Interview au Monde
En mars 1972, répondant à une commande d’un think tank basé à Zurich (Suisse) – le Club de Rome -, des chercheurs du Massachusetts Institute of Technology (MIT) publiaient The Limits to Growth, un rapport modélisant les conséquences possibles du maintien de la croissance économique sur le long terme. De passage à Paris , mercredi 23 mai, à l’occasion de la publication en français de la dernière édition de ce texte qui fait date (Les Limites à la croissance, Rue de l’Echiquier, coll. “Inital(e)s DD”, 408 p., 25 euros), son premier auteur, le physicien américain Dennis Meadows, 69 ans, a répondu aux questions du Monde.
En mars 1972, répondant à une commande d’un think tank basé à Zurich (Suisse) – le Club de Rome -, des chercheurs du Massachusetts Institute of Technology (MIT) publiaient The Limits to Growth, un rapport modélisant les conséquences possibles du maintien de la croissance économique sur le long terme. De passage à Paris , mercredi 23 mai, à l’occasion de la publication en français de la dernière édition de ce texte qui fait date (Les Limites à la croissance, Rue de l’Echiquier, coll. “Inital(e)s DD”, 408 p., 25 euros), son premier auteur, le physicien américain Dennis Meadows, 69 ans, a répondu aux questions du Monde.
Quel bilan tirez-vous, quarante ans après la publication du rapport de 1972 ?
D’abord, le titre n’était pas bon. La vraie question n’est pas en
réalité les limites à la croissance, mais la dynamique de la croissance.
Car tout scientifique comprend qu’il y a des limites physiques à la
croissance de la population, de la consommation énergétique, du PIB,
etc. Les questions intéressantes sont plutôt de savoir ce qui cause
cette croissance et quelles seront les conséquences de sa rencontre avec
les limites physiques du système.
Pourtant, l’idée commune est, aujourd’hui encore, qu’il n’y a pas de limites. Et lorsque vous démontrez qu’il y en a, on vous répond généralement que ce n’est pas grave parce que l’on s’approchera de cette limite de manière ordonnée et tranquille pour s’arrêter en douceur grâce aux lois du marché. Ce que nous démontrions en 1972, et qui reste valable quarante ans plus tard, est que cela n’est pas possible : le franchissement des limites physiques du système conduit à un effondrement.
Pourtant, l’idée commune est, aujourd’hui encore, qu’il n’y a pas de limites. Et lorsque vous démontrez qu’il y en a, on vous répond généralement que ce n’est pas grave parce que l’on s’approchera de cette limite de manière ordonnée et tranquille pour s’arrêter en douceur grâce aux lois du marché. Ce que nous démontrions en 1972, et qui reste valable quarante ans plus tard, est que cela n’est pas possible : le franchissement des limites physiques du système conduit à un effondrement.
Avec la crise financière, on voit le même mécanisme de franchissement
d’une limite, celle de l’endettement : on voit que les choses ne se
passent pas tranquillement.
Qu’entendez-vous par effondrement ?
La réponse technique est qu’un effondrement est un processus qui
implique ce que l’on appelle une “boucle de rétroaction positive”,
c’est-à-dire un phénomène qui renforce ce qui le provoque. Par exemple,
regardez ce qui se passe en Grèce : la population perd sa confiance dans
la monnaie. Donc elle retire ses fonds de ses banques. Donc les banques
sont fragilisées. Donc les gens retirent encore plus leur argent des
banques, etc. Ce genre de processus mène à l’effondrement.
On peut aussi faire une réponse non technique : l’effondrement
caractérise une société qui devient de moins en moins capable de
satisfaire les besoins élémentaires : nourriture, santé, éducation,
sécurité.
Voit-on des signes tangibles de cet effondrement ?
Certains pays sont déjà dans cette situation, comme la Somalie par
exemple. De même, le “printemps arabe”, qui a été présenté un peu
partout comme une solution à des problèmes, n’est en réalité que le
symptôme de problèmes qui n’ont jamais été résolus. Ces pays manquent
d’eau, ils doivent importer leur nourriture, leur énergie, tout cela
avec une population qui augmente. D’autres pays, comme les Etats-Unis,
sont moins proches de l’effondrement, mais sont sur cette voie.
La croissance mondiale va donc inéluctablement s’arrêter ?
La croissance va s’arrêter en partie en raison de la dynamique
interne du système et en partie en raison de facteurs externes, comme
l’énergie. L’énergie a une très grande influence. La production
pétrolière a passé son pic et va commencer à décroître. Or il n’y a pas
de substitut rapide au pétrole pour les transports, pour l’aviation… Les
problèmes économiques des pays occidentaux sont en partie dus au prix
élevé de l’énergie.
Dans les vingt prochaines années, entre aujourd’hui et 2030, vous
verrez plus de changements qu’il n’y en a eu depuis un siècle, dans les
domaines de la politique, de l’environnement, de l’économie, la
technique. Les troubles de la zone euro ne représentent qu’une petite
part de ce que nous allons voir. Et ces changements ne se feront pas de
manière pacifique.
Pourtant, la Chine maintient une croissance élevée…
J’ignore ce que sera le futur de la Chine. Mais je sais que les gens
se trompent, qui disent qu’avec une croissance de 8 % à 10 % par an, la
Chine sera le pays dominant dans vingt ans. Il est impossible de faire
durer ce genre de croissance. Dans les années 1980, le Japon tenait ce
type de rythme et tout le monde disait que, dans vingt ans, il
dominerait le monde. Bien sûr, cela n’est pas arrivé. Cela s’est arrêté.
Et cela s’arrêtera pour la Chine.
Une raison pour laquelle la croissance est très forte en Chine est la
politique de l’enfant unique. Elle a changé la structure de la
population de manière à changer le ratio entre la main-d’œuvre et ceux
qui en dépendent, c’est-à-dire les jeunes et les vieux. Pour une période
qui va durer jusque vers 2030, il y aura un surcroît de main-d’œuvre.
Et puis cela s’arrêtera.
De plus, la Chine a considérablement détérioré son environnement, en
particulier ses ressources en eau, et les impacts négatifs du changement
climatique sur ce pays seront énormes. Certains modèles climatiques
suggèrent ainsi qu’à l’horizon 2030 il pourrait être à peu près
impossible de cultiver quoi que ce soit dans les régions qui fournissent
actuellement 65 % des récoltes chinoises…
Que croyez-vous que les Chinois feraient alors ? Qu’ils resteraient
chez eux à souffrir de la famine ? Ou qu’ils iraient vers le nord, vers
la Russie ? Nous ne savons pas comment réagira la Chine à ce genre de
situation…
Quel conseil donneriez-vous à François Hollande, Angela Merkel ou Mario Monti ?
Aucun, car ils se fichent de mon opinion. Mais supposons que je sois
un magicien : la première chose que je ferais serait d’allonger
l’horizon de temps des hommes politiques. Pour qu’ils ne se demandent
pas quoi faire d’ici à la prochaine élection, mais qu’ils se demandent :
“Si je fais cela, quelle en sera la conséquence dans trente ou quarante
ans ?” Si vous allongez l’horizon temporel, il est plus probable que
les gens commencent à se comporter de la bonne manière.
Que pensez-vous d’une “politique de croissance” dans la zone euro ?
Si votre seule politique est fondée sur la croissance, vous ne voulez
pas entendre parler de la fin de la croissance. Parce que cela signifie
que vous devez inventer quelque chose de nouveau. Les Japonais ont un
proverbe intéressant : “Si votre seul outil est un marteau, tout
ressemble à un clou.” Pour les économistes, le seul outil est la
croissance, tout ressemble donc à un besoin de croissance.
De même, les politiciens sont élus pour peu de temps. Leur but est de
paraître bons et efficaces pendant leur mandat; ils ne se préoccupent
pas de ce qui arrivera ensuite. C’est très exactement pourquoi on a tant
de dettes : on emprunte sur l’avenir, pour avoir des bénéfices
immédiats, et quand il s’agit de rembourser la dette, celui qui l’a
contractée n’est plus aux affaires.
Stéphane Foucart et Hervé Kempf, Le Monde
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