clair que cette affreuse vision."

    Ce paragraphe, Vieux Jade, me ravit le cœur et me met le sourire aux lèvres, même s'il n'est qu'introduction à propos de l'orgueil et de la peur. Que ça fait du bien de constater que des couples ont encore des échanges vrais et profonds !
    On pourrait croire qu'à l'heure actuelle, si l'on n'écoute que les médias, tout n'est que séparation, guerre et matérialisme.
    Ça fait vraiment du bien d'avoir des témoignages du contraire ! ^^

    Continuez à nous abreuver de vos textes, si riches de vos deux cœurs.
    Et bisous à madame VJ qui contribue avec vous à tant de richesse. ♥

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  4. Chui d'accord avec VJ. Toujours aussi performant le 'vieux' avec les mots des maux ...

    Edouard et VJ donnent la solution ...

    Dieu ; ' C'est le rien qui contient le tout '

    Le fou d'ubu

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