After me, communquez avec les morts

Pour envoyer des e-mails après votre mort, il suffit de trouver le bon site. Promis, on ne vous oubliera pas.

Bientôt, je serai morte. Mais avant de me désintégrer comme la cassette dans Mission  Impossible, j'ai un compte à régler avec la vie :

je ne partirai pas sans laisser une trace. C'est la mission que s'est donnée le site after-me.com : laisser une trace numérique. Mes secrets ont commencé à suinter sur Facebook, un soir de pesante solitude, lorsque j'ai mis en ligne la photo de mon époux, agent secret. Tout le monde l'a vu en maillot de bain. Ce n'était pourtant pas un secret d'État. Bien plus gênant, cet instant fatal, quand tous mes amis ont découvert que je faisais des recherches sur Hitler en écoutant la Compagnie créole. Brutalement, j'ai pris conscience que j'étais en train de confier ma vie et mon oeuvre à un étudiant de Harvard sans scrupules. Qu'allais-je transmettre à mes enfants ? L'histoire décousue d'une somme d'humeurs, de goûts et d'avis. Le roman de mon existence méritait plus de considération.

Un été de profonde remise en question, j'ai créé un espace virtuel, le dixième à mon actif, cette fois sur after-me.com. Dans ce troisième monde, tout narcissique peut déposer un peu de lui-même pour les siècles à venir. Marquer l'histoire, petite ou grande, c'est noble. À l'intérieur du site : une ambiance merveilleuse avec des papillons géants, des couchers de soleil, des cascades d'eau, des prairies, des chemins vicinaux. Images banales un poil dérangeantes. On pense à cette scène du film Soleil vert au cours de laquelle le personnage regarde des documentaires naturalistes avant d'être euthanasié. On chasse nos idées noires en pensant à la sculpturale et sulfureuse Zahia, représentée en Ève par Pierre et Gilles.

Même mort, je parle encore

L'interface de chaque profil est agencée par univers : "mes souvenirs", "le roman de ma vie", "mes secrets", "mon look", "mes rêves", "mes réalisations", "l'histoire et moi". Désormais, vous saurez ce que je pense de la déclaration du pape Benoît XVI, qui admet l'utilisation du préservatif "dans certains cas". After me, missionnée comme "la voix" dans Secret Story, m'a posé la question par e-mail. J'y ai répondu, comme à celle concernant l'affaire DSK. À côté de cela, je sais à quel point je vous ai fait du mal. Rongée par la culpabilité, je regrette sincèrement de m'être donnée en spectacle dans Confessions intimes sur TF1 et d'avoir fait mon coming out chez Jean-Luc Delarue sur France 2. Je sais que d'autres secrets pèsent sur notre famille. Tout cela, je l'ai écrit sur After me, en toute confidentialité. J'hésite encore à dévoiler l'emplacement du magot de votre oncle disparu. C'était un formidable trader. L'affaire n'est pas encore classée.

Bientôt, je serai morte. Comme Vanessa, José, Donald, eux aussi inscrits sur ce site. Aucun ne se pavane devant sa cour ébahie. Calme et recueillement obligent. Tant qu'Internet existera, jamais vous ne m'oublierez. J'ai programmé la matrice. Même après ma mort, vous continuerez à recevoir des e-mails !

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