03 août 2012

Le retour du Petit Poucet


La descente a eu lieu comme prévu. Nous sommes partis comme des flèches, chacun dans sa direction. Direction ? Le mur. Et nous sommes entrés dans le mur comme dans de l’ouate, ou du beurre frais, à près de trois mille fois la vitesse de la lumière.

Et là, peu à peu tout s’est obscurci, et nous avons tous perdu le contact, comme prévu également. Plus la moindre liaison ni avec le Centre, ni entre nous. Nous avons accepté de nous retrouver isolés, comme nous avons accepté d’être privés de nos mémoires, jusqu’à ce qu’arrivés au point de non-retour, le système d’alarme se mette en marche et enclenche les mécanismes de réversion.

C’est ce qui m’est arrivé. Aucune simulation n’aurait pu me donner le goût de ce que j’ai réellement vécu dans ce monde. J’ai connu ce que nous appelons ici le désespoir. Pour une raison que je n’ai pas réussi à appréhender, certains se détruisent sans même que leur système d’alarme se soit déclenché. Peut-être qu’ils ont une mission ou un rôle différent à tenir, ou qu’ils viennent d’ailleurs et que les mécanismes sont différents. Aucune idée. Il y a ici toutes sortes de théories qui toutes se contredisent, et pour ce qui me concerne j’ai depuis longtemps rejeté toutes ces hypothèses incertaines. Je vis en fonction de mes ressentis, j’essaie parfois de les communiquer, mais sans trop d’illusion.

La descente aurait pu se terminer à la naissance du corps, lorsque l’enveloppe est expulsée du corps de la mère charnelle, biologique. Peut-être est-ce le cas pour certains. Pour moi, elle a continué une trentaine d’années, qui ont été de plus en plus difficiles, pour culminer dans une sorte de cri lancinant. Et une nuit d’été que je n’oublierai jamais, je me suis éveillé presque nu sur une pelouse que la rosée commençait à refroidir, couvert d’excréments et de vomissures, la tête vibrante d’alcool, les tripes nouées, et soudain parmi les sanglots et les spasmes, un câble a jailli de mon ventre, en dessous du nombril, et a fusé vers le ciel, à une allure vertigineuse. Ramène-moi ! ai-je hurlé en silence. Et tout s’est arrêté. Autour de moi, la noirceur étincelait. J’ai vu qu’un pas plus loin, j’aurais été absorbé, tant la pression était dense, et tant ma lumière était devenue faible, presque morte.

Je n’ai pas eu peur, et depuis je n’ai plus jamais peur. J’ai déjà vécu ça en simulation, mais c’est quand même impressionnant de parvenir aux confins. Le plan du retour m’a été donné : suivre les traces de la descente, en repassant exactement par le même chemin. C’est très difficile à expliquer, car en termes de temps chronologique, il y a des choses qui paraissent impossibles : d’abord que la descente continue (ou puisse continuer comme ça a été mon cas) au-delà de la naissance physique, et ensuite que l’existence humaine ne va pas comme tout le monde le croit du passé vers le futur, mais du futur vers le passé, tout au moins lors de la phase de retour.

Et comme certains descendent alors que d’autres remontent, on se croise sans le savoir. C’est peut-être l’une des raisons pour laquelle certains coups de foudre amoureux n’ont pas de durée. Mais c’est une théorie, et je préfère ne pas théoriser.

La mémoire revient très lentement, et plutôt par à coups, par bouffées. Je ne fais aucun effort. Ca n’a pas d’importance. Je passerai nécessairement par l’aller, donc tout reviendra en son temps. Ce qui est le plus curieux, c’est de retrouver les cailloux blancs que j’ai laissé en venant. C’est cela, le souvenir, les traces.

Bien sûr, il y a des risques, et surtout celui de se laisser prendre au décor, emberlificoter dans les ronces du chemin, les distractions, les plaisirs terrestres. C’est vraiment le risque majeur.

Le fil s’enroule et exerce une traction constante, qu’on peut appeler le désir, la vocation, l’appel, la voie, peu importe le nom, mais la traction ne suffit pas à elle seule. Nous ne sommes pas des machines, je crois que nous avons été volontaires pour descendre, ou au moins que nous l’avons accepté. Si ça signifie une plongée dans l’inconscience la plus noire, normalement le déclenchement de la remontée rend suffisamment de conscience pour ouvrir les yeux sur les risques et sur les aléas du retour. C’est un double travail : l’un tire, et l’autre regarde où il met les pieds et se dégage des embûches.

Le vrai risque, donc, c’est de choisir consciemment de ne pas remonter. J’en ai des frissons à l’écrire, mais je le connais. J’en ai fait l’expérience. La tentation est parfois forte. C’est comme une forme de torpeur qui s’installe, que les Anciens appelaient « le Chant des Sirènes ». Heureusement, dans ces moments délicats, il y a un second système d’alerte qui se met alors à vibrer ; s’il n’est pas entendu, il procure alors des situations critiques qui permettent de ne pas sombrer.

Je n’ai pas d’informations à ce sujet, mais il est possible que certains des grands malveillants qui cherchent actuellement à prendre possession de cette dimension aient choisi de couper le fil et de rester ici*. Ceux-là auraient donc débranché le système et cherché ici l’autonomie. Pourquoi pas ? Une vie d’immortel dans la matière la plus épaisse. Faut aimer.

Moi je n’ai jamais eu de doute ; mon désir est clair. Je remonte en suivant le sentier. En suivant les cailloux blancs de la Voie lactée.

Ce texte a été publié pour la 1ère fois le 17 février 2010


* en y enfermant leurs milliards d'esclaves comme autrefois on enterrait les serviteurs et les femmes avec les maîtres (ajout nécessaire du 2 août 2012). 

8 commentaires:

  1. Vieux Jade, je suis touchée par le récit que tu fais de ton parcours pour "retourner à la maison".
    Sincère, lucide et poétique à la fois.
    Bientôt, tu sera rendu là où te porte ton aspiration, en compagnie de tous ceux qui sont synchros avec toi.
    Quant aux milliards qui aspireront à continuer expérimenter la matière la plus dense, ils seront eux aussi au diapason avec eux-mêmes.

    Bonne route et sois gentil : laisse les petits cailloux blancs pour ceux qui vont traîner encore un peu en chemin...

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  2. Vieux Jade, avant de reprendre le fil avec toi, je suis obligée de m'adresser à Paul pour la première fois, en déposant armes et bagages :
    Paul, j'ai posté un commentaire ici-même, cet après-midi et j'ai bien vu et vérifié qu'il était "publié". Ô joie !
    Maintenant, il est 22h12 et le commentaire a disparu...et ce n'est pas la première fois... Pourtant les quelques pensées que je propose (rarement d'ailleurs)sont simples et respectueuses,non ?
    Donc Paul, expliquez-moi pourquoi après être publiée, je disparais illico. Parce que c'est exactement l'effet que ça me fait. Que voulez-vous, il me reste encore un embryon d'ego, si vous voyez ce que je veux dire.

    Bon,tout cela est dommage, car lorsque Vieux Jade intervient, c'est toujours pour partager une expérience personnelle qui peut avoir une portée universelle. Les mots et les cheminements sont les siens et pas ceux récupérés sur le net ; même si tout ce que vous présentez sur le blog par ailleurs, m'intéresse beaucoup.

    Bon, Paul, vous pouvez me répondre ?

    Vieux Jade, je reviens en essayant de retrouver à peu près la spontanéité du post envoyé cet après-midi.

    Je disais que j'étais émue (et je le suis toujours) par le récit que tu as écrit sur le cheminement terrestre qui est le tien en vue de "rentrer à la maison".

    Je notais la sincérité,la lucidité et la poésie de ton écrit.

    Je disais que tu irais joyeusement là où te porte ton aspiration (vibration ?).

    Je disais aussi que les milliards d'êtres qui choisirons de continuer à expérimenter la matière lourde, seront de toute façon, eux aussi, en harmonie avec leur propre aspiration (vibration ?).

    Je terminais par ceci : bonne route Vieux Jade et sois gentil : laisse les cailloux blancs(qu'ils soient offerts par la voie lactée ou tes paroles)pour ceux qui rament ou qui vont traîner encore un peu en chemin...

    Encore merci Vieux Jade de partager la beauté qui t'habite.
    Encore merci Paul, de la laisser s'écouler,d'où qu'elle vienne.

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    1. Effectivement vos commentaires ont été placés automatiquement dans le répertoire SPAM du blog par Blogspot. Je les réintègre donc illico. Il n'est pas rare que cela arrive, sans que j'y sois pour quoi que ce soit. Je pense que Blogspot scanne les commentaires publiés automatiquement et les retire de son propre chef. Je n'ai toujours pas compris pourquoi, peut-être êtes-vous déclaré comme spam sur d'autre blog Blogspot ?
      De temps en temps il y a même des commentaires qui disparaissent purement et simplement ! Big brother ???
      En tous cas merci de me signaler ce genre d'anomalie. Je vais creuser le sujet.

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    2. Merci Paul de m'avoir sortie du néant ! Si un scanner est capable de retirer de "son propre chef" des commentaires, il y du souci à se faire... Mais peut-être que ma tête ne plaît pas à Big brother, qui sait ?
      En tout cas, à partir de ce jour, je compte sur vous pour aller repêcher tous ceux qui auront été engloutis dans la boîte à SPAM !
      Encore merci.

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    3. Paul, ma réponse à votre réponse a encore disparu...
      J'en profite, avant de repartir dans la poubelle que je n'interviens que sur votre blog ; donc je ne vois pas où je pourrais être déclarée comme SPAM.
      Bah ! C'est juste une histoire d'incompatibilité webesque !

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  3. Bonjour. Nombreuses, je crois, sont les personnes que le "réel" laisse sur leur faim. Ce que la société propose/impose est archaïque et d'une grossièreté sans borne. Une fois fait le tour des pulsions de base, on se demande à quoi sert la vie si c'est pour vivre comme un tube. Soit on sert à quelqu'un d'autre (on est du bétail), soit on a quelque chose d'autre à faire (quoi?), soit il y a une erreur, et alors, comment sortir ?
    Peut-être que tout cela est vrai dans des proportions diverses. Certains sont purement bétail, d'autres parmi eux "ne sont pas de ce monde", qui est une prison et une école, peut-être...Bien des peut-être, pour lesquels je n'ai pas de réponse.
    Alors je cherche, j'ouvre les yeux, je regarde des choses qui se passent sur l'écran dehors, d'autres qui arrivent en moi, et je le raconte. En le faisant, parfois ça prend une sorte de cohérence, un palier, qui débouche sur de nouvelles questions, incertitudes, peut-être...
    La vie est un labyrinthe. Certains la maudissent, d'autres cherchent à en profiter. Moi, je cherche la sortie, oui. Est-on toujours le même, à la sortie ?

    Des cailloux blancs, on en a tous laissé au départ, on devrait les retrouver en remontant. A condition d'ouvrir les yeux.

    Et, oui, il y a ceux qu'on laissés d'autres voyageurs avant nous.

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    1. Oui, "les yeux", une question de regard.
      Pas celui déterminé par les yeux physiques qui se posent sur ce monde dont je peux "sentir" qu'il n'est pas le mien ?
      Peut-être alors que ce regard est plutôt intérieur, comme une conscience que TOUS les cailloux blancs sont en moi, que le Centre est ici même.
      Qu'il n'y pas les autres et moi, mais que je suis tous les autres et qu'ils sont tous moi.
      Et si je me laisse aller, sans plus rien faire, ni dire, ni penser tout en étant présente sur cette terre, alors je vais sans doute retrouver cette maison... que je n'ai en réalité jamais quittée.
      Alors, je ne cherche plus, parce que c'est là et nulle part ailleurs.

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    2. Vieux Jade, que les choses peuvent prendre un tour vraiment humoristiques !
      Je viens de publier quelques propos à la suite de ton message et hop ! il a à nouveau disparu.
      Peut-être que Paul pourra retrouver tout ça dans la poubelle et le republier ?
      Mais pour le moment j'arrête d'intervenir sur le site, car j'ai l'impression de radoter avec tous ces décalages et !!!
      Peut-être à une autre fois ?

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