Les lois « antiterroristes » imposées par les États-Unis ont servi à
jeter les bases sur lesquelles se construit un nouvel ordre de droit,
observe le sociologue belge Jean-Claude Paye. Elles s’appliquent
désormais dans tous les États européens. Tout citoyen européen ordinaire
peut, aujourd’hui, être surveillé dans son propre pays par des services
secrets étrangers, être désigné comme un « ennemi combattant », être
remis aux tortionnaires de la CIA et être jugé par des commissions
militaires états-uniennes.
Silvia Cattori : En lisant vos deux ouvrages La fin de l’État de droit. La lutte antiterroriste : de l’état d’exception à la dictature et Global War on Liberty [1] on comprend une chose que les responsables politiques veulent nous cacher : que toutes les mesures prises dans le cadre du Patriot Act [2] —présentées
comme devant concerner des organisations terroristes— ont été
généralisées et touchent désormais l’ensemble des citoyens. On peine à
comprendre comment les États européens ont pu approuver l’abandon de
leur ordre légal et soumettre leurs sociétés à ces lois d’exception ?
Jean-Claude Paye : Il n’y a rien en effet dans les
accords européens d’extradition, signés en 2003, qui empêche les
citoyens européens d’êtres traînés devant les juridictions d’exception
des États-Unis. Il faut savoir que ces accords, qui légitiment ces
Tribunaux d’exception, sont le résultat d’années de négociations
secrètes. Ils ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Une partie du
texte concernant ces accords a été rendue visible parce qu’elle devait
être ratifiée par le Congrès des États-Unis.
Du côté européen, il n’était pas nécessaire de les faire ratifier par
le Parlement européen et les Parlements des États membres n’ont eu
aucune possibilité d’influer sur le contenu des accords. Ce sont de
simples fonctionnaires mandatés par les divers États membres qui
négocient au niveau européen.
Silvia Cattori : Mais, en signant ces accords, le
Conseil européen a précipité nos pays dans un univers kafkaïen ! Si ces
accords n’ont pas été ratifiés par le Parlement européen pourquoi les
avoir acceptés ?
Jean-Claude Paye : Ils n’ont pas été ratifiés —le
Parlement européen a seulement un avis consultatif— mais ils ont force
de loi. C’est très révélateur de la structure impériale mise en place.
On peut voir que la seule structure étatique souveraine qui subsiste, ce
sont les États-Unis. L’Union européenne, par exemple, est une structure
tout à fait éclatée.
Silvia Cattori : À quel niveau cette négociation a-t-elle lieu ?
Jean-Claude Paye : Au niveau des représentants du
Conseil européen. Ce sont des fonctionnaires qui ne doivent quasiment
pas rendre de comptes. Ce sont les délégués permanents en charge des
affaires de police et justice, désignés par les États membres. Ce sont
des fonctionnaires européens ou nationaux qui deviennent des satellites
de l’Administration des États-Unis. Cela est valable au plan judiciaire,
mais aussi au plan économique.
Silvia Cattori : L’Union européenne n’est donc pas intéressée à protéger ses citoyens. Tout lui échappe ?
Jean-Claude Paye : Oui, évidemment. On l’a
construite de façon à ce que tout lui échappe. Cela montre que l’Union
européenne n’est pas une alternative à la puissance des États-Unis. Au
contraire, elle est intégrée dans cette puissance impériale, elle en est
un simple relais [3]
Avant le 11 septembre 2001 les États-Unis négociaient de façon
bilatérale. À l’époque, ils hésitaient à négocier avec une entité comme
l’Europe des quinze car il y avait toujours un État membre qui n’était
pas d’accord. Avec les attentats du 11 septembre, les choses se sont
accélérées et simplifiées pour les États-Unis. Ils continuent de
négocier des accords bilatéraux mais, maintenant, ils traitent aussi
directement avec l’Union européenne parce qu’ils ont le rapport de force
nécessaire pour que leurs demandes soient d’emblée acceptées. On l’a vu
lors des accords concernant les données de surveillance des passages
aériens. Un premier accord avait été signé en 2004, puis un second en
2006 et un troisième en 2007. À chaque fois, les États-Unis ont augmenté
leurs exigences.
L’accord sur les données concernant les voyageurs qui se rendent aux
États-Unis —entré en vigueur le 29 juillet 2007— est un bel exemple.
Dans cet accord, les Européens ont vidé de leur substance toutes les
protections légales, nationales et européennes, qui existent en matière
de données personnelles. Celles-ci sont accessibles 72 heures avant
l’embarquement. Les compagnies aériennes doivent transmettre le numéro
des cartes bancaires, le trajet que vous ferez aux États-Unis. Ces
derniers ont le droit d’empêcher l’accès au territoire, ils ont tous les
droits. Les citoyens étrangers ne sont pas protégés par les lois des
États-Unis. Lors des négociations, Washington a concédé que les
Européens seraient traités comme les citoyens des États-Unis, mais il
s’agit là d’un privilège concédé par l’administration, qui n’a pas force
de loi et sur lequel le pouvoir exécutif peut revenir.
Silvia Cattori : Plus rien ne s’oppose à la mise en place d’un système policier ?
Jean-Claude Paye : Évidemment ! Les gouvernements
européens veulent réaliser la même prise en main de nos libertés. Les
exigences des États-Unis leur en donnent l’occasion. Ils vous disent :
« Nous sommes obligés d’accepter les demandes des États-Unis car les
compagnies européennes ne pourront plus atterrir là bas ». Ils agissent
comme si les États européens n’avaient aucun moyen de rétorsion et ne
pouvaient pas, à leur tour, interdire aux compagnies US d’atterrir en
Europe. En fait, ils veulent faire la même chose que l’administration
états-unienne. Il y a déjà le projet d’instaurer des échanges
d’information similaires au niveau européen.
Silvia Cattori : En Grande-Bretagne, les lois
« antiterroristes » permettent de poursuivre toute personne tenant des
propos considérés comme susceptibles de « créer une atmosphère favorable
au terrorisme ». Ces lois peuvent-elles également s’étendre à d’autres
États ?
Jean-Claude Paye : Oui. En Grande-Bretagne, le
gouvernement Blair a pu criminaliser toute forme d’opposition radicale à
sa politique étrangère par le biais de la loi. Sur le continent, les
États cherchent à agir par le biais de la jurisprudence. Il y a eu un
procès fort intéressant concernant des militants et sympathisants du
DHKPC en Belgique, une organisation d’opposition radicale turque [4],
qui montre comment le pouvoir cherche à créer des tribunaux d’exception
pour faire passer une jurisprudence d’exception. Par la création de ces
tribunaux le pouvoir cherche à criminaliser toute forme de soutien,
même verbal, à des groupes labellisés comme « terroristes » par les
États-Unis, inscrits ensuite dans la liste européenne des organisations
« terroristes ».
Silvia Cattori : En somme, ces lois
« antiterroristes » mises en place après les attentats du 11 septembre
2001, servent non seulement les desseins de l’administration Bush, mais
aussi ceux des gouvernements européens ?
Jean-Claude Paye : Les mesures dont nous parlons ont été mises en place avant le 11 septembre 2001. Le Patriot Act réunit un ensemble de mesures qui existaient déjà partiellement. Le but du Patriot Act
n’était pas uniquement d’imposer les mesures prises, mais de leur
donner une légitimité. Ce qui était parcellaire, dispersé, est
maintenant rassemblé en une seule loi. Ce qui donne une légitimité aux
mesures qui sont prises.
Silvia Cattori : Peut-on en déduire que les
États-Unis avaient besoin d’un grand attentat pour faire passer en force
cette modification du droit pénal ?
Jean-Claude Paye : Bien évidemment ! Il faut savoir que le Patriot Act,
qui a été déposé trois jours après les attentats, comprend 128 pages.
Le système pénal des États-Unis est complexe, il fonctionne par renvois.
Cela veut dire qu’une loi modifie le contenu d’autres lois pénales. Si
on prend l’ensemble des modifications, cela correspond à 350 pages. Il
faut au moins un an pour rédiger un tel texte.
Au niveau de l’Union européenne, ce n’est pas moins caricatural. Les
deux décisions cadre —celle relative aux organisations « terroristes »
et celle relative au mandat d’arrêt européen— ont été déposées une
semaine après les attentats. Là aussi il s’agit de textes qui étaient
prêts. On attendait une occasion pour les faire passer.
Silvia Cattori : Ce qui veut dire que M. Bush
depuis 2001, M. Sarkozy maintenant, peuvent se servir de ces procédures
d’exception pour transformer en ennemis qui ils veulent ?
Jean-Claude Paye : Au moment où ces textes ont été
adoptés, on avait déjà une bonne idée de ce à quoi ils pouvaient
conduire. La liste des réseaux « terroristes » vient de l’Union
européenne. C’est un règlement européen de 2001 qui la met en place.
Dans mon livre La fin de l’État de droit, je prends le cas d’un
communiste philippin, José Maria Sison, un réfugié politique reconnu qui
avait obtenu l’asile politique aux Pays-Bas. Inscrit sur la liste
« terroriste » des États-Unis, son nom a été ensuite transcrit sur la
liste « terroriste » hollandaise. M. Sison a appris qu’il était inscrit
sur la liste « terroriste », quand on a bloqué ses comptes et qu’on l’a
expulsé du logement social qu’on lui avait attribué. Il a été par la
suite retiré de la liste hollandaise mais comme, entre temps, il avait
été inscrit sur la liste européenne du Conseil, le gouvernement
hollandais s’est servi du prétexte que M. Sison figurait sur la liste
« terroriste » européenne, pour maintenir les dispositions qu’il ne
pouvait pas justifier.
Ce qui est intéressant dans ce cas, c’est que, le 11 juillet 2007, la
Cour européenne de Luxembourg a cassé la décision du Conseil européen.
Elle a stipulé qu’il n’y avait pas de raison d’inscrire M. Sison sur la
liste « terrorisme » du Conseil qui permet le blocage des comptes. Le
jugement stipule bien que c’est l’absence de « motifs pertinents » et le
non-respect des droits de la défense qui ont fait que la décision du
Conseil européen a été cassée.
Cependant, le 28 août, M. Sison a été une nouvelle fois arrêté par la
police hollandaise, en violation de la décision de la Cour de justice.
Ce cas est significatif des rapports qu’il y a aujourd’hui entre la
Justice —qui est la dernière institution de résistance à la
concentration des pouvoirs aux mains de l’exécutif— et la police. Cela
montre que la police fait ce qu’elle veut, en violant les décisions de
justice.
Silvia Cattori : Il semblerait que la première
transcription sur la liste « terroriste » française des décrets
promulgués récemment par M. George Bush, qui criminalisent les
organisations et individus s’opposant à la politique actuelle en Irak et
au Liban, a commencé. Une liste de noms pourrait être prochainement
publiée conjointement par la France et les États-Unis. Quand le
dispositif législatif relatif au blanchiment fut voté en janvier 2006
par le Parlement en France [5], personne ne s’est douté qu’il servirait à frapper des opposants politiques ?
Jean-Claude Paye : Dans chaque pays, il y a une
liste interne des organisations « terroristes ». Généralement, il s’agit
de la simple transcription de la liste du Conseil européen, à laquelle
il est ajouté des éléments complémentaires.
Je l’apprends en ce qui concerne le Liban. Il semble ici qu’on a
ajouté des éléments complémentaires sur les éléments d’opposition
politique au Liban. Il serait intéressant de savoir si ces éléments vont
être intégrés dans la liste du Conseil européen.
Ce n’est pas un Tribunal qui déclare qu’un tel est « terroriste » ;
c’est une simple autorité administrative qui vous inscrit, sans qu’il y
ait aucune explication justifiant de vous mettre sur cette liste
« terroriste ».
Silvia Cattori : Qu’est-ce que tout cela vous inspire ?
Jean-Claude Paye : Cela montre que presque tous les
pouvoirs sont actuellement concentrés entre les mains de l’exécutif. Que
l’exécutif a maintenant des pouvoirs judiciaires. C’est le pouvoir
exécutif qui décide que l’on peut prendre telle ou telle mesure à votre
égard.
L’exemple touchant l’opposition au Liban et l’exemple de José Maria
Sison, sont exactement la même chose. Il s’agit de décisions sans
motivations. Sauf, qu’avec le Liban, il y a une extension, puisqu’il ne
suffit pas d’être membre d’une organisation qui est désignée comme
« terroriste » pour être incriminé, mais d’avoir simplement des contacts
avec ses membres. C’est une tendance générale qui prévaut au niveau de
l’application des législations « antiterroristes ».
Silvia Cattori : Donc, le but du Patriot Act et des autres lois « antiterroristes », est celui de s’attaquer aux libertés fondamentales ?
Jean-Claude Paye : Oui, l’objectif est de supprimer les libertés fondamentales.
Silvia Cattori : On aurait pu s’attendre à ce que
toutes les forces politiques dénoncent ces normes d’exception. La
gauche, qui se présente comme défenseur de la justice sociale, ne
devrait-elle pas se mobiliser, exiger que l’on revienne tout de suite à
l’État de droit ?
Jean-Claude Paye : La Gauche ? Quelle gauche ?
Regardez aux États-Unis. Les démocrates votent les lois les plus
liberticides élaborées par le Parti républicain. Le Military Commission Act,
adopté en 2006, a été voté également par une partie du Parti démocrate
qui, pourtant, est majoritaire à la Chambre et avait la possibilité
d’empêcher cette loi de passer.
Chez nous, c’est la même chose. On ne voit pas la différence avec la
droite quand la gauche est au pouvoir, mise à part une accélération,
comme c’est le cas avec le président Sarkozy. Par exemple, en France,
les premières mesures de surveillance du net, des mesures de
surveillance globale, ont été mises en place par le gouvernement de
Lionel Jospin.
Le seul appareil qui manifeste une petite résistance est l’appareil
judiciaire. Aux États-Unis, il y a des arrêtés pris par l’exécutif qui
sont cassés. Par exemple, quand la Cour de cassation en Belgique casse
pour vice de forme le jugement en appel des militants du DHKCP, c’est
une résistance à l’appareil judiciaire. Le problème est qu’il n’y aucun
relais dans la société civile. Cette absence de relais s’ajoute au
silence des médias. On ne peut pas espérer d’une institution isolée
qu’elle puisse mener longtemps la résistance.
Silvia Cattori : Mais c’est une attaque contre la
liberté d’opinion qui s’étend au monde entier. Il est donc capital que
les partis politiques se préoccupent de ces dérives et que les citoyens
sachent que ces nouvelles lois permettent, sur la base d’un simple
soupçon, de maintenir n’importe qui en prison sans inculpation et sans
procès, que plus personne n’est protégé par la loi, qu’il s’agit d’un
arbitraire total ! Comment expliquer que, dans les Forum sociaux, les
alter mondialistes, les responsables d’Attac, ne mettent pas ces
questions au centre du débat ?
Jean-Claude Paye : Ils n’en parlent pas. Ils ne
veulent pas en parler. Cela touche aux problèmes fondamentaux. Ils ne
veulent pas parler de ces problèmes car ils devraient affronter
directement le pouvoir. Ces préoccupations sont secondaires pour eux.
Elles ne font pas non plus partie du programme d’Attac. Ils parlent de
la taxe Tobin, de choses périphériques. On est dans une société
psychotique, une société du non affrontement.
Ce ne sont jamais les partis qui gouvernent qui protègent les
citoyens. Chaque fois que les partis ont fait passer des mesures
favorables aux citoyens, c’est parce qu’il y avait un rapport de force
qui les y a obligés. La démocratie se conquiert chaque jour, elle n’est
jamais octroyée.
Si vous étudiez et expliquez ces lois « antiterroristes » là, vous
dévoilez exactement la nature du pouvoir. Vous ne pouvez plus parler de
pouvoir démocratique, vous voyez une société qui est déjà en marche vers
la dictature. Vous voyez que chaque nouvelle mesure prise est pire que
la précédente. Les choses sont très claires. Mais on se refuse à les
voir comme elles sont.
Le problème fondamental n’est pas que le pouvoir se transforme en
dictature, car, comme l’histoire le montre, un pouvoir incontrôlable se
transforme toujours en dictature. Le problème fondamental de notre
époque est l’abdication des gens devant ce processus. Et cela est un
phénomène assez nouveau. Les gens abandonnent au pouvoir et à la machine
économique leurs libertés ; et à terme, vu les problèmes
environnementaux et climatiques, leur survie en tant qu’espèce vivante.
Silvia Cattori : Depuis quand aviez-vous
pressenti que les choses allaient évoluer dans ce sens, et que des gens
qui critiquent le système politique et médiatique allaient être
interdits de parole ?
Jean-Claude Paye : Dès la fin des années 90. Déjà à
cette époque, on voyait se mettre en place cet État policier. Mais les
lois mises en place à l’époque semblent presque démocratiques par
rapport à ce que nous voyons aujourd’hui. Le processus connaît une forte
accélération.
Silvia Cattori : Cela signifie que l’Autorité
exécutive des États-Unis s’attaque directement aux droits fondamentaux
des citoyens du monde entier, dont ceux de l’Union européenne !?
Jean-Claude Paye : Oui évidemment ! Mais il ne
s’agit pas seulement de l’exécutif états-unien, mais l’ensemble des
exécutifs de la planète entre lesquels il y a une vraie solidarité
contre leurs populations. Les prisons secrètes de la CIA sont un bon
exemple de ce processus [6].
Au niveau européen, des administrations ont directement été intégrées
dans cette organisation de la torture. Dans le meilleur des cas, tout ce
que l’on a pu obtenir des gouvernements européens est qu’ils se
comportent comme les trois petits singes : aveugles, sourds et muets [7].
Silvia Cattori : Que va-t-il advenir à ceux qui sont inscrits sur ces listes « terroristes », qui, elles, demeurent secrètes ?
Jean-Claude Paye : Les listes « terroristes » ne
sont pas toutes secrètes. Au niveau européen, seule la liste « Europol »
est secrète. Elle permet de prendre des mesures de surveillance et la
mise en œuvre de techniques spéciales de surveillance et de recherches
secrètes à propos de personnes désignées comme « terroristes » [8].
La liste du Conseil européen permet de prendre des mesures
financières, tel le blocage des comptes bancaires. Tous ces éléments
vont être utilisés si le rapport de force est favorable au pouvoir en
place. La première chose à faire est de révéler ce qui se passe, de
diffuser le maximum d’informations et de faire en sorte que ces listes
soient connues.
Silvia Cattori : Cela ne vous suggère aucune analogie ?
Jean-Claude Paye : Oui, le climat des années trente.
Mais, actuellement, il se met en place une dictature mondiale. Une
espèce de « meilleur des monde » et non un simple processus de
« fascisation ».
Silvia Cattori : Depuis 2001, on kidnappe des
gens, on torture des prétendus « terroristes » d’origine arabe et de
confession musulmane. Doit-on s’attendre à ce que, demain, on punisse
ceux qui dénoncent ces abus ?
Jean-Claude Paye : L’empire a besoin d’ennemis. Il créé, il invente ses propres ennemis.
La première chose à faire est de montrer ce qui est caché [9].
Il y a tant de lois permettant de faire n’importe quoi, n’importe
quand ! Mais cela se fait en fonction de la résistance immédiate des
intéressés. Auparavant, il y avait un cadre législatif qui nous
protégeait. Maintenant, ils peuvent faire n’importe quoi si ils ont la
capacité de l’imposer. Aujourd’hui, les choses reposent sur un pur
rapport de force.
Silvia Cattori : M. Dick Marty [10], mandaté par le Conseil de l’Europe, pourra-t-il obtenir de l’Union européenne qu’elle annule ces listes illégales ?
Jean-Claude Paye : Le rapport que M. Dick Marty a
rédigé est très important ! Son rapport fait tache, il s’oppose à la
ligne politique des gouvernements européens. Mais, dans les faits,
M. Marty n’a aucun pouvoir ; son rapport n’a rien pu changer car il est à
contre courant. Ce rapport est cependant essentiel.
Silvia Cattori : Ces politiques qui nous parlent de justice et de liberté, c’est du vent ?
Jean-Claude Paye : Il faut être lucides, montrer les
choses telles qu’elles sont. Ceux qui font des critiques en se limitant
à dire : « Oui il faut des lois antiterroristes, c’est nécessaire de
lutter contre le terrorisme, mais il faut éviter les abus » ne font que
légitimer le point de vue du pouvoir. Il faut montrer que les lois, qui
ont pour but déclaré de lutter contre le « terrorisme », sont en fait
des lois contre les populations.
La dernière loi promulguée aux États-Unis, le Military Commission Act, est une loi constitutionnelle de portée mondiale, comme je le démontre dans mon dernier livre Global war on Liberty.
Le président des États-Unis a la possibilité de désigner comme ennemi
tout citoyen états-unien ou tout ressortissant d’un pays avec lequel les
USA ne sont pas en guerre. La gestion des populations, citoyens
états-uniens compris, devient un acte de guerre et non plus seulement
une action de police.
Prenons l’exemple de l’Accord Swift. Swift est une agence
belge qui s’occupe des transferts financiers internationaux. Swift a
transmis, depuis 2001, toutes les informations sur les transactions de
ses clients en violant, non seulement la législation belge, mais la
législation européenne [11]. C’est le droit des États-Unis qui s’applique en Europe.
Tout ce qui est dit par l’administration états-unienne est du domaine
de la foi. La thèse gouvernementale sur les attentats du 11 septembre,
personne ne peut rationnellement la croire. Le rapport de la Commission
n’indique même pas qu’une troisième tour s’est effondrée. C’est un
rapport psychotique dans lequel le discours du maître se substitue aux
faits eux-mêmes. Un récent sondage Zogby montre que la majorité des
États-uniens souhaite la réouverture de l’enquête [12]. Alors qu’en Europe, le simple fait de poser des questions est stigmatisé.
Silvia Cattori : Quel mécanisme reste-t-il pour exiger le retour à un État de droit ?
Jean-Claude Paye : Il faut mettre les choses à plat. Parler clairement. Montrer les enjeux. Cela dépend de la capacité de résistance des gens.
La lutte « antiterroriste » est en fait une guerre contre les
libertés. Cette guerre contre les libertés est la première étape d’une
guerre contre les populations. Et le Military Commission Act est
une loi pénale qui a un caractère mondial, et qui, en fait, est un acte
d’une souveraineté impériale. C’est une loi qui confond rapport de
police et rapport de guerre. C’est la mise en place d’une nouvelle forme
d’État mondial qui, en intégrant fonctions de police et de guerre,
lutte contre ses propres populations
Chose importante, cette loi s’applique au niveau mondial, elle donne
la possibilité aux États-Unis, non seulement d’enlever, mais, surtout
de se faire remettre n’importe quel citoyen dans le monde, c’est-à-dire
des gens qu’ils ont qualifiés d’« ennemis combattants ».
Les accords européens d’extradition avec les États-Unis ne s’opposent
pas à ce que les gens désignés comme « ennemis combattants » puissent
être transférés aux États-Unis. C’est donc une loi qui a une portée
mondiale. C’est un Acte constitif de l’Empire.
Actuellement, c’est le droit pénal qui est constituant. Ceci a déjà
existé dans l’histoire de nos sociétés. Le droit pénal exerce un rôle
constitutant dans les périodes de transition (par exemple, au début du
capitalisme le droit pénal a été dominant).
Si le droit pénal est actuellement dominant, c’est qu’il se prépare
une nouvelle forme de droit de propriété. Ce que l’on pourrait appeler
la fin de « la propriété de soi ». L’ensemble de nos données
personnelles ne nous appartiennent plus. Elles appartiennent à l’État,
mais également aux firmes privées. La domination du droit pénal prépare
la mise en place de ce futur droit privé.
Silvia Cattori : Les gens pensent généralement que ces mesures ne touchent que des individus précis ?
Jean-Claude Paye : Elles touchent tout le monde.
Elles touchent toute forme de résistance. Un « terroriste » c’est devenu
quelqu’un qui ne veut pas abandonner ses libertés au pouvoir, quelqu’un
qui veut vivre.
Silvia Cattori : Depuis cet été, les États-Unis considèrent comme suspects de « terrorisme » les opposants à leur politique en Irak et au Liban [13]. Le directeur de l’agence de presse libanaise New Orient News, membre
du Réseau Voltaire, y figure déjà. L’administration Bush aurait demandé
au cabinet Sarkozy, de transcrire en droit français les nouvelles
listes d’opposants politiques et d’y faire figurer le journaliste
Thierry Meyssan, déjà personna non grata sur le territoire des États-Unis. Cela vous étonne-t-il ?
Jean-Claude Paye : Je n’étais pas au courant de la
demande concrète de M. Bush relative à Thierry Meyssan. Mais c’est un
contexte de pur rapport de force à un moment déterminé. Quand on songe à
l’hystérie que des soi-disant « intellectuels » français ont
développée, et aux attaques que Thierry Meyssan a subies en France
depuis la sortie de son livre sur les attentats du 11 septembre [14] qui osait poser les questions qu’il fallait se poser, rien ne peut plus vous étonner.
Mon travail montre, que les dispositions « antiterroristes » ont pour
objet de s’attaquer aux opposants politiques ainsi qu’aux populations
et pas seulement aux « islamistes ». On ne peut donc pas être
fondamentalement surpris, si cela se vérifie, d’une éventuelle
inscription de Thierry Meyssan sur les listes « terroristes ».
Cependant, cela indiquerait que nous avons franchi une nouvelle étape
dans la criminalisation de la parole d’opposition. Cela indiquerait que
le pouvoir se sentirait parfaitement à l’aise, en mettant au grand jour
des objectifs qu’il a toujours niés jusqu’à présent.
Qui peut croire la thèse gouvernementale des attentats du 11
septembre ? Qui peut croire qu’une tour touchée par un avion tombe de
façon contrôlée ? Le problème est que les États-Unis donnent tous les
renseignements qui permettent de remettre en cause leur thèse, et les
gens font semblant de croire. Nous sommes dans un mécanisme pervers,
dans lequel l’individu, pour ne pas affronter le Réel, fait semblant de
croire l’invraisemblable.
Silvia Cattori : Alors même que Thierry Meyssan a
révélé des faits qu’il eut fallu prendre au sérieux, curieusement, les
journalistes en général l’ont esquinté.
Jean-Claude Paye : À qui appartiennent ces journaux
qui ont diffamé Thierry Meyssan ? Ces « journalistes » sont des gens qui
recopient ce qu’on leur dit de dire. Connaissez-vous beaucoup de
journalistes « officiels » qui vérifient leurs sources et qui font un
travail d’investigation sérieux ?
Silvia Cattori : Vos livres sont importants pour tous ceux qui défendent les libertés.
Jean-Claude Paye : J’ai écrit ces livres parce que
je crois qu’il était nécessaire de le faire. Quand j’ai vu ces lois
passer en Belgique et partout dans le monde, tout allait dans le même
sens. Il fallait faire ressortir cette cohérence. Il y a peu de gens qui
font ce travail. Je suis quasiment le seul à travailler de manière
globale. Toutes ces données ne sont pas rassemblées. Je dois les
collecter, faire le travail des juristes et en même temps mon travail de
sociologue, de pouvoir penser la nouvelle forme d’organisation du
pouvoir. Mes travaux prennent en compte les deux côtés de l’Atlantique.
Ils étudient non seulement les lois anti-terroristes mais toutes les
lois de contrôle social. Cela forme un tout.
Jean-Claude Paye et son ouvrage « La fin de l’État de droit » (Éditions de La Dispute, 2004. Son second ouvrage : « The Global War on Liberty », Telos Press Publishing, 2007)
L'Histoire du XX° siècle a montré que la soi-disant lutte contre le "terrorisme intérieur" a servi à édifier les pires dictatures criminelles.
RépondreSupprimerLe dictateur Adolf Hitler (possible bâtard illégitime d'un baron Rothschild) quelques semaines après son élection en tant que "chancelier" fit commettre l'incendie du Reichstag, ce qui permit d'accuser de terrorisme les communistes et d'imposer des lois anti-terroristes et la dictature Nazie.
Chez les Soviétiques (rappelons que Lénine, Trotsky... furent financés et protégés par les banquiers Sionistes Américains) utilisèrent aussi le motif du terrorisme intérieur (au départ, les "russes blancs", puis les paysans dits riches, dé-koulakisés ce qui occasionna des famines épouvantables dans les années 20 (Holodomor) puis ultérieurement la folie furieuse du Stalinisme, les exécutions de masse dans l'armée, les camps de concentration décrits notamment par Soljenitsyne etc.
Au XXI°siècle, l'Elite sataniste "néo-conservatrice", des Nazis en réalité, a ré-inveté le bon vieux truc qui marche, la "guerre au terrorisme" et la dictature est imminente aux E-U avec les dernières lois liberticides entrées en vigueur en 2012. La loi NDAA considère, en effet, le territoire des E-U comme "Zone de guerre", et tout opposant peut être qualifié de terroriste, arrêté et emprisonné, ou simplement 'exécuté' lors de son arrestation, sans qu'il y ait inculpation.
L'histoire bégaie donc...ou plutôt, les "bonnes vieilles méthodes" utilisées avec succès par les psychopathes criminels (nos Reptiles) pour détruire l'humanité sont ré-actualisées et perfectionnées sans cesse.
Le progrès de l'informatique et de la technologie est hélas, terriblement menaçant pour notre survie.
merci pour cet article j'en ai beaucoup appris.
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