22 octobre 2012

"D'un point de vue bouddhiste, la vie n'a ni sens ni objectif"



Depuis plus de vingt ans que je navigue dans le milieu bouddhiste, c'est la première fois que je rencontre un maître tibétain comme Ponlop Rinpoché. Fan de rock et de séries américaines, curieux et spontané, il possède une liberté de ton inattendue que l'on peut découvrir dans Bouddha rebelle (éditions Belfond).
Ses propos font voler en éclats les représentations naïves, teintées d'un exotisme désuet, de l'Occident sur le bouddhisme. Et montrent qu'il est possible de transmettre cette tradition tout en l'affranchissant de ses ornements cultuels et culturels.

Catherine Barry : Rinpoché - littéralement "précieux" en tibétain - est un titre honorifique réservé aux grands maîtres qui se réincarnent pour poursuivre leur transmission des enseignements bouddhistes de vie en vie. Que cela signifie-t-il concrètement au XXIe siècle ?

Dzogchen Ponlop Rinpoché : Les rinpoché ont, en général, dès leur naissance, un destin tout tracé. Né en Inde, ordonné moine à neuf ans, élevé dans un monastère, le mien me destinait à assurer les devoirs liés à ma charge tout en profitant des avantages liés à ma fonction. Mais, en grandissant, il m'a semblé plus juste d'explorer la pertinence de ma tradition à l'aune de la modernité, et de remettre en question mon rôle et la manière dont est transmis le bouddhisme au XXIe siècle. Il y a tellement d'idées fausses véhiculées à son propos. Je ne me situe donc pas, comme un rinpoché, mais comme un enseignant du bouddhisme, toujours en apprentissage.

Quels sont les préceptes du bouddhisme qui vous semblent essentiels ?

L'amour, la bienveillance et la sagesse. Ces principes permettent de dépasser nos insuffisances humaines. Nous pouvons tous apprendre à ouvrir notre esprit et à en finir avec nos attentes vaines et illusoires. La sagesse enseigne à mettre en perspective nos pensées, nos émotions, nos croyances. Cette forme de questionnement est créatrice. Dans un contexte de crises économiques et existentielles, comme celles que nous connaissons actuellement, nous devons, plus que jamais, rester curieux, en éveil, et ouvrir notre cœur à l'inconnu qui se présente. Cela, quelles que soient les circonstances.

Vous dites que quand la souffrance est intolérable, elle peut être à l'origine d'une absolue remise en question de nos pensées...

Quand tout se passe bien, nous ne remettons pas en cause les relations que nous entretenons avec les autres. En revanche, dès que quelque chose cloche, nous commençons à douter de leur pertinence. Cela signifie que nous n'acceptons de modifier notre point de vue que lorsque nous souffrons. Le bouddhisme n'empêche pas de souffrir quand on le pratique, il nous pousse, au contraire, à nous confronter à la réalité de la souffrance, qui est indissociable de l'existence. La nier ne sert à rien. C'est ce qu'enseigne le bouddhisme : à l'accepter et à se remettre en question pour transformer le type de relation que nous entretenons avec elle. Pour cela, il montre comment mettre de la distance, entre la douleur et nous, en utilisant la raison. Comment éprouver un sentiment de bonté vis-à-vis de soi et de toutes les personnes concernées par la situation qui pose problème. C'est un changement radical d'attitude qui n'est ni fataliste ni masochiste, puisque ce comportement vise à ne plus subir la douleur, à ne plus s'identifier à elle. Cela s'apprend. C'est ce que j'essaye de transmettre.

La méditation est à la mode en Occident. Qu'en pensez-vous ?


En se démocratisant, le bouddhisme s'est aseptisé. En Occident, il est souvent associé à une thérapie, et non plus à une spiritualité. Ce qui est une hérésie pour les Asiatiques. Cela dit, la méditation présente de nombreux aspects et permet d'acquérir une meilleure connaissance de soi, qui aide à aller mieux, à être moins stressé et moins angoissé.

Quel est le sens de la vie, selon vous ?

D'un point de vue bouddhiste, la vie n'a ni sens ni objectif. Je sais bien que cette réponse, abrupte, risque de choquer vos lecteurs, mais, pour moi, elle est évidente et pragmatique. Elle prend en compte la réalité de l'impermanence, le fait que rien n'existe en soi, que rien ne dure, que tout change sans cesse. L'accepter m'autorise à me montrer lucide et m'empêche d'adhérer, une fois pour toutes, à des concepts et à des idées préconçues. Si nous considérons que nous naissons pour suivre des objectifs précis, nous sommes emprisonnés dans des schémas, des directions. C'est contraignant, sclérosant. Il est préférable de créer les buts que nous nous fixons au fur et à mesure que nous évoluons. Nous possédons tous la liberté de le faire. Le savoir nous encourage à devenir autonomes, à nous déconditionner de notre éducation, de nos peurs, de nos habitudes. Cela demande du courage, de faire preuve de discernement et de patience. Mais procéder ainsi, c'est vivre en cohérence avec la loi de l'impermanence. Tout bouge constamment. Le sens que nous donnons aux choses aussi.

Votre définition du bonheur ?

Nous courons tous après, mais c'est quelque chose qui demeure très mystérieux à mes yeux. Trop souvent, notre conception de ce que nous nommons, communément, le bonheur dépend de nos états mentaux, et de nos conditions extérieures et intérieures. Le bonheur authentique naît et réside dans notre esprit. C'est un sentiment de contentement, de plénitude, qui se découvre en questionnant, sans cesse, avec enthousiasme et curiosité ce que nous expérimentons. La plupart des gens ne sont pas heureux, car ils veulent posséder le bonheur, alors qu'il ne se consomme pas. Découvrir sa saveur suppose de faire preuve de persévérance, de discipline, de vigilance, de développer la conscience du moment présent, et de connaître la loi de cause à effet. Ce n'est qu'ainsi que, peu à peu, cet état de sérénité et de paix intérieure que l'on nomme bonheur devient stable. Nous sommes responsables du monde dans lequel nous vivons.

Le titre de votre livre : Bouddha rebelle est provocant. Sommes-nous tous des bouddhas rebelles en puissance ?

Oui. Le Bouddha nous a enseigné il y a plus de 2 500 ans à remettre en question nos croyances. Cette forme de révolution intérieure, dirigée contre nos pensées et nos émotions, est destinée à nous permettre de découvrir qui nous sommes vraiment. Ce qui implique de prendre le risque de mieux se connaître, de laisser tomber les masques sociaux qui nous déterminent et nous spécifient. Le message essentiel du Bouddha rebelle est pour moi : comment devenir un être humain libre et responsable ? Cette exploration de la réalité, vers la liberté, est passionnante et amusante. C'est un voyage plein de surprises. Quand on avance, une sensation d'espace, de joie tranquille et d'ouverture grandit et s'épanouit en nous. Ce cheminement reste sans aucun doute l'une des dernières grandes aventures de notre époque.

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4 commentaires:

  1. ""D'un point de vue bouddhiste, la vie n'a ni sens ni objectif""

    De mon Oeil ,
    l'existence a bien un but,
    la mienne en tout cas se résume à :
    MAGNIFIER la VIE par mes oeuvres humaines
    et,
    dans mon lâcher prise
    je tiens bon !

    ha ! ha ! ha !

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  2. Beaucoup de "sagesse" simple:
    "Quels sont les préceptes du bouddhisme qui vous semblent essentiels ?
    L'amour, la bienveillance et la sagesse."
    - Il explique aussi le rôle de la souffrance, aiguillon qui nous pousse à "bouger". Parfois vers le pire (pétage de plombs, folie meurtrière, suicide), parfois vers le meilleur (re-découverte du véritable "sens" de la Vie)
    - Le Bonheur est avant tout "intérieur", c'est un état de sérénité et de paix intérieure devenu "stable". Etre heureux, c'est se détacher (s'affranchir) des "illusions" matérielles ou intellectuelles (de l'égo, du mental) pour se reconnecter à son "Soi".
    - La méditation, qui permet de se reconnecter au "Soi" est un outil puissant pour aller vers le "bonheur".

    Ceci dit, ce qu'il dit à propos de l'absence de sens et d'objectif de la Vie est surprenant, et dérangeant. Cela va à l'encontre de nos "croyances" , par exemple aDn l'exprime. La notion (fausse ?) de "Karma" ou de "chemin de vie" (Numérologie, Astrologie...) s'oppose en apparence à cette "absence de sens" pour la Vie.

    Il veut exprimer sans doute que nous avons un suprême "libre arbitre", dans la mesure où nous reprenons la maîtrise de notre "bonheur" en travaillant sur nous mêmes, et en s'affranchissant en définitive, de la destinée. La loi cosmique du "changement" est la seule vérité, selon lui, et Confucius le disait aussi :

    "Souvenez vous qu'il n'y a qu'une seule chose qui est permanente : le changement"

    Nous avons, selon lui, la capacité de trouver le bonheur au fond de nous même, en déconnectant le "mental" et ses "pensées" et en retrouvant notre être profond. C'est au fond, l'état de l'homme d'avant la "chute", avant qu'il ne mange la "pomme" de la connaissance du Bien et du Mal.

    L'ami Pierrot

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  3. Pourquoi chercher un sens quelconque ? De toute façon, tout pendant que nous serons en vie sur terre, nous ne trouverons pas de réponse. Et peut-être même pas "après".
    Nous sommes là et c'est tout.
    La vie se résume à une succession de joies et de peines. Autant ne pas trop se la compliquer et vivre au maximum dans l'amour, puisque c'est cela qui, nous le savons, nous apporte plus de bonheur.
    Sinon, on est un peu maso. Ou bien on ne fait pas la différence entre 'plaisir' et 'bonheur'.

    J'aime la sagesse contenue dans cet article. ^^

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  4. Merci pour ce message résumant toute la philosophie que j'ai patiemment acquise -
    MERCI - Oui, la vie n'est qu'illusion, pour mieux nourrir notre réalité et la Source !!!
    Sans en avoir besoin, encore un témoignage qui m'indique que je suis sur le bon chemin -
    Mekhtoub,
    Bien à vous tous,
    C.E.

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