Le quotidien Libération a diffusé sur son site Internet
L'enregistrement écœurant d'une réunion interne du géant pharmaceutique Schering-Plough (MSD)[...]
Cette réunion a eu lieu en juin dernier. On y entend le directeur médical expliquer comment neutraliser certains médecins qui risqueraient de donner un avis négatif à la Haute Autorité de Santé (HAS) sur leur nouveau médicament contre l'hépatite C, le Victrelis :
« Il y a des mecs qui n’aiment vraiment pas Schering Plough et MSD, il faut aller les voir avec une valise de biftons et leur dire “écoutez on va signer un petit contrat tous les deux”. Il y en a qui vont voir l’argent arriver, ils ne vont rien comprendre.»
Cette phrase fait mal. Mais le reste de l'entretien est à l'avenant.
Sont confirmés les pires soupçons sur les industriels du médicament : des stratégies pour faire taire les médecins et chercheurs qui ne sont pas convaincus de l'utilité d'un de leurs nouveaux médicaments ; des stratégies également pour faire nommer comme experts auprès de la Haute Autorité de Santé (HAS) des médecins qui leur sont favorables.
Leur problème aujourd'hui est que ces médecins favorables, qu'ils appellent dans leur jargon les « positifs », sont en général les mêmes que ceux qui ont reçu de l'argent de leur part. Et la nouvelle loi sur les conflits d'intérêt interdit désormais à la Haute Autorité de Santé de les consulter.
Mais qui sont les heureux bénéficiaires des « valises de biftons » ???
Un point sur lequel l'enregistrement pirate de Libération ne nous dit rien, malheureusement, c'est... qui sont les heureux médecins de la Haute Autorité de Santé qui reçoivent les valises des labos pharmaceutiques ???
Car, dans toutes les affaires de corruption, il y a un corrupteur... et un corrompu. Le second est, d'une certaine façon, plus coupable encore que le premier. Tous les deux auront nuit à la collectivité par leurs agissements. Mais l'un aura donné de l'argent... l'autre en aura reçu.
Le système pervers des « Autorisations de Mise sur le Marché »
Pour garantir au public que les médicaments ne soient pas (trop) nocifs, l'Etat a créé le système des « Autorisations de mise sur le marché » (AMM). Ces AMM sont accordées en France par l'HAS.
La procédure d'AMM est très longue, lourde, et coûteuse. Mais la motivation des laboratoires pharmaceutiques est énorme.
En effet, l'AMM ne se limite pas à l'autorisation de vendre un médicament. Dans les pays où existe une Sécurité Sociale, c'est-à-dire tous les pays industrialisés, cette AMM ouvre aussi le droit au médicament d'être remboursé par la Sécurité Sociale.
Dès que l'AMM est obtenue, c'est donc le jackpot pour le laboratoire pharmaceutique, et ce indépendamment des qualités réelles du médicament. En effet, dans la mesure où le coût du médicament est très largement pris en charge par l'assurance-maladie, et puisque cela ne coûte rien au médecin, et peu au malade, pourquoi se priver ? Cette seule « motivation » suffit en général déjà à assurer aux fabricants des revenus considérables.
Mais il y a plus pervers encore : les médecins savent qu'ils sont juridiquement « couverts » à partir du moment où ils prescrivent à leurs malades un médicament dans le cadre de l'utilisation prévue par l'AMM. Ils n'ont donc plus de question à se poser, plus de scrupules à avoir. Au contraire : la priorité pour eux serait plutôt d'éviter de se voir reprocher de n'avoir pas prescrit à leurs malade le dernier médicament !
C'est ce qui explique les enjeux financiers énormes qui tournent aujourd'hui autour de l'HAS. Comme le génie de la bouteille, elle a la capacité de couvrir d'or les laboratoires pharmaceutiques qui auront obtenu ses faveurs (les AMM), sans que cela ne lui coûte quoi que ce soit (c'est l'assuré social qui paye).
A ce petit jeu, ne prospèrent effectivement que les labos pharmaceutiques les moins scrupuleux, et qui ont les techniques les plus au point pour « persuader » les responsables de l'HAS de leur donner leurs AMM.
Et tant pis pour le patient.
Une nouvelle loi qui empire la situation
Les propos des dirigeants de Schering-Plough sur les « valises de biftons » sont d'autant plus consternants qu'ils font suite à des échanges intéressants où on les entend s'inquiéter, légitimement, de la nouvelle loi sur les conflits d'intérêts.
Cette loi, votée sous le coup de l'émotion suscitée par le Médiator, interdit de faire travailler sur les dossiers d'autorisation des médicaments les personnes qui ont reçu de l'argent du laboratoire, sous quelque forme que ce soit (recherche, étude, participation à un groupe de travail, etc.).
Le problème est que les laboratoires qui veulent développer de nouveaux médicaments s'adressent de préférence aux meilleurs spécialistes de la maladie concernée. Ils sont de plus obligés de mobiliser des équipes importantes de médecins pour chaque projet.
La Haute Autorité de Santé (HAS) ne pourra désormais plus consulter aucun de ces médecins, qu'ils soient d'ailleurs favorables ou pas au nouveau médicament. Pour rendre sa décision d'autorisation, dont les conséquences sont décisives pour la vie de milliers de patients, elle sera obligée de recourir à des médecins qui, par définition, n'ont jamais travaillé sur le dossier.
Cela signifie, pour les patients, que la HAS sera bien souvent obligée de se priver de l'avis des meilleurs spécialistes, avec les risques d'erreur que cela comporte.
Pour l'Etat, la priorité n'est pas le patient, mais d'ouvrir son parapluie. Surtout, ne plus risquer un nouveau scandale type Médiator. Sa stratégie est simple : imposer des règles tellement strictes que l'HAS interdira les nouveaux médicaments dès qu'il existera le plus léger soupçon. Peu importe le sort des malades qui en avaient besoin ou qui auraient pu être aidés.
L'important est de pouvoir communiquer sur le fait que les membres de l'HAS sont, désormais, « propres ».
Pour terminer sur une note positive, consolons-nous en pensant que ce système épouvantable ne nous est pas réservé. Il est en cours dans tous les pays industrialisés...
A votre santé !
Jean-Marc Dupuis
Vu sur Au bout de la route
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