Bousculés par l'histoire, ils exaltent à l'extrême le sentiment patriotique, pour retrouver une unité.
La «Révolution nationale» de Viktor Orban frappe jusque sur la place du Parlement. La statue du comte Mihaly
Karolyi, premier ministre puis président en 1918-1919, vient d'être
déboulonnée. Pendant ce temps, au château de Budapest se poursuit la
grandiose exposition sur les «Héros» de la Hongrie,
où figure - discrètement - le premier ministre. Volonté de réécrire
l'histoire, comme le clame l'opposition, et de s'inscrire lui-même dans
une longue tradition de héros nationaux?
Conseiller de Viktor
Orban, l'historien György Granasztoi balaie l'idée d'un revers de main.
«Karolyi est considéré comme un précurseur de la dictature communiste,
explique-t-il. Devant le Parlement, qui doit représenter l'unité
nationale, c'est perturbant.» Pour les conservateurs, la victoire
écrasante (plus de 53 % des voix), en 2010, de Viktor Orban, traduit la
volonté de la population de se débarrasser de «ces anciens communistes,
qui, sous un autre nom, continuaient à dominer la société». Après des
années de «djihad» entre les socialistes et les conservateurs, poursuit
l'historien, «nous prônons l'apaisement, et une reconstruction civique
autour des valeurs de la nation».
En 1990, «l'implosion du système
communiste a créé un grand vide dans la société, rappelle György
Granasztoi. Nous avions un problème d'identité. Il nous fallait des
repères, des modèles». Ces repères, les Hongrois les trouvent dans les
démocraties occidentales, dans l'Union européenne, à laquelle ils
adhèrent avec enthousiasme en 2004. «Viktor Orban a dépensé une énergie
phénoménale pour que la droite hongroise soit européenne. Ce n'était pas
évident, regardez la droite polonaise…, suggère Zoltan Balog, ministre
délégué chargé de l'Inclusion sociale et très proche ami d'Orban. Et
voilà que tous ces investissements s'écroulent! Aujourd'hui, l'image de
l'UE s'est dégradée dans la population. Et les critiques incessantes de
Bruxelles ne font que radicaliser le patriotisme hongrois.»
«Nous ne serons pas une colonie!»
Le
quotidien conservateur Magyar Nemzet écrivait ainsi récemment que les
«bureaucrates sans âme de Bruxelles», qui menacent désormais le pays de
sanctions, voulaient non seulement «mettre le gouvernement Orban à
genoux», mais aussi «tous les Hongrois à la torture». Pas étonnant, dès
lors, que le premier ministre retrouve des accents très nationalistes
pour clamer, comme il l'a fait le 15 mars dernier, lors de la fête
nationale: «Nous ne serons pas une colonie!»«Nous n'avons pas accepté le
diktat de Vienne de 1848, puis nous nous sommes opposés à Moscou en
1956 et en 1990, a-t-il lancé devant une foule très remontée.
Aujourd'hui, nous ne permettrons à personne de nous dicter notre
conduite.»
Un membre du gouvernement l'admet: «Utiliser notre
sentiment patriotique contre Bruxelles, ce n'est pas bien.»Mais «comment
expliquer cela aux Français, dont le pays est souverain depuis
toujours? se demande György Granasztoi. Il faut comprendre ce discours
avec nos références historiques totalement différentes. C'est un jeu
très subtil d'Orban pour réconforter les Hongrois, flatter leur
patriotisme, tout en canalisant leurs sentiments antieuropéens.»
Car
les critiques de Bruxelles, couplées à la crise économique, ont fait au
moins un vainqueur en Hongrie: l'extrême droite. Le Jobbik, un parti
antisémite et antiroms, prône carrément la sortie de l'UE! Après
l'entrée fracassante du Jobbik au Parlement de Budapest en 2010, avec
près de 17 % des voix, Viktor Orban avait promis de s'en débarrasser
avec «deux claques». Mais aujourd'hui, son parti Fidesz est en baisse,
tandis que certains sondages accordent plus de 22 % à l'extrême droite,
ce qui en ferait la deuxième formation du Parlement, devant les
socialistes…
En attendant, Gabor Vona, le jeune chef du Jobbik, ne
semble pas prêt à se taire. «Nous ne sommes pas des démocrates! a-t-il
lancé, sans complexe, dans un récent discours. Contrairement à ces
froussards, qui dansent au son de la flûte de l'UE.»
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