28 janvier 2012

Pour les compositeurs en herbe seulement...


Comment composer le plus célèbre des ti-da-daam en 10 leçons
Certaines musiques semblent si évidentes qu'on en oublie qu'il fallait en fait un type génial pour l'inventer. C'est en particulier le cas du plus célèbre tidadaam de l'histoire, je veux
dire : le premier mouvement de la 40e symphonie de Mozart.
Ce qui suit n'est pas une analyse musicologique complète et studieuse de A à Z. Ce sont juste quelque découvertes, picorant de-ci, de-là, sur un chemin qui sent bon la noise-è-tteu, afin
d'aiguiser et d'initier son ouïe aux joies des petites subtilités qui font que Mozart, c'est plus fin que, mettons, Pascal Obispo.

Qui plus est, on va se limiter au tout début, c'est-à-dire au premier thème (et un peu plus), parce que, hein, j'ai pas que ça à faire non plus, et puis ça fait déjà beaucoup de choses à dire
mine de rien.

Écoutons donc le début de ce mouvement - le son est affreusement synthétique, mais vous comprendrez sans doute pourquoi avec la suite.


Nous venons d'entendre (presque) tous les éléments clefs du mouvement.
Comme tous les premiers mouvements de symphonie ou de quatuor de l'époque, il est de forme sonate. Si vous avez
quelques vagues souvenances de ce que ça signifie, vous vous rappelez peut-être qu'une des caractéristiques principales de la forme sonate c'est de présenter deux thèmes : le premier, et, par
voie de conséquence, le second.
Ces deux thèmes sont censés être très différents l'un de l'autre, deux figures qui s'opposent. De plus, ils sont séparés par un épisode contrastant, qu'on appelle pont modulant.

Notez que thème est un terme qu'on utilise en analyse non pas pour nommer une mélodie particulière, mais un ensemble qui forme un tout musical, cet ensemble pouvant être
constitué de divers éléments.
Ainsi, le premier thème, ici, c'est ceci :

Voilà, successivement, on a entendu : la mélodie super-célèbre (avec le tidadaam), un petit rajout mélodique qui prolonge la mélodie super-célèbre, enfin une conclusion un peu martiale
pour boucler le tout de manière dramatique. Divers éléments, mais un tout cohérent : c'est le premier thème.

Vient donc le tour du pont modulant :


Vous n'avez pas été sans remarquer : «mais ça commence comme le premier thème !»

Oui. C'est exact. On ne peut rien vous cacher. Ça commence comme le premier thème.

Enfin, en fait, pas tout à fait (on y reviendra) : notez très vite l'apparition des hautbois dans l'aigu, discrets mais présents, qui annoncent qu'on va bifurquer ; et puis, la mélodie
super-célèbre prend un virage inattendu qui n'était pas là la première fois, avant d'aboutir au grand tutti flamboyant qui nous fait cette fois entendre des choses nouvelles.

Mozart nous fait là un pied-de-nez à la Haydn ; Haydn est le spécialiste des faux-départs, il fait croire que c'est le premier thème qui redémarre et, ha ha ha, non en fait, paf c'est le
développement, ho ho ho, quel petit rigolo ce Haydn, ha ha ha (pourquoi ai-je l'impression d'être le seul à rire ?).

C'est-à-dire que pour bien faire, il faudrait vous faire écouter une symphonie lambda de l'époque : là, les thèmes et pont se succèdent bien consciencieusement, comme à la parade ; et il faut se
figurer que c'était un tel standard à l'époque, que les auditeurs suivaient véritablement la structure (pas comme maintenant, tout se perd). Au bout d'un moment, à force de composer de nouvelles
œuvres, il faut bien trouver des solutions originales pour ne pas répéter sempiternellement les mêmes figures, et certains (en particulier Haydn, donc) trouvèrent malin, pour se renouveler, de
semer des fausses pistes en faisant commencer une partie de la sonate par autre chose que ce qui était attendu, comme de faire commencer le pont modulant par le début du premier thème, donc.

Sauf qu'ici, plutôt qu'un pied-de-nez rigolo pour connaisseurs, l'effet est plutôt dramatique, semble-t-il ; par ce biais, la mélodie super-célèbre se personnalise un peu plus, paraît suivre un
chemin, un développement propre - on pourrait s'imaginer Mozart lui-même personnifié. Pour tout dire, à partir d'une pratique typiquement classique à la Haydn, on bascule dans une manière déjà
romantique...

Ce qui suit le pont modulant, c'est, si vous suivez, le second thème, que nous laisserons de côté ici. Quand vous écouterez le premier mouvement entier à la fin de cet exposé, vous pourrez
l'entendre dans son intégralité ; vous pourrez également constater qu'il est suivi par une conclusion qui clôt ce qu'on appelle l'exposition, c'est-à-dire le bloc 1er thème + pont +
2nd thème
, avant qu'on passe à une autre grande partie de la sonate.


Ossature de la mélodie super-célèbre


Cette mélodie est d'une simplicité déconcertante.

Déjà, ce qui frappe c'est qu'elle fait entendre de manière systématique le même rythme de base, le fameux tidadaam, rythme qui déborde d'ailleurs le strict cadre de la mélodie
super-célèbre pour apparaître un peu partout dans le premier thème (et, par la suite, dans tout le mouvement). Soulignons quelque peu (trois fois rien) ce rythme pour constater sa présence :


D'autre part, cette mélodie est d'une grande symétrie, qui rend sa perception immédiate. on a d'abord une première proposition, qui ouvre, et une seconde proposition, qui ferme :



Mais plus encore, à l'intérieur de chaque proposition se fait entendre un jeu de question/réponse :

C'est pour cette raison que le gag suivant marche :

Soulignez de manière exagérée et saugrenue ce qu'on attend comme réponse, et l'effet comique est garanti (si, si).

Les notes utilisées sont aussi d'une simplicité déconcertante. Si on enlève le rythme de la mélodie pour ne conserver que la succession de notes, on obtient une sorte de charmante comptine d'une
candeur toute naturelle : deux notes conjointes qui alternent, une gamme descendante, et la seconde proposition reprend le tout, juste un cran au-dessous.

Pour mieux percevoir ce que j'entends par un cran en-dessous, faisons une expérience : accentuons le début de chaque proposition, ainsi que la note d'arrivée ; isolons les petits bouts accentués
; puis mettons-les bout-à-bout :


On obtient un petit bout de gamme qui descend. C'est l'ossature fondamentale de cette mélodie, et c'est d'une simplicité déconcertante - je l'ai déjà dit, mais c'est tellement déconcertant que ça
méritait d'être répété.

Toutefois, de cet océan de simplicité et de petits bouts de gamme jaillit tout de même un intervalle très grand. Plein de notes conjointes, et au beau milieu, cet intervalle montant, qui s'ouvre
juste après qu'on soit resté sur place en insistant sur deux notes, et qui devient par conséquent porteur d'une expressivité particulière :

Bien foutu, hein ?


Parlons un peu de la basse

La basse, dans la musique de type tonale (en gros, du baroque au romantique, et toute la musique populaire actuelle), a un rôle très spécifique, et une double contrainte, qui est de soutenir
l'harmonie, voire même de la définir - en faisant en sorte toutefois que la partie de basse soit aussi une ligne musicale, et pas seulement des notes posées les unes à côté des autres selon les
seuls besoins de l'harmonie.

On est ici en sol mineur : cela signifie que, dans ce morceau, il y a une note privilégiée, une note-reine, à partir de laquelle tout le reste se réfère : la note sol. Un peu de
la même manière qu'un point de fuite dans une construction en perspective classique, si on veut.

Par exemple, irrémédiablement, la première note et la dernière note du morceau, à la basse, sera un sol - quand, au même moment, le reste de l'harmonie, c'est-à-dire les autres notes
distribuées dans tout ce qui est plus aigu que la basse, feront entendre soit d'autres sol, soit des si bémols ou des . Ces dernière notes en effet forment une
sorte d'extension naturelle du sol, pour former l'accord de sol mineur : sol-si bémol-ré.

Mais cela ne suffit pas à asseoir ce fameux sol mineur. Faites entendre un sol, ou un accord de sol mineur, puis plein d'autres trucs après au hasard, et vous n'aurez
absolument pas obtenu la sensation que le sol est central. Pour cela, il faut un moyen puissant d'attraction - pour définir une note-maître, il suffit de trouver une note-esclave qui s'y
réfère : il s'agit de la dominante (qui s'appelle dominante pour une note-esclave ! Tant il est vrai que, comme dans n'importe quelle relation maitre-esclave, on peut en effet se demander qui
domine qui...).

Cette dominante, c'est toujours la quinte de la note principale ; ici ce sera donc le , qu'on a déjà vu dans l'accord sol-si bémol-ré, mais qui a aussi son propre
accord-extension (l'accord de dominante) : ré-fa#-la.

Après ces courtes explications aussi fumeuses que théoriques, revenons à notre mélodie et à sa basse. Nous avons vu qu'elle se scindait en deux propositions.
C'est un canon de la mélodie instrumentale dans une forme sonate et dans le style classique : une première proposition avec comme harmonie (i.e. accord et basse correspondante) celle de la
note-maître (ici, sol), une seconde proposition avec comme harmonie celle de la note-esclave (ici, ), pour revenir à sol juste à la fin. C'est une manière élégante de
commencer le mouvement en établissant la tonalité : on fait harmoniquement un petit aller-retour sol-ré-sol, suite à quoi les choses sont bien posées et on peut continuer.

Ainsi, un compositeur médiocre à qui l'on aurait confié la mélodie super-célèbre, aurait écrit la basse suivante :

À la basse donc, des sol pendant la première proposition, des pendant la seconde proposition, retour à sol sur la dernière note. C'est bourrin, mais ça marche.

Un compositeur un tout peu plus inspiré se serait dit : «c'est tout de même un peu violent. Cherchons quelque chose de plus subtil, qui mettra mieux en valeur la mélodie, et qui donnera un
caractère plus dramatique, moins martial. Au lieu de passer directement du sol au à la basse, passons donc par un intermédiaire : un fa#. En effet, le fa#

participe de l'accord de dominante -
ré-fa#-la -, donc suffira à faire ressentir la fonction de dominante, mais en étant un tantinet moins bourrin» :

En effet, c'est mieux.

Bon, mais il a fait quoi Mozart, lui ? Ça :

Il prolonge le sol de la basse alors que l'harmonie change quand même au-dessus. Puis seulement vient le fa#, et enfin le in extremis avant de retomber sur
le sol. Ou comment rendre encore plus dramatique la mélodie avec trois fois rien.

Et c'est ainsi que Mozart est grand...

Le même genre d'expérience (quoique moins spectaculaire et plus commun) peut être fait avec le bout qui suit la mélodie super-célèbre. Le compositeur médiocre aurait écrit (succession de
et de sol - sauf le petit bout à la fin) :



Quant Mozart fait :

Peut-être n'avez-vous pas été sans remarquer au passage que la basse fait entendre tout d'un coup des valeurs longues, quand elle ne plantait que des ploums pendant la mélodie super-célèbre.
C'est un truc tout simple qui fait changer immédiatement notre perception du temps et l'affectivité de ce petit bout de phrase.

Notre compositeur médiocre (décidément bien nul) aurait consciencieusement continué les ploums :

Mozart a préféré cette petite modification, comme pour un éclairage différent (ce sera plus convaincant avec le son pas synthétique) :



Source


 

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